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Dessine-moi une petite princesse


Isabelle Huppert (Hannah) et Anamaria Vartolomei (Violetta)

Rien n’est plus gracieux qu’une fillette impubère, mais la photographier serait déjà la souiller. Tout au moins est-ce depuis une vingtaine d’années une règle intangible. Comme elle semble lointaine l’époque où Gabriel Matzneff était encensé pour Les Moins de Seize Ans et où je pouvais défendre Tony Duvert dans les colonnes du Monde. La thématique de l’enfance était alors présente dans toutes les expositions et Irina Ionesco, tout comme Jock Sturges, David Hamilton, Annelies Strba ou Graham Ovenden ne subissaient pas encore les foudres de la justice. Tout le monde a encore en mémoire la photo de Brooke Shields, dix ans, maquillée comme une adulte et posant nue dans une baignoire, le corps luisant. Cette photo signée Gary Cross fera la une de Photo Magazine en juillet 1978 et servira à la promotion du film de Louis Malle Pretty Baby.

Aujourd’hui, même les mises en scène délectables de Lewis Caroll suscitent un malaise : le portrait de la petite Alice Liddell en mendiante serait la preuve de son caractère pervers et immoral. Et d’ailleurs pourquoi aurait-il détruit sans explication à la fin de sa vie une partie de ses photos et supprimé des pages de son journal, s’il n’était pas coupable ? Il faut l’être pour immortaliser dans des poses indécentes d’innocentes enfants….

Qu’une mère, oui vous avez bien lu, une « mmaman », jette en pâture sa petite princesse aux voyeurs et aux prédateurs, voilà qui dépasse l’entendement. C’est pourtant ce qu’ont fait Irina Ionesco et Annelies Strba, pour ne citer qu’elles, dans les années soixante. J’avoue avoir pris un certain plaisir à regarder ces photos d’Irina Ionesco d’un kitsch volontairement assumé et d’une morbidité rafraîchissante même si je préférais l’austérité puritaine des clichés de Jock Sturges qui me rappelaient la statue d’une fillette nue en plein cœur de la Cité de Calvin.

Mais qu’éprouvaient les jeunes modèles à être ainsi exhibées par leur propre mère, trahies dans la confiance qu’elles leur accordaient, métamorphosées en petites madones vicieuses ? C’est le sujet du film : My Little Princess d’Eva Ionesco qui règle ses comptes avec sa putain de génitrice, ici incarnée non sans outrance par Isabelle Huppert.

Entre l’insouciance bohème de la mère et l’hystérie vindicative de la fille, nous préférons encore la mère. Rendons hommage néanmoins à Anamaria Vartolomei, la jeune actrice qui rechigne à entrer dans les délires érotiques et esthétiques qu’on cherche à lui imposer. Sans doute aura-t-elle, elle aussi, dans une vingtaine d’années, envie de dénoncer les procédés tortueux utilisés par la réalisatrice pour dénoncer ce qu’elle a subi. Les histoires de fillettes abusées, nous le savons depuis Freud, sont tout à la fois les plus tristement banales et celles dont le public est le plus friand. Comme My Little Princess, elles laissent néanmoins un goût amer après coup.



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