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Apologie du parachutage


Alors comme ça il faut s’offusquer. Dénoncer, quasi s’indigner. De quoi ? Mais enfin, de l’annonce du parachutage d’un certain nombre de personnalités dans des circonscriptions dont ils ne sont pas natifs, ou dans laquelle ils ne militent pas depuis 1912. C’est en tous les cas ce qui monte depuis quelques jours, alors que Jack Lang quitte le Pas-de-Calais pour une terre inconnue et que Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur vient d’annoncer sa candidature aux législatives à Boulogne-Billancourt.

Reprenons, Jack Lang, 72 ans, a refusé de se présenter au vote des militants dans sa circonscription nordiste et est donc, sans terre d’élection fixe depuis quelques semaines. Lui assure que Hollande lui a promis qu’on ne pouvait se passer de lui, et qu’on lui trouverait une bonne terre prête à l’accueillir avec ses cols mao, ses costards Thierry Mugler et son rejécolor violine.

Et depuis les bonnes âmes socialistes hurlent : quoi on l’annonce dans le Jura, bouh on le voit rôder dans les Vosges, ahhh, le voici dans la Somme. Avec toujours cette phrase qui fait peur : il est parachuté, au mépris des militants locaux qui veulent eux un candidat légitime issu de leurs rangs, un brave kéké (ou Titi selon l’appellation locale contrôlée) local qui connaît le terroir mieux que sa poche. Certes, l’argument peut se défendre. Mais on voit bien que ce qui peut faire grincer dans la candidature de Lang, ce n’est pas le parachutage qui mépriserait le travail de fourmi de militants locaux.

C’est la candidature de Lang elle-même. Trop vieilli, usé, fatigué. Socialisme amateur de fête de la musique, d’un autre âge. Seulement, à gauche on n’ose jamais tellement aller jusqu’au bout de la logique. On ne tire pas contre son camp, on fait de l’ironie sur touitteur, c’est plus chic. D’ailleurs, nous ne sommes pas la dernière à faire des blagues à ce sujet.
Mais je le dis solennellement, si Jack Lang veut venir dans les Vosges, il est le bienvenu : d’abord il est né à Mirecourt (sous préfecture de la plaine), il a présidé aux destinées d’administrés d’origine modeste à Boulogne, et il habite place des Vosges à Paris. Voilà trop de signes ! Jack Lang avec nous.

Des parachutés, à gauche comme à droite, il y en a des palanquées : Mitterrand et la Nièvre, Guigou et la Seine-Saint-Denis, Ségolène Royal et La Rochelle pour la prochaine législature, François Hollande et la Corrèze. Merci de compléter la liste…
Moralement, quel est le problème ? Ne s’agit-il pas de trouver le meilleur élu pour le meilleur territoire ? S’il s’agit de prendre un accent et de dire « j’adooooore la tête de veau » au marché aux bestiaux de Saint-Christophe en Brionnais à 5 heures du matin, ce n’est pas une question de génétique familiale. Quoique pour aimer, ou feindre d’aimer ça, bon… C’est à la portée de la, ou du premier venu.

Et puis, le député n’est-il pas, le député de la Nation et non pas de sa circonscription microscopique ? Même si je sais bien que dans les faits, on s’intéresse aux agriculteurs quand ils constituent la majorité de vos électeurs, ou aux bobos si c’est le cas.
Il n’y a qu’un cas où le parachutage me défrise : quand on dégage un ou une élue de longue date d’une circo sûre pour mettre un ami d’un parti avec qui on a signé des accords électoraux. Genre Duflot à Paris, pour faire plaisir aux partenaires d’EE-Les Verts et leur permettre de faire leur entrée en grande pompe à l’Assemblée nationale, sans trop avoir à mouiller la chemise bio.

Enfin, examinons le cas du ministre de l’Intérieur, Claude Guéant qui vient d’annoncer sa candidature à Boulogne Billancourt, dans la 9ème circonscription des Hauts de Seine. François Bayrou, candidat Modem à la présidentielle a immédiatement dénoncé sur RTL « la stratégie de ces partis provisoirement dominants qui profitent de leur puissance supposée pour aller parachuter des candidats qui n’ont aucun lien avec le terrain qu’ils représenteront. » Aucun lien ? Diantre. Guéant a déjà fait savoir qu’il était très attaché à Boulogne, qu’il y a passé beaucoup de temps dans sa « vie d’adulte. » Dans deux minutes, il nous sort le nom de son bar PMU favori pour montrer qu’il n’ignore rien du territoire, ni du Monoprix de Marcel Sembat.
A gauche d’ailleurs, la hiérarchie du PS ne critique pas le parachutage : on se félicite plutôt qu’un ministre, grand haut fonctionnaire, aille se frotter au suffrage universel. Y compris dans une zone où on ne craint pas les tirs de DCA…

L’UMP annoncera ses candidats pour les législatives le 28 janvier, au PS c’est quasi bouclé sauf quelques cas encore en débat (comme celui de Lang donc). D’ici là amis parachutés, repassez bien votre matériel, pliez le soigneusement, une fois sorti de l’avion en cas de pépin, seul Saint Michel peut vous venir en aide. Mais avec un petit effort de gentillesse, une pointe d’accent –y compris dans le 92- et ce qu’il faut d’autorité, dans quelques années, on racontera que votre grand-mère déjà arpentait le marché local pour vendre ses œufs au petit matin. Un joli chapitre du roman politique familial local, que personne ne prendra soin de vérifier. On est en France, il ne faut pas l’oublier.



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