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Trump: déraper n’est pas jouer


Trump: déraper n’est pas jouer
Le président élu Donald Trump invective un journaliste lors d'une conférence de presse à New-York, janvier 2017. SIPA. 00788209_000005
Le président élu Donald Trump invective un journaliste lors d'une conférence de presse à New-York, janvier 2017. SIPA. 00788209_000005

Même ceux qui ont bien accueilli l’élection de Donald Trump, ou qui ont apprécié la manière dont il constitue son équipe, déplorent la grossièreté et la brutalité de ses propos de campagne, sur les femmes, sur les Latinos, sur les musulmans, voire sur les noirs. Racisme, machisme, islamophobie: le nouveau président a tout pour plaire !

Si Donald Trump s’avère un bon président, ce sera donc malgré ses foucades qui ont fait scandale. Mais comment ne pas voir que, sans ces foucades, il n’aurait pas été président du tout ?

Excellent acteur, il a su donner l’impression que ses éclats étaient les débordements  involontaires d’un tempérament incontrôlé. Mais il s’agissait là d’une illusion : tout cela a été  bien évidemment fait exprès. Non qu’il ait été complètement insincère. Mais il ne se « lâchait » que selon un plan bien établi. La preuve: depuis qu’il est élu, alors même qu’il  tient  de nombreuses  réunions de remerciements, on n’entend plus rien de ce genre.

Du déjà vu en France mais…

Donald Trump a ainsi été le pionnier d’un nouveau mode de communication par le dérapage. Chaque fois, ses dérapages ont suscité des concerts d’indignation d’un bout à l’autre du  pays. Mais, au moins, le message n’est pas passé inaperçu. Il n’était pas pour autant à prendre à la lettre : « j’interdirai l’entrée des musulmans sur le territoire des Etats-Unis » signifiait « je serai ferme contre le terrorisme ». Dans le bruit de fond de l’univers médiatique, s’il n’avait pas exagéré, personne ne l’aurait entendu. Double résultat : ceux qui pensaient comme lui recevaient le message 5/5; les médias dominants, quant à eux,   donnaient par leur indignation même l’écho maximum à son message.

Cela, à vrai dire, n’est pas tout à fait nouveau. Volontairement ou pas, Nicolas Sarkozy s’était déjà essayé à ce mode de communication: sa déclaration contre les « racailles » ou sa promesse de passer les banlieues au « Karcher »  qui avaient soulevé l’indignation, n’avaient pas fait peu pour le faire élire en 2007. Devenu président, il laissait, de temps en temps,  Nadine Morano ou d’autres lâcher quelques énormités qui occupaient quelque temps le devant de la scène. Mais cette veine était épuisée lors de la primaire de droite  faute qu’il ait eu encore quelque crédibilité.

Le récent dérapage de Vincent Peillon, comparant aux porteurs de l’étoile jaune les musulmans de France, loin d’être involontaire, visait à amadouer ces derniers que ses origines juives risquaient de lui aliéner.

…Trump, lui, a fait de la transgression un système

Mais seul Donald Trump a utilisé de manière systématique cette méthode, au point  d’occuper  plusieurs  fois par semaine le devant de la scène médiatique. Presque toute sa stratégie de communication a été fondée sur les transgressions.

Cela a certes été noté par des observateurs, mais on n’a pas dit en revanche que cette stratégie de transgression n’a été rendue possible que par l’emprise considérable prise au fil des ans par l’idéologie du « politiquement correct ». Une emprise plus forte encore aux Etats-Unis que chez nous et qui a abouti à multiplier sur toute une série de sujets les tabous, les interdits, les lignes rouges.

Des interdits gardés surtout par les grands médias, qui lui étaient presque tous hostiles, mais  encore par les entreprises ou les universités qui excluent de plus en plus ceux qui s’écartent de la pensée unique. Malgré le 1er amendement, la judiciarisation de la police de la pensée  s’est elle aussi développée. Au fil des ans, les sociétés occidentales ont instauré un monolithisme qui n’aura bientôt plus rien à envier à celui des anciennes sociétés totalitaires.

Ce monolithisme est de nature idéologique. Il concerne toute une série de champs: la question raciale, la question religieuse, la question dite des « orientations sexuelles » , bientôt celle du réchauffement climatique, où seules sont admises les opinions dominantes. Ceux qui ne la suivent pas n’ont aucune chance qu’on leur propose un dialogue argumenté: ils ne peuvent attendre que l’excommunication violente, l’injure sous la forme de la reductio ad hitlerum.

Ceux qui respectent les codes sont ennuyeux

De plus en plus, tous les champs de l’action politique se trouvent envahis par une forme ou une autre de pensée unique. Jusqu’à la question du réchauffement climatique: Donald Trump a aussi fait scandale en le mettant en doute.

Le résultat de cette pétrification idéologique des discours est en premier lieu que ceux qui respectent les codes imposés deviennent ennuyeux. Ennuyeux parce qu’ils ne tiendront que des propos convenus et se cantonneront au moralisme ambiant, ennuyeux parce que le public sentira confusément qu’en se montrant si respectueux des codes établis, ils font   preuve d’un caractère terne et conformiste, voire d’un esprit timoré. La peur est toujours  disqualifiante pour qui veut exercer une forme ou une autre de leadership. Il en est de même de la langue de bois, signe de  soumission. L’empire du politiquement correct est une des raisons du discrédit actuel des classes dirigeantes occidentales.

Ce constat a son revers: tous ceux qui auront l’audace de bousculer les tabous se distinguent  de la grisaille. Ils n’auront rien à gagner à y mettre les formes: par son simple contenu, la transgression, en matière de racisme, de sexisme, de climat, garantit le scandale. Autant donc en rajouter si le but est de tirer parti du bruit qui en résultera. De toute façon, la réaction sera violente. Inutile de prendre des gants.

La parole libérée… pour le meilleur et pour le pire

La transgression n’a pas seulement pour effet de faire du bruit: elle fait apparaître le candidat comme l’homme qui ose dire tout fort ce que beaucoup pensent tout bas ou n’osent même plus le penser du tout  par un effet de refoulement. Le transgresseur apparaît ainsi comme un leader et, ce faisant, comme un libérateur, pour le meilleur mais aussi parfois pour le pire. Pour le meilleur s’agissant de réhabiliter une parole libre, nécessaire à  toute  démocratie, pour le pire s’agissant le cas échéant du contenu exprimé.

Reste  à  savoir si Trump fera des émules. En Europe, la France est un des rares pays qui élit au suffrage direct son dirigeant suprême, de par la volonté du général de Gaulle (d’autres pays européens élisent au suffrage universel le chef de l’Etat: Finlande, Autriche, Pologne, Portugal,… mais sans leur conférer des pouvoirs importants comme en France). L’actuelle  campagne présidentielle ne semble pas montrer une dérive de ce type. Parce que la pression du politiquement correct serait moins grande en France ? Ce n’est pas sûr. Il est vrai que  Marine Le Pen se pose comme Donald Trump en dehors de l’ « establishment » mais à la différence de ce dernier, elle semble avoir du mal à l’assumer. Elle hérite certes du bénéfice des transgressions de son père mais a le souci d’en gommer le souvenir pour  regagner de la respectabilité. Les autres candidats, tous produits du sérail à la différence de Donald Trump, restent pour le moment dans le genre lisse. Peut-être faudra-t-il attendre une nouvelle génération pour que soit entièrement tirée la leçon de l’élection de Trump, à moins qu’un   relâchement de la pression idéologique et donc de la censure ne ramène la démocratie sur des voies plus civilisées.



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est essayiste.

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