Accueil Édition Abonné Avril 2017 Marine Le Pen: « Les Français ont parfois l’impression de ne plus être chez eux »

Marine Le Pen: « Les Français ont parfois l’impression de ne plus être chez eux »


Marine Le Pen: « Les Français ont parfois l’impression de ne plus être chez eux »
Marine Le Pen. Photo: Hannah Assouline
Marine Le Pen. Photo: Hannah Assouline

De nombreux citoyens français affichent leur hostilité à la France et à ses mœurs. On leur demande de s’intégrer mais à quoi doivent-ils s’intégrer ? S’il existe une « culture de référence » en quels termes la définissez-vous ? Et que ferez-vous pour la défendre ?

Je veux promouvoir l’assimilation républicaine, plus exigeante que l’intégration qui, par son ambiguïté, laisse place à des communautés certes intégrées, mais séparées. Je ferai inscrire dans la Constitution que « la République ne reconnaît aucune communauté ». Ainsi, la laïcité pourra être étendue à l’ensemble de l’espace public et protégée par le Code du travail. Les chefs d’entreprise ne doivent plus être soumis à d’incessantes revendications religieuses.

Et puis, comment voulez-vous que des citoyens français d’origine étrangère soient tentés de s’assimiler, et même de s’intégrer d’ailleurs, dans la nation française quand un Emmanuel Macron proclame qu’il n’y a pas de culture française, qu’il n’y a pas d’art français, pire que la France aurait commis des crimes contre l’humanité ? Il faut d’abord en finir avec ce dénigrement de la France par ses élites mondialisées. Je ne veux plus de ces repentances d’État qui divisent les Français entre eux. Au contraire, je veux une France fière d’elle-même, de son histoire et de sa langue. Pour vivre pleinement sa citoyenneté, un citoyen français doit posséder la langue française. À l’école primaire, la moitié du temps d’enseignement doit être réservée au français. Je dis bien « au français », et non « en français », comme essayent de le faire croire mes adversaires. Par ailleurs, je supprimerai « l’enseignement des langues et cultures d’origine » (ELCO), qui enferme les enfants dans une démarche communautariste.

Enfin, le retour à la croissance et à l’emploi éliminera bien des frustrations, d’autant qu’il profitera en premier lieu aux Français quelles que soient leurs origines ou leur religion. En effet, j’aurai inscrit la priorité nationale dans la Constitution. Il en résultera toute une législation qui mettra fin à la préférence étrangère, à la directive « Travailleurs détachés ».

>> A lire aussi: Marine Le Pen: “J’interdirai le drapeau européen sur les bâtiments officiels” – Notre entretien exclusif sur la France (1/2)

Nous avons déjà évoqué vos propositions (voir Causeur N°42). Dans vos meetings, il y a des gens très à cran sur ces sujets. Voyez-vous la xénophobie et le racisme progresser ?

Les Français sont inquiets devant la montée du communautarisme qui se développe, devant les zones de non-droit qui s’étendent, à moins qu’il s’agisse de l’emprise d’un autre droit, devant le terrorisme, devant les droits des femmes qui reculent. Ils ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux, c’est-à-dire en France, pays de liberté et d’égalité. De ce point de vue, le voile est sûrement l’un des signes qui concrétisent le mieux ce sentiment de dépossession.

Il ne s’agit donc ni de racisme ni de xénophobie. Les Français restent l’un des peuples les plus accueillants et généreux du monde. Ils souhaitent simplement conserver leur mode de vie ou, tout au moins, qu’il évolue au rythme et de la manière qu’ils décident par eux-mêmes. Ils ne veulent pas que leur soient imposés des changements et surtout un changement de civilisation. Ils sont très attachés à la laïcité et à la neutralité de l’espace public. Devant la trahison de leurs élites qui prônent le multiculturalisme et autres fariboles du « vivre-ensemble », monte une exaspération certaine et parfois même de la colère. Que les mondialistes se croient alors autorisés à insulter ce[access capability= »lire_inedits »] peuple qu’ils méprisent n’a rien d’étonnant.

La crise de l’intégration est largement une crise de l’֤École, autre sujet très absent du débat. Sur TF1, on a surtout parlé d’apprentissage. Quelles sont les premières mesures que vous prendriez dans ce domaine ?

J’ai déjà mentionné un certain nombre de mesures. L’important, c’est qu’il faut restaurer l’École de la République, la remettre sur ses pieds. Il faut en finir avec le pédagogisme qui la mine et qui la ruine. L’École n’est pas un lieu de vie dans lequel l’enfant construit son savoir de manière ludique et festive, entouré de gentils animateurs qui l’encouragent en lui distribuant des smileys. Au centre de l’École, doit se trouver la transmission des connaissances, accumulées par l’humanité depuis des millénaires. Le maître qui sait doit être respecté par l’élève qui apprend. Le maître a toujours raison, sauf s’il est démontré qu’il a tort. Il est soutenu par principe par sa hiérarchie. Apprendre est une ascèse qui demande de l’effort et de la discipline.

Je reprendrai la belle formule de Jean Zay : « Faire de l’école un asile inviolable où les querelles des hommes n’entrent pas. » J’y imposerai donc non seulement la laïcité, mais également la neutralité et la sécurité. Elle ne doit pas être un lieu d’exhibition de la mode et des marques commerciales. L’instauration du port de l’uniforme évitera ces dérives. Bien sûr, je reviendrai sur la désastreuse réforme des rythmes scolaires. L’université passera d’une sélection par l’échec à une sélection au mérite. Les bourses au mérite y seront revalorisées. Je refuserai le tirage au sort comme moyen de sélection. Je défendrai le modèle d’enseignement supérieur français, qui passe par la complémentarité de l’université et des grandes écoles.

Rien sur l’égalité des chances et les enfants des milieux les moins favorisés ?

Cette École de l’exigence, du primaire à l’université, rétablira seule l’égalité des chances entre les enfants des milieux culturellement défavorisés et les autres. Seule, elle permettra de remettre en route l’ascenseur social. Seule, elle conduira les enfants de l’immigration à s’assimiler dans le peuple français en trouvant leurs places dans la République. Je veux une École de la sélection des meilleurs par la promotion de tous. Aujourd’hui, les plus démunis sont les premières victimes de laxisme et de laisser-aller. Les enfants qui profitent d’un héritage culturel et ceux dont les parents ont des relations, eux, s’en sortent bien.

Vous prônez le retour à une souveraineté stricte qui permettrait à la France de défendre ses intérêts. Mais la seule défense de ses intérêts peut-elle tenir lieu de politique à un grand pays comme la France ? La souveraineté dispense-t-elle du souci du monde ?

La souveraineté est la condition pour avoir un souci du monde qui ne se limite pas à de beaux discours aussi creux que verbeux. La défense des intérêts nationaux légitimes permet de conserver les moyens de la grande puissance que la France est encore. Bien qu’affaiblie, elle conserve le cinquième ou le sixième rang économique mondial. Elle détient une force de dissuasion nucléaire. Elle possède un siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU avec le droit de veto qui lui est lié. Sa langue est l’une des langues de travail international. Il ne manque à la France que la confiance en elle-même.

Vous avez prononcé ce mot plusieurs fois. Mais la confiance ne se décrète pas…

Cette confiance, c’est d’abord le président de la République qui doit la rendre à la nation. C’est pour cela que je ne serai ni le gouverneur d’un territoire de l’Europe ni le vice-chancelier d’Angela Merkel. Je n’irai pas à Berlin pour faire un concours d’allégeance servile tel un Emanuel Macron ou tel un François Fillon. Je suis allée à Moscou pour dire à Vladimir Poutine que je souhaite que la France et la Russie retrouvent leurs liens traditionnels de coopération. Comme je l’ai dit quelques jours auparavant aux présidents libanais et tchadien qui m’ont reçue. Élue, j’annoncerai au monde la bonne nouvelle : la France est de retour. Les peuples du monde peuvent à nouveau compter sur elle.

La construction européenne a été explicitement menée dans le but de dépasser la nation, considérée comme porteuse de violence et de guerre. Et de fait, nous avons connu plus d’un demi-siècle de paix. Alors que les motifs de tensions entre nations se multiplient, pensez-vous que notre sortie de l’UE sera de nature à les apaiser ? Et comment distinguez-vous le patriotisme du nationalisme obtus ?

Pendant les quarante années de la Guerre froide, la paix a été maintenue par l’équilibre de la terreur nucléaire. L’Europe n’y était pour rien. Lorsque la Yougoslavie a commencé à se désagréger, l’Union européenne n’a su ni prévenir ni empêcher sa décomposition sanglante. Au contraire, seulement quelques semaines après la conférence de Maastricht, l’Allemagne a reconnu toute seule l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie, déclenchant le funeste engrenage. Le feu couve toujours, notamment en Bosnie et au Kosovo. Aujourd’hui encore, l’Union européenne ne sait que mettre de l’huile sur le feu en Ukraine, alors que cette question très complexe demanderait beaucoup d’intelligence et de discernement. Et puis l’UE a déclenché une véritable guerre économique entre les nations qui la composent. Elle a des conséquences dramatiques pour certains pays, et engendre la montée des ressentiments. Il faut aujourd’hui se lever tôt pour oser dire que l’Union européenne apporte la paix quand on voit ces pays qui de plus en plus se regardent avec méfiance…

En retrouvant sa liberté, la France pourra de nouveau défendre ses intérêts nationaux légitimes, et non le rêve d’un intérêt général européen. Nous ne serons plus à la remorque de l’Allemagne qui, elle, défend les siens, en fonction de son implosion démographique et de sa situation au cœur de la Mitteleuropa. Or, depuis quarante ans, nos dirigeants ne conçoivent même plus que la France puisse avoir des intérêts nationaux. Si le nationalisme méconnaît les intérêts des autres, voire les dénie, le patriotisme consiste à défendre les siens tout en reconnaissant aux autres le droit de faire de même. Alors, peuvent s’engager des coopérations mutuellement avantageuses.

Vous pensez que les classes populaires sont intégralement hostiles à la mondialisation. C’est vrai quand votre usine est délocalisée. Mais la plupart des gens ont recours au low cost et trouvent normal d’acheter leur iPhone au prix du travail chinois. Croyez-vous qu’ils soient prêts à payer le prix d’un certain protectionnisme industriel ?

Mon protectionnisme est intelligent. Ce ne sont pas des barrières et des barbelés. Ce sont des écluses mises en place progressivement. Puisque, entre les pays, il existe des différences de niveaux de salaires, de protection sociale et de normes environnementales, j’installerai des écluses pour que s’établisse une équivalence de prix pour des produits ayant une équivalence d’usage. La concurrence alors loyale portera sur les produits eux-mêmes, et non plus sur les producteurs. Si, donc, un produit n’est pas fabriqué en France, il n’y aura pas d’écluse pour lui. Si un entrepreneur s’engage à le fabriquer en France, l’État sera tenu d’établir une écluse au moment opportun pour que les termes de l’échange soient équitables. J’installerai aussi un patriotisme économique pour que les entreprises françaises et donc l’emploi français soient favorisés, notamment pour les commandes publiques. Le retour à l’emploi sera bon pour le pouvoir d’achat, tout en permettant l’allègement des charges sociales.

Ce mode de fonctionnement de l’État stratège pour réindustrialiser la France demandera de la concertation avec les entreprises et de la pédagogie en direction des consommateurs. Mais je fais confiance à l’intelligence de nos compatriotes pour comprendre que les produits importés à bas coût, c’est plus de chômage et moins de protection sociale en France, ce sont aussi des salaires et des retraites plus bas pour eux. Faire fabriquer des produits bon marché par des esclaves pour des chômeurs, c’est une spirale infernale qui ne peut que mal finir.

Pour résumer, et conclure, en quelques mots, qu’est-ce qui fait de nous un peuple ?

Nous sommes un peuple par l’amour de la France dans sa continuité millénaire exprimée dans une langue et incarnée par la République. C’est-à-dire par ce lien organique entre la souveraineté de la nation et la citoyenneté de chaque Français. C’est précisément ce lien que veulent détruire tous ces candidats européistes en invoquant une Europe qui n’existe pas et qui ne peut exister. Car il n’y a ni peuple européen, ni langue européenne, ni citoyenneté européenne. Et il n’y en aura pas à un horizon historique discernable. Il ne peut donc y avoir de souveraineté européenne. Il existe un continent européen avec des nations différentes, qui partagent des valeurs proches et des intérêts communs, et peuvent coopérer librement pour leur avantage mutuel. Le souverainisme européen, dont parle Emmanuel Macron, est une escroquerie intellectuelle.[/access]

Avril 2017 - #45

Article extrait du Magazine Causeur




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