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Compte à rebours


photo : KaCey97007 (Flickr)

Apprendre qu’on est atteint d’une maladie incurable, vivre avec l’idée que le temps a commencé à s’écouler dans le sablier de la vie est l’une des expériences les plus difficiles auxquelles un homme puisse être confronté. Socialement, le malade est assigné à résidence dans un sas, voire un couloir de la mort : même s’il est encore en bonne condition physique, il n’est plus considéré comme un membre à part entière de la société des vivants. Un embarras épais complique ses rapports avec les autres, surtout avec ceux qui n’appartiennent pas au premier cercle de ses proches. Une fois au courant de la « situation », collègues, voisins et connaissances ne savent que faire. Faute de mieux, ils choisissent le plus souvent la commisération ou l’évitement.

Ben-Tzion Karsh, professeur de psychologie et de technologie américain de 39 ans, vient lui-même d’entrer dans ce « sas » sans issue. Dans une lettre adressée à ses proches, il attaque de front ce problème épouvantable, et apparemment insoluble, avec courage, franchise et, disons-le, méthode. Un de ses collègues, le professeur Yoel Dunchin de l’Université de Tel-Aviv, a obtenu l’autorisation de publier cette lettre dans un blog qu’il tient dans le quotidien israélien Haaretz, d’où nous l’avons traduite.

Cher amis,

Mon cancer est de retour et les médecins m’ont annoncé qu’il est incurable. Personne ne peut dire combien de temps il me reste à vivre car cela dépend d’une multitude de variables, notamment ma réaction au nouveau traitement que je viens de commencer.

Pour le moment je me sens bien. Je travaille, fais du sport et profite de chaque instant. Depuis que je suis au courant de ma situation, c’est-à-dire une semaine, j’ai dîné en ville avec des amis et suis sorti en famille. Comme je l’ai déjà dit, je me sens tout à fait normal. Je connais des gens qui, à la surprise générale, ont vécu plusieurs années après qu’on leur a annoncé des pronostics encore plus alarmistes que le mien mais je n’ignore pas que la plupart des condamnés sont moins chanceux. En ce qui me concerne, l’avenir nous le dira, mais il est important de profiter pleinement du temps qui me reste.

Je suis encore en train d’apprendre, avec le soutien de ma famille et de mes amis, comment vivre avec ce problème. Je ne suis pas dans la négation et la colère est déjà derrière moi. Je ne me suis jamais demandé « pourquoi moi ? » et suis plein de motivation pour affronter les traitements qui m’ont été prescrits.

Dès que mon médecin – auquel je rends ici hommage – a été au courant des résultats de mes examens, il a contacté tous les spécialistes qu’il connaissait pour leur demander s’il existait des essais cliniques prometteurs en lien avec ma maladie. La plupart ont répondu dans les 72 heures et l’ont assuré que le protocole qu’il avait choisi – une chimiothérapie – était le plus raisonnable. Un médecin de Texas lui a répondu qu’il menait un essai avec un nouveau protocole mais que celui-ci n’était pas adapté à ma situation. Depuis, mon médecin est en contact avec ces spécialistes pour pouvoir réagir rapidement au cas le traitement qu’il m’a prescrit ne marcherait pas.

Je suis sûr que vous vous demandez comment je fais face à tout cela ? Je n’ai pas de réponse simple. Je sais que vous êtes désolés et bien entendu, je le suis moi aussi. Si vous, mes amis, souhaitez exprimer vos sentiments, je les accueillerais volontiers. Si vous ne le souhaitez pas exprimer ce que vous ressentez, je le comprendrais parfaitement. Si vous voulez me voir, super ! Si vous m’envoyez des messages ou m’appelez au téléphone, je vous en prie, soyez normaux et naturels, autant que possible.

Comme je l’ai déjà dit, pour le moment je me sens bien. On sait tous que le compte à rebours est déclenché mais je vous en supplie, n’essayez pas de me dissimuler vos sentiments. N’ayez pas peur de dire ce que vous ressentez et n’hésitez pas à me poser des questions sur les traitements que je suis. Je suis tout à fait capable d’en discuter librement et franchement. N’hésitez pas non plus à me proposer des sorties et des activités. Si je vais bien, j’accepterai avec plaisir.

La situation, nous le savons tous, est gênante, mais nous sommes les seuls à pouvoir la gérer. Décidons donc que cet embarras ne nous gênera pas… ne vous séparez pas de moi. Quand le moment des adieux arrivera, je vous le dirai.

Voilà les choses à ne pas faire et/ou dire et les sujets que je vous demande de ne pas aborder en ma présence :

· Ne me demandez pas combien de temps il me reste

· Ne m’expliquez pas qu’un quelconque mystère divin est responsable de ma situation ou que je fais partie d’un ordre cosmique ou d’un grand plan qui nous échappe. Si vous y croyez, tant mieux pour vous.

· Ne me parlez pas de la vie après la mort

· Ne faites pas de ma maladie un secret, parlez-en librement à vos proches.

Etre pleinement conscient de ma situation est une chose horrible pour moi mais ma mort n’est pas imminente et je voudrai continuer à vivre normalement. Quand vous parlez avec moi, n’évoquez pas que la maladie et le traitement, vous êtes libres et même cordialement invités à discuter de tout : votre famille, vos travaux ou n’importe quel autre sujet qui vous intéresse.

Quand vous recevrez cette lettre prenez le temps de la réflexion et ne réagissez pas tout de suite. Si, après réflexion, vous souhaitez toujours m’appeler, faites-le : cela nous fera le plus grand bien.

Bentzi.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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