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Procès Abdelkader Merah: pourquoi le verdict est logique


Procès Abdelkader Merah: pourquoi le verdict est logique
Eric Dupond-Moretti, l'avocat d'Abdelkader Merah, 2 novembre 2017 à Paris. SIPA. AP22124947_000002

La cour d’assises spéciale de Paris, qui ne comprend que les magistrats professionnels, a donc rendu son verdict dans le procès d’Abdelkader Merah. Des deux chefs d’accusation qui pesaient sur lui, complicité d’assassinat et association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste, seul le second a été retenu et la peine maximum possible lui a été infligée. Il a donc été acquitté de la complicité dans les abominations commises par son frère. Pour des raisons tellement compréhensibles, compte tenu de l’infamie absolue des crimes commis, du caractère repoussant de cette famille Merah, et du terrible déroulement de l’audience, cette décision a été accueillie par une énorme clameur de rage. Si l’on peut comprendre et surtout partager l’émotion, les sentiments et la passion, il est cependant nécessaire de se reprendre.

La justice n’est pas une vendetta

Pour qui, comme moi, est attaché aux libertés civiles, le mois qui vient s’écouler a été particulièrement éprouvant. Il y a eu le dossier de Pontoise, le déchaînement d’une guerre des sexes avec l’affaire Weinstein et ses conséquences, les accusations contre Tariq Ramadan sur fond de guerre de religion, l’antisémitisme musulman débridé, la promulgation de la loi qui pérennise l’état d’urgence dans le droit commun, avec en parallèle le déroulement du procès Merah et son verdict en point d’orgue. Le point commun de tous ces sujets qui enflamment l’opinion, et qui sont autant de questions politiques, c’est que l’on demande à la justice de les traiter en poursuivant des objectifs qui ne sont pas les siens.

Il faut marteler encore et encore que la justice d’un pays civilisé n’est pas là pour organiser des catharsis, « reconnaître » comme victime, permettre de faire le deuil, ou de se reconstruire. Elle n’est pas là non plus pour mener une guerre contre une religion ou une idéologie, pour réprimer la liberté de penser en fouillant dans les crânes, et accompagner l’opinion publique dans ses emportements. La justice pénale exerce, au nom de l’État, la violence légitime contre les individus qui ont transgressé gravement la règle commune.

La mise à mort de la présomption d’innocence

Pour ce faire et afin que ses décisions soient légitimes et acceptées par le corps social, la justice doit agir en appliquant rigoureusement des règles et des principes qui protègent à la fois les individus – en particulier les innocents – et aussi la société. Depuis un mois, la présomption d’innocence, qui est une liberté protégée et pas seulement une incantation, a été simplement déchiquetée tous les jours, dans une ambiance de guerre civile irrespirable. Et l’application scrupuleuse de ces règles à l’occasion du procès Abdelkader Merah est considérée comme une infamie.

Éric Dupond-Moretti est un confrère de talent même si, par tempérament, et peut-être prisonnier de l’image médiatique qu’il a contribuée à forger, il utilise toujours le même registre : celui du taureau dans l’arène. Dans un dossier comme celui-là, l’objectif, c’est-à-dire l’acquittement possible qu’il était de son devoir de plaider, aurait peut-être mérité un autre traitement, pour la même efficacité. C’est son problème, mais cela ne justifie en aucun cas les injures, quolibets et menaces dont il a été l’objet. Massivement, au travers de sa personne, a été contesté le principe même qu’Abdelkader Merah soit défendu. « Avocat complice ! », a hurlé la clameur ! Quelle régression !

C’était le procès d’un Merah, pas de l’autre

Les magistrats ont, quant à eux, été copieusement insultés, traités de lâches, de soumis, voire de complices. Alors qu’ils ont fait leur devoir, et plutôt bien. Parce qu’il convient quand même de rappeler les rôles respectifs. La procédure a duré cinq années, et fut conduite sous la responsabilité du pôle antiterroriste, sur réquisitions du parquet du même nom. Ce sont ces magistrats-là dont ceux du parquet dépendent, il faut le répéter, du pouvoir exécutif, qui ont voulu ce procès, celui du frère de l’assassin qui s’est fatalement transformé en celui de Mohamed Merah. Ce décentrement était-il voulu, inévitable ? Je n’en sais rien, mais il est clair qu’il est à l’origine de la passion qui s’est exprimée tout au long de ces semaines, et il faut rendre hommage aux magistrats du siège de n’y avoir pas cédé et d’avoir gardé suffisamment de sang-froid pour prendre une décision digne d’une justice régulière. Je ne peux pas jurer que j’en aurais été capable.

Quels étaient les outils dont ils devaient user, au-delà de leur conscience, pour accomplir leur mission. En respectant les principes de la charge de la preuve et du bénéfice du doute pour l’accusé, ils devaient construire une « vérité judiciaire » pour servir de base à leur décision. L’ordonnance de mise en accusation d’Abdelkader Merah leur disait que celui-ci pourrait être coupable de complicité avec son frère dans l’accomplissement de ses tueries. C’était à eux de l’apprécier après avoir pris connaissance de l’entier dossier, que ce soit par sa lecture ou le déroulement des audiences, entendu le parquet dire oui et la défense non.

Curieusement, dans la bouche ou sous la plume de ceux qui insultent les juges et proclament l’évidence de la complicité d’Abdelkader Merah, je n’ai vu personne rappeler ce qu’était la complicité en matière pénale, celle qui expose le complice aux mêmes peines que l’auteur principal. Voilà ce que dit l’article L121-7 du Code Pénal : « Est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. » La simple lecture de cet alinéa suffit à comprendre qu’il faut des « actes positifs » identifiés de façon irréfutable. On peut tout à fait penser, comme je ne suis pas loin de le faire, que l’infect individu que semble être le frère Merah, savait ce que son frère préparait, l’a peut-être même incité, mais il n’a pas été possible d’identifier et d’établir ces faits précis, qui auraient constitué la complicité. Et s’il est établi que c’est lui qui l’a endoctriné, ce n’est pas de la complicité.

La naïveté des politiques, pas de la justice

La mère d’une des victimes de Merah, Madame Ibn Ziaten, qui mérite notre admiration et notre respect, a dit après le verdict que nous étions naïfs. Ce n’est pas la justice, Madame, qui est naïve – elle vient de montrer qu’elle était capable de remplir sa mission – mais un pouvoir politique plutôt incompétent et lâche qui a laissé se créer des situations inacceptables et dangereuses. Guidé par de petits calculs, défendant des intérêts obscurs, et sous la pression de groupuscules ineptes, il laisse s’installer les prodromes d’une guerre civile. Conscient que ses multiples démissions sont insupportables, il se défausse sur la justice, la laissant sans état d’âme se transformer en bouc-émissaire. Au prix de l’affaiblissement, voire de la destruction des règles qui protègent nos libertés à tous. Après une longue vie passée à les défendre, je pensais le temps venu de poser mon sac. Je constate avec tristesse que je dois continuer à le porter et qu’il est malheureusement plus lourd. Pas seulement parce que je suis moins leste.

Abdelkader Merah nous haït et tout ce que nous représentons. Il ne reconnaît pas notre justice. Eh celle-ci vient de lui dire qu’elle ne condamnait pas sans preuve, même le pire des hommes. Je pense que c’est pour cela que nous nous battons.



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