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Procès Merah, je dis tes noms


Procès Merah, je dis tes noms
Les sept victimes du terroriste Mohammed Merah. SIPA. 00679604_000002

Il y a beaucoup d’enseignements à tirer du « procès Merah », qui vient de s’achever, et une analyse à froid sera évidemment nécessaire. Je pense néanmoins qu’on peut d’ores et déjà esquisser quelques réflexions. Pour les lecteurs qui n’auraient pas suivi les débats et voudraient se mettre à jour, je recommande le récit détaillé qu’en fait Le Figaro, et les très bons articles de Patricia Neves dans Marianne.

« Procès Merah »… C’était le procès d’Abdelkader Merah et de Fettah Malki, mais qui pourrait dire en conscience ne pas avoir eu envie qu’à travers eux soit jugée l’ombre de Mohammed Merah, le « tueur au scooter » ? Les magistrats, c’est tout à leur honneur, ont résisté à cette tentation. Pour frustrant que cela puisse être, il est constitutif d’un état de droit qu’un individu soit jugé pour ses fautes, ses actes, et non pas pour ceux d’un tiers ou pour ce qu’il est censé représenter.

Taire le mal, c’est l’attiser

« Procès Merah ». Les victimes, ainsi que leurs avocats, ont à plusieurs reprises mentionné leur tristesse que le semeur de mort soit tellement plus célèbre que ses victimes, que ce soit son nom que, on le devine, retiendront avant tout les livres d’histoire. Damnatio memoriae ! Faut-il effacer le nom du monstre de tous les documents, supprimer toute représentation de son visage ? Faut-il, plus généralement, s’abstenir de diffuser les noms des terroristes, pour les priver de la gloire posthume à laquelle ils aspirent ?

Non. Parce que faire de ces noms des tabous les rendrait encore plus fascinants et effrayants. Parce que refuser de nommer quelque chose n’est jamais un bon moyen de le combattre. Parce que le nom de quelqu’un, même s’il nous en dit plus sur d’où il vient que sur qui il est, donne des informations qui peuvent être pertinentes. Et parce que l’ennemi, fut-il Mohammed Merah, n’est pas un croquemitaine mais un être humain, et que nous devons et pouvons le combattre sans hésitation ni faiblesse, mais sans pour autant nous laisser aller à la facilité de croire que son inhumanité, au sens courant et moral du terme, le rendrait « non-humain ». Attention, il ne s’agit en aucun cas de l’excuser, bien au contraire ! Nous souvenir de son humanité veut dire aussi nous souvenir que, quoi qu’il ait vécu, il disposait du libre-arbitre, qu’il n’était pas monstrueux par nature mais qu’il l’est devenu par choix.

Pour autant, il ne serait ni juste ni acceptable que les victimes de Mohammed Merah ne restent dans nos mémoires que dans son ombre. Leurs vies, même les vies si brèves des enfants, ont été riches de moments magnifiques et précieux bien avant de croiser le funeste chemin du djihadiste. Toutes et tous ont accompli des choses, grandes ou petites, qui peuvent être source de fierté. Imad Ibn Ziaten, Abel Chennouf, Mohamed Legouad, Jonathan Sandler, Gabriel Sandler, Arieh Sandler, Myriam Monsonégo.

Complices de Merah

« Procès Merah », mais il ne faut pas oublier Fettah Malki. Je ne sais pas si ses remords sont sincères. Je ne peux que l’espérer. La décision des magistrats le concernant est en tout cas exemplaire : on ne peut fournir des armes à quelqu’un et ensuite se laver les mains de l’usage qu’il en fait. La vente d’armes n’est pas un commerce comme les autres. Il serait d’ailleurs salutaire que les tribunaux aient la même logique lorsque, très ouvertement, des armes sont vendues à des pays qui financent, fournissent, soutiennent et inspirent des groupes djihadistes….

« Procès Merah », dont le nom est celui d’une situation presque archétypale. Ce serait une erreur de croire que ce cas suffit à tout dire de l’islam politique et du djihadisme en France, et pourtant il y a là comme un condensé qu’il serait absurde de nier. Le duo que forment Mohamed, le tueur, et Abdelkader, l’idéologue. Le reste de leur famille : un père qui a fui, une mère odieuse, une sœur radicalisée, une éducation immonde et chargée de haine – à laquelle un autre des frères pourtant a réussi à échapper. L’intrication entre la face la plus ignoble de l’islam et la délinquance des cités, dans des lieux où prospère ce qui est au mieux une indifférence complice, au pire une franche sympathie : on ne compte plus, dans les « territoires perdus de la République », les graffitis à la gloire de Mohammed Merah.

L’influence des prédicateurs, dans les mosquées, par leurs livres, sur internet, en arrière-plan les réseaux des pétro-théocraties, en arrière-plan encore certains passages du Coran et des Hadith qui justifient, encouragent et même suscitent ce qu’Abdelkader appelle pudiquement « islam orthodoxe ».

Les esquives de ce même Abdelkader lors de son procès, les ambiguïtés, les faux-semblants, le double langage permanent de quelqu’un qui joue sur les mots pour suggérer sans devoir assumer ce qu’il n’ose dire franchement, qui joue avec les limites, et s’efforce de donner l’impression qu’il respecte la forme des règles pour mieux s’en affranchir sur le fond – attitude typique des pervers, qui n’est pas sans rappeler les techniques d’un certain Tariq Ramadan. Le choix des victimes : des militaires qui défendent la France, des musulmans accusés d’être de mauvais musulmans puisqu’ils ne font pas la guerre aux « kouffars », des juifs, des enfants dans une école, lieu de transmission d’un savoir plus ancien que celui des oulémas, lieu de curiosité, de la liberté de poser des questions et du droit de réfléchir. Le lien avec les origines de l’islam, bien plus documentée qu’on a voulu le dire, avec la référence à Khalid ibn al Walid : « j’aime la mort comme vous, vous aimez la vie ».

« Procès Merah », pourtant ce nom est aussi celui d’un homme bien, Abdelghani Merah, le troiisème frère, qui prouve que même en grandissant dans un environnement atroce l’être humain n’est pas condamné à tomber dans l’horreur – et c’est aussi une leçon fondamentale de cette affaire.

« Procès Merah », mais il y aurait beaucoup à dire aussi sur certaines collusions idéologiques et sur des confusions dont on se demande dans quelle mesure elles sont volontaires. Libération en a fourni l’illustration parfaite avec son article sur le poilu Robert Hertz, s’inscrivant dans un contexte plus général, parfaitement analysé par Thibault Tellier, qui rappelle avec justesse que les batailles essentielles contre l’islam politique se livreront sur le front des idées.

L’indécence d’Abdelkader Merah

« Procès Merah », où la religion occupe une place centrale mais entourée d’ignorance. Il était important de demander à Abdelkader si, à ses yeux, son frère était oui ou non un martyr – et sa façon de louvoyer est en elle-même une réponse. Mais lui demander si selon lui Mohammed est en enfer, comme l’a fait un avocat, était particulièrement maladroit. Une cour d’assises n’est pas un tribunal de l’inquisition ! Sans oublier que la question est grossière, y compris pour quelqu’un qui condamne sans réserve les actes de Mohammed Merah, cette approche ne pouvant faire l’économie de questions évidentes sur l’équilibre entre la miséricorde et la justice, et l’existence ou non de possibilités de rédemption (relisez Victor Hugo, la Fin de Satan). Maladresse donc, qui pourrait n’être qu’un détail si elle n’était révélatrice d’un manque de culture religieuse, qui n’est en rien limité à l’avocat en question mais qui est tout de même gênant puisqu’il est impossible de comprendre le djihadisme et les djihadistes sans en intégrer la dimension théologique.

Ignorance encore, lorsqu’Abdelkader Merah peut déclarer au sujet des victimes juives de son frère, sans que nul ne le reprenne « Comment peut-on en arriver là, s’entre-tuer entre nous ? On croit au même dieu, on est des frères de religion, je suis en état d’émotion. » On ne dira jamais assez que deux dieux peuvent être considérés comme uniques par leurs fidèles sans pour autant être le même, ou porter le même nom et être pourtant différents. On ne m’ôtera pas de l’idée, par exemple, qu’Imad Ibn Ziaten et Mohamed Merah avaient d’ « Allah » des conceptions tellement différentes qu’il est plus juste d’y voire deux divinités distinctes que deux visions de la même divinité. Sans oublier qu’il serait intéressant de savoir ce qu’Abdelkader penserait de l’assassinat de gens qui, selon ses critères, n’auraient pas le « même dieu ». Athées, agnostiques, polythéistes, trinitariens… A peine quelques dizaines de millions de personnes en France, quelques milliards sur Terre. Un détail.

Indéfendable acquittement

« Procès Merah », qui interroge non seulement sur Merah, mais aussi sur le procès lui-même, et sur notre justice. Interrogations sur le rôle des avocats, lorsque la théâtralité prend le pas sur la droiture, au détriment de la dignité et de l’humanité. Ou lorsqu’un homme de valeur comme Eric Dupont-Moretti ne se contente plus de veiller au respect des droits de son client, mais met son incontestable talent et son engagement profond au service d’une cause moralement indéfendable, en l’occurrence l’acquittement. Et jusqu’à quel point les joutes oratoires doivent-elles n’être qu’une version plus policée d’un duel entre champions, au détriment de la recherche conjointe de vérité et de justice ?

Interrogations sur les limites qu’il est indispensable de se fixer, même lorsqu’on pense défendre le Bien, la Justice ou que sais-je. Les menaces à l’encontre des enfants de maître Dupont-Moretti sont inadmissibles, et d’autant plus révoltantes qu’elles visent les enfants de quelqu’un qu’on considèrerait comme un ennemi justement parce qu’il défend le complice supposé d’un tueur d’enfants ! Être dans « le camp des gentils » ne donne pas tous les droits. J’ignore quelles mesures ont été prises pour assurer la sécurité des proches d’Eric Dupont-Moretti, j’espère qu’elles sont sérieuses et que les auteurs des menaces seront identifiés et sanctionnés.

Mettre fin au déni

« Procès Merah », qui oblige à évaluer notre capacité à combattre les prochains « Merah » et « Malki », qu’ils soient tueurs djihadistes, artisans de l’instauration de la sharia, ou simplement délinquants. Ce n’est pas manquer de respect aux forces de l’ordre que de vouloir que des enseignements soient tirés de ce qui fut incontestablement un échec. Ce n’est pas briser l’union sacrée face à l’ennemi que de s’opposer à ce qu’elle serve de paravent au refus de toute remise en cause. Ce n’est pas de l’acharnement politicien, que de réclamer que celles et ceux qui se sont complus dans l’esquive (« Il n’y a pas eu de dysfonctionnement ») admettent enfin leurs torts. Ce n’est pas faire de la démagogie ou du populisme, que de demander aux magistrats d’assumer eux aussi leurs responsabilités dans la sécurité de tous. Ce n’est pas être raciste ou islamophobe que de s’insurger contre la haine de l’Occident impunément distillée, ou d’exiger la fin du déni face à ce qui, dans l’islam, a engendré Abdelkader et Mohammed Merah, « un monstre issu de la maladie de l’islam » pour reprendre l’expression lucide et courageuse d’Abdennour Bidar.

« Procès Merah », qui laisse à la fin une certaine amertume. Oui, Abdelkader Merah aurait dû être condamné à la perpétuité. Bien que dans l’esprit je rejoigne ce qu’écrit Régis de Castelnau à ce sujet, en particulier sa conclusion, certains arguments me laissent dubitatif. Abdelkader n’aurait donc pas apporté une « aide ou assistance » au périple meurtrier de Mohammed en le confortant pendant des années dans l’idée que c’était ce que son dieu attendait de lui ? L’article L121-7 sur la complicité en matière pénale ne spécifie pas que l’aide ou assistance doivent être matériels – on peut évoquer le cas de la divulgation du code du coffre à un cambrioleur, ou du mot de passe à un hacker.

A lire aussi: Procès Abdelkader Merah: pourquoi le verdict est logique

La cour d’assises elle-même écrit : « La présence d’Abdelkader Merah qui pourrait s’analyser en un encouragement même simplement moral – n’a pas plus été établie. » Ce qui suggère que l’encouragement suffirait ici à caractériser la complicité. Mais si je répète chaque jour à quelqu’un qu’il doit tuer ses voisins, lorsqu’il passe à l’acte peu importe que je n’ai pas désigné précisément tel ou tel voisin, peu importe que le jour J j’ai été en voyage depuis une semaine, je l’ai bien évidemment encouragé !

Abdelkader Merah sera bientôt libre…

Je comprends que les juges aient voulu faire le procès d’un homme, et non pas d’une doctrine – et ils ont eu raison. Je comprends qu’ils aient craint de condamner Abdelkader Merah pour un « délit d’opinion », la liberté de pensée et de conscience n’a pas de sens si elle n’inclut pas la liberté d’avoir des croyances ignobles – car il se trouvera toujours quelqu’un pour juger ignoble ce que moi, je crois. Mais sous-estimer l’importance du soutien idéologique dans le djihadisme, refuser de le considérer comme une « aide ou assistance » pleine et entière, c’est être aveugle à la véritable nature de notre ennemi.

Abdelkader Merah est assez rusé pour se comporter en prisonnier sans histoire. Dans une dizaine d’années, il sera libre. Aux yeux de certains, frère d’un martyr, et si d’aucuns lui reprocheront de n’avoir pas ouvertement soutenu la violence de Mohamed, d’autres diront qu’il a habilement trompé les mécréants pour limiter sa condamnation et invoqueront la « taqîya ».

Condamnation en demi-teinte, donc, qui a heureusement évité l’acquittement – ce qui aurait été un déshonneur sans nom – mais ne va pas au bout de ce qui est pourtant apparu comme la vérité. Latifa Ibn Ziaten a raison lorsqu’elle dit : « On est trop naïf en France. Il faut qu’on se réveille pour protéger notre pays, pour protéger nos enfants (…) Dans moins de quinze ans, il (Abdelkader Merah) sera dans la rue et sera un danger pour nos jeunes. » Faisons en sorte que sa mise en garde ne soit pas vaine.

Ils ne sont pas morts pour rien

Heureusement, elle se trompe tout de même sur un point essentiel. Son fils n’est pas mort pour rien. Il est mort debout, il n’a pas plié devant celui qui avait choisi d’incarner la monstruosité, il a regardé bien en face son ennemi, il a prouvé avec panache que l’honneur a encore un sens. Et ce n’est pas rien, au pays d’Henri IV, de Surcouf, de Danton, de Jean Moulin, du mot de Cambronne, de d’Artagnan et de Cyrano ! Imad a refusé de s’allonger sous la menace, puisque la mort était en chemin, il l’a attendue debout, et l’épée à la main.

Et Myriam, retournée ramasser son cartable, ce qui à nos yeux d’adultes est dérisoire et absurde, mais que savons-nous de ce que cela représentait pour elle ? Que savons-nous de cet élan de courage, qui n’efface en rien l’horreur et la tragédie, de cette petite fille qui est allée chercher l’écharpe blanche en ce lieu que la mitraille cribla ?

Et Jonathan, touché en tentant de protéger ses fils, d’être leur bouclier même au prix de sa vie, père jusqu’au bout dans ce qu’un père peut avoir de plus grand ?

Chacun à leur façon, ils se sont battus. Ils ont démontré qu’il y a d’autres choix que d’un côté le faux courage de l’ivresse sanguinaire des djihadistes, et de l’autre la lâcheté molle et la passivité. Que ce soit ainsi que l’on se souvienne d’eux, que leurs mémoires soient sans un pli, sans une tache, et que leur salut balaie largement le seuil bleu. Que comme le héros de Rostand, mais bien réels, ils incarnent à jamais ce que la France a de meilleur, ce que l’humanité a de plus haut, que leur courage ait été celui d’une enfant, d’un soldat ou d’un père, qu’ils aient été musulmans, chrétiens ou juifs.

Imad Ibn Ziaten.

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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