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Primaires : gare aux effets secondaires…


photo : Tatanka 23 (Flickr)

Les primaires socialistes révèlent-elle un renouveau de la politique ou signent-elle seulement sa « pipolisation » croissante ? De nombreux socialistes présentent l’organisation de leurs primaires comme une démocratisation du fonctionnement du PS. Les défenseurs convaincus mais réalistes de cette création admettent, à l’instar de Romain Pigenel : « la promesse des primaires a été, de fait, la seule vraie rénovation qu’a connue le PS depuis le congrès de Reims en 2008 ». D’autres, moins prudents, brandissent avec une satisfaction sans nuance l’étendard de la « modernisation heureuse ». Ils se félicitent de cette évolution à l’américaine, qui s’opposerait à la rémanence vieillotte du « tous derrière le chef » prévalant -tant bien que mal- à droite.

Pourtant, à observer les mille péripéties de cette étonnante séquence politique sur laquelle plane désormais l’ombre tutélaire d’un DSK quasi-réhabilité, on peut se demander si ce n’est pas elle, au contraire, qui présidentialise le plus l’avant-2012, en important à l’intérieur même de l’un des principaux partis en lice les défauts que l’on prête à notre « monarchie républicaine ».

Car, si l’élection présidentielle consiste en la rencontre d’un homme avec la Nation, les primaires socialistes visent à créer les conditions de la rencontre d’un homme[1. oui, je sais : ou d’une femme] avec cet introuvable « peuple de gauche » constitué paraît-il des militants du PS et de tous ceux qui sont prêts à sympathiser pour la modique somme d’un euro.

Certes, il y a un programme. Et, s’il n’est pas de nature à générer des éruptions d’enthousiasme collectif, on pourrait s’attendre à ce que chaque « candidat à la candidature » se l’approprie, quitte à le customiser aux entournures, à l’image d’un Montebourg, qui vient d’importer avec succès le concept philippin de démondialisation.

Mais, sans surprise, les sempiternels trublions socialistes n’hésitent pas à porter l’estocade au programme de leur parti, comme le très prévisible Manuel Valls, qui s’interroge sans ambages : « qui peut imaginer un seul instant que des projets portés par François Hollande, Arnaud Montebourg, Ségolène Royal, Martine Aubry ou moi-même seraient identiques ? » Pour Valls, il n’y a pas de doute, le programme est un prétexte. Ce qui ne va pas sans rappeler cet aveu de Ségolène Royal après sa défaite en 2007 : « le SMIC à 1500 euros, qui était une idée phare de Laurent Fabius (…) ou la généralisation de 35 heures sont deux idées qui étaient dans le projet des socialistes, que j’ai dû reprendre dans le pacte présidentiel, et qui n’étaient pas du tout crédibles ».

Défendre un programme auquel on ne croit pas, voilà qui semble plus improbable que jamais avec la mise en place des primaires. Car, si d’aucuns espèrent voir naître à cette occasion un authentique débat d’idées, force est de constater que, pour l’heure, on assiste surtout à un combat d’ego.

Quant au vainqueur, il pourra jouer sa partition en solo. En effet, pourquoi un candidat qui, à la fin du processus, bénéficiera d’une légitimité offerte par le vote, non des seuls militants, mais aussi du magma des « sympathisants », s’embarrasserait-il d’un programme élaboré en commun ?

On touche là aux limites de cette invention, qui consacre le mariage de la « présidentialisation » d’un parti, de la politique-spectacle et de la « dépolitisation » des formations politiques elles-mêmes, devenues exclusivement des pépinières à champions, quand on aimerait qu’elles soient aussi et surtout des lieux de réflexion.

Las, dès le début des primaires, l’entrechoc des ambitions personnelles prend le pas sur le débat d’idées et la personnalité des concurrents sur la capacité de l’un d’eux à faire sien un projet élaboré en commun. L’hyper individualisation de cette compétition interne et la nécessité pour chacun de se distinguer prime sur la fidélité à un parti où, de toute façon, le sympathisant à un euro pèse le même poids que le militant de vingt ans. Au bout du compte, la victoire reviendra, non à celui qui incarne le mieux une vision collective, mais à celui qui cogne le mieux sur ses « amis ».

Il n’est pas certain que le parti socialiste sorte grandi de cet exercice périlleux, à la fois « remise en cause de la souveraineté militante »[2. Rémi Lefebvre, Le Monde, 28 juin 2011], et mise en congé du savoir-faire programmatique commun.

Il n’est pas certain non plus que la politique en général sorte grandie de sa désidéologisation croissante, où l’image a remplacé la pensée, où les « petites phrases » supplantent les idées, et où il faut désormais séduire, sans plus nécessairement convaincre.



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