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En Afrique, Macron regarde la France en face


En Afrique, Macron regarde la France en face
Emmanuel Macron en visite dans une école de Ouagadougou au Burkina-Faso, novembre 2017. SIPA. 00833829_000021

En visite au Burkina-Faso, Emmanuel Macron a parfois eu de faux airs du personnage OSS 117 ou de Francis Kuntz en goguette dans les restes du monde. C’est, du moins, ce que pourrait laisser penser une analyse superficielle, se limitant à l’examen de quelques extraits de l’intervention du président face aux étudiants de l’Université de Ouagadougou. Extraits diffusés et calibrés par les médias français. Par moments, Emmanuel Macron paraissait même marcher dans les pas de Bernard Lugan qui recommandait dans un de ses ouvrages les plus récents d’« oser dire la vérité à l’Afrique ». Car, oui, le langage tenu par Emmanuel Macron face à une jeunesse burkinabaise, toujours inspirée par le caractère héroïque de feu Thomas Sankara, avait des accents de sincérité. Peu enclin aux « pudeurs de gazelle », l’actuel locataire de l’Elysée s’emploie en effet à briser méthodiquement certains tabous contemporains.

Papa où t’es? Plus là!

Emmanuel Macron a, par exemple, affirmé sans détours que les Africains ne pouvaient qu’applaudir l’armée française qui protège le continent, après qu’une étudiante lui ai fait remarquer que le nombre de soldats français présents au Sahel était plus important que le nombre de visas étudiants accordés aux jeunes africains. Un discours franc, assumant le rôle important joué par la France pour garantir la stabilité d’un continent en proie à des conflits ethniques et religieux, particulièrement au Sahel où nos forces militaires accomplissent une mission aussi difficile que nécessaire. Achever le paternalisme français en Afrique consiste d’abord à responsabiliser les Africains eux-mêmes, à leur faire prendre conscience qu’ils sont les garants de leur future prospérité.

Du reste, les étudiants de Ouagadougou semblent avoir été beaucoup moins heurtés par le discours présidentiel que certains commentateurs hexagonaux, prompts à transformer des anecdotes qui pourraient prêter à sourire en « incidents diplomatiques » majeurs. Il en fallait du cran pour affirmer que le principal problème du continent noir est sa démographie devant des jeunes exaltés, probablement rompus à ce prêt-à-penser post colonial voulant que l’Occident patriarcal soit le coupable ontologique des maux que subit le monde. Déjà, en juillet dernier, Emmanuel Macron avait jeté le trouble en expliquant que le fait que des femmes africaines puissent avoir « 7 à 8 enfants par femmes » était un problème d’ordre civilisationnel. À Ouagadougou, la forme a changé mais pas le fond :

« Quand vous voyez des familles de 6, 7, 8 enfants par femme, êtes-vous sûrs que cela soit le choix de la jeune fille ? Je veux qu’en Afrique, partout, une jeune fille puisse avoir le choix. (…) C’est une conviction profonde qui m’a poussé à faire de l’égalité femme-homme une grande cause de mon mandat. La démographie peut être une chance mais à condition que chaque femme puisse choisir son destin »

Emmanuel « Trump » Macron

De quoi rhabiller du rose bonbon féministe une thématique longtemps monopolisée par la droite européenne. Mais qui pourra nier le bienfondé d’une telle phrase ? Estimée à 140 millions d’habitants en 1900, la population africaine a atteint le milliard en 2010. Selon le scénario moyen des Nations unies, le continent comptera 2,5 milliards d’êtres humains en 2050 et près de 4 milliards en 2100. À ce moment-là, la terre sera peuplée par un tiers d’Africains, ultra-majoritairement sub-sahariens. Une démographie « suicidaire » qui s’additionne à des infrastructures déficientes et une vie économique réduite au strict minimum, bien souvent de pure subsistance. Des chiffres qui donnent le tournis et devraient nous conduire à agir. Que le président Macron en soit lui aussi convaincu ne pourra que nous réjouir. Du reste, quiconque s’aventure sur le terrain de la crise migratoire sans partir du problème démographique est un sophiste ou un incompétent.

Plus étonnant, Emmanuel Macron ne s’est pas arrêté en si bon chemin. On pensait trouver Trudeau, ce fut Trump. « Qui sont les trafiquants ? Ce sont des Africains mon ami ! Et nous les combattons avec vigueur ! Arrêtez de dire que le problème c’est l’autre ! Présentez-moi un passeur belge, français, allemand ou que sais-je encore, en Libye ! Vous n’en trouverez pas ! », a-t-il répondu à cette jeunesse africaine.

Non, les Français d’aujourd’hui ne sont pas des esclavagistes. Actuellement, des Africains en vendent et en enchaînent d’autres sur les marchés de Tripoli. Dans le même ordre d’idées, Emmanuel Macron a jugé qu’il n’était pas du ressort du président français d’installer l’électricité dans les universités africaines, sous les applaudissements d’un public séduit. Manière de dire que la France n’avait pas à être la planche à billets d’un continent indépendant depuis plus d’une demi-siècle, naguère prospère.

Miser sur les générations suivantes

Est-ce parce qu’Emmanuel Macron l’a rappelé à ses devoirs que son homologue Roch Kaboré a quitté la salle ? Le chef d’Etat aurait-il été vexé ? À en croire des journalistes présents sur place, l’incident diplomatique n’en était pas vraiment un. L’exécutif burkinabé a d’ailleurs juré que le président Kaboré était allé satisfaire un besoin naturel plutôt que « réparer la climatisation ». Qui croire ? Au fond, cela n’a que peu d’importance. Un peu de fraîcheur ne fait pas de mal.

L’Afrique n’a pas pris son envol après la décolonisation. Nous en connaissons les raisons historiques, ethniques, géographiques et culturelles. Les Européens n’y sont pas totalement étrangers, parties prenantes du découpage absurde d’un territoire immense en Etats sans assises ethniques, dans un continent longtemps resté au stade protohistorique. Il faudra pourtant surpasser ces immenses difficultés. D’ordre politique aussi, le continent étant dominé par une klepto-gérontocratie étouffante qui a tout intérêt à ce que rien ne change. Miser sur les générations suivantes pourrait s’avérer payant à moyen terme et correspondre à la vocation émancipatrice de la France.

Et à la fin, Macron redevient Macron…

Tout n’a pourtant pas été parfait dans l’intervention d’Emmanuel Macron. Loin de là. Obligé de donner des gages, il s’est laissé aller à un discours de repentance sur la période de la colonisation. S’il est évident que le processus de la colonisation a généré des crimes, la colonisation ne fut pas criminelle dans son ensemble. Une nuance complexe à saisir à notre époque. Enfin, Emmanuel Macron s’est transformé en Père Noël à l’approche des fêtes, promettant notamment de répondre au « grand défi de la mobilité » consistant à « repenser nos liens et la circulation des femmes et des hommes entre nos continents », en souhaitant pour cela « que tous ceux qui sont diplômés en France puissent y revenir quand ils le souhaitent grâce à des visas de circulation de plus longue durée ». Déraisonnable pour qui connaît les réalités du terrain, les études supérieures étant l’une des principales pompes aspirantes à immigration. Bien souvent, des étudiants redoublants se perdent dans la nature pour rester dans notre pays.

Dans l’ensemble, on retiendra un discours musclé, assez proche des réalités. En somme, pragmatique. Oh, ne soyons pas dupes, rien n’indique que les paroles seront suivies d’actes à la hauteur. Toutefois, la progression métapolitique est importante. La période où la France battait sa coulpe en Afrique paraît révolue. Un chapitre se ferme.



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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