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Aphatie pose les bonnes questions…


Aphatie pose les bonnes questions…

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Après l’élection de Donald Trump, le journaliste Jean-Michel Aphatie a déclaré qu’il fallait « s’interroger quelquefois sur le suffrage universel ». C’était le scandale : tout le monde a compris ce que le chroniqueur de franceinfo.tv voulait dire : les peuples sont trop cons. Aphatie a bien évidement tout faux. Le rôle du suffrage universel n’est pas de fabriquer des bonnes décisions, c’est-à-dire d’avoir raison, mais de fabriquer des décisions, des choix légitimes, c’est-à-dire de se faire obéir par tout le monde, y compris ceux qui ne sont pas d’accord.

Pour le moment nous ne connaissons pas d’autres mécanismes permettant de créer de la légitimité hormis la démocratie ou, pour être exact, la démocratie libérale. Cette précision n’est pas anodine. Notre démocratie n’est pas uniquement un système où le peuple souverain s’exprime et la majorité impose ses choix. Notre démocratie est libérale parce qu’elle ne permet pas à la majorité de tout faire. Et ce ne sont pas les institutions – opposition parlementaire, cour constitutionnelle – qui limitent la majorité, mais certaines valeurs, certaines libertés. Et qui décide de ces libertés ? Aussi surprenant que cela puisse être, il s’agit des libertés inaliénables cautionnées par… Dieu, la Nature ou l’Être suprême. Pour les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), ce sont des « droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme ».

Quant aux pères fondateurs des États-Unis, ils y sont allés franchement : « Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. »[access capability= »lire_inedits »] Pour les fondateurs de nos démocraties, si la majorité ne peut pas tout faire, c’est parce que certaines choses lui échappent car évidentes, naturelles ou octroyées par le Tout-Puissant. C’est donc aussi longtemps que nous sommes prêts à accepter que les libertés fondamentales sont extérieures à notre système et qu’on ne peut pas agir sur elles que nous sommes protégés de la menace principale qui guette la démocratie : devenir une dictature de la majorité. Oui, vous avez bien lu. Pas d’arguments raisonnés, pas de démonstration logique. Certaines choses sont taboues car l’Ami invisible l’avait dit ! Sans le savoir nous vivons dans une démocratie de droit divin.

Or, depuis plus d’un siècle, l’essentiel du travail intellectuel en Occident avait comme objectif de rendre impossible de telles évidences. En effet, comment peut-on accepter que des hommes blancs du xviiie siècle, certains esclavagistes d’autres misogynes, nous imposent des évidences ? Nous avons appris à déconstruire des évidences pour les exposer pour ce qu’elles sont : des idéologies masquant et justifiant de rapports de force et de système d’exploitation. Et puisque nous sommes si critiques et sophistiqués, au nom de quoi peut-on empêcher une majorité légale à voter des valeurs et des libertés ? Au nom de quoi peut-on se dresser contre le suffrage universel et lui dire non ? Sans le vouloir ni le savoir, Jean-Michel Aphatie a posé une excellente question, la plus difficile et la plus brûlante de notre temps.[/access]



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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