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Un tombeau pour Jean Dutourd


Le Père Dutourd, les lecteurs de Causeur en ont eu la primeur dans la nécrologie que François Taillandier consacra, ici même, à l’auteur du Bon Beurre, disparu en janvier. C’est maintenant un petit livre brillant et émouvant qui occupera dans l’oeuvre de Taillandier une place similaire à celle de La Vie de Rancé dans celle de Chateaubriand. Dans ce brillant exercicespirituel, le vicomte, tout en rendant hommage au réformateur de La Trappe, évoquait surtout son propre rapport au Temps, à Dieu, à la France.

Le Père Dutourd nous en apprend autant sur François Taillandier que sur Jean Dutourd. Ne pouvoir se comprendre qu’au travers d’un autre écrivain qui fut un maître et un ami est une belle preuve d’humilité. Se souvenir de Dutourd, pour Taillandier, c’est d’abord se rappeler sa jeunesse clermontoise au début des années 1970, dans une famille qui lisait beaucoup. C’est aussi se souvenir que Dutourd était « l’écrivain des parents », un réac patenté terriblement démodé dans une période prétendument libérée qui préparait la servitude libérale-libertaire d’aujourd’hui.

Un soir de désoeuvrement dans sa chambre d’adolescent, le hasard, dont Bloy disait qu’il est la providence des imbéciles, fit lire Le Printemps de la vie, de Dutourd, à François Taillandier. Dès lors, son système immunitaire contre l’imbécillité présente se mit en marche.[access capability= »lire_inedits »]

Auprès de Dutourd, Taillandier a compris qu’il ne serait jamais de son temps

Taillandier n’avait pas tant trouvé un modèle qu’un début de confirmation de la dissidence intérieure qui fut la sienne dès sa jeunesse, cette certitude qu’il lui serait impossible d’adhérer totalement à quoi que ce soit, bref qu’il ne pourrait jamais, selon l’expression consacrée, « être de son temps ».

« C’est que j’ai mes secrets. Cela doit venir de l’enfance. Le monde est trop dur. Ou décevant. Alors je me retire, je me cache, je vais retrouver ces secrets qui me font vivre, me donnent de la force. Ce sont des pensées, des chansons. Des rêveries. Des souvenirs. Pour vous, je suis ceci, cela, j’ai l’air de tel genre de type, je ne sais pas quoi. Je ne sais pas, je ne sais jamais “à quoi je ressemble”. Dans les rapports sociaux, je ne me “vois” pas. Mais il y a un dialogue entre moi et mon ombre. L’ombre que je n’ai laissée nulle part. Cela ne regarde qu’elle et moi, depuis qu’il a bien fallu vivre (d’après ce qu’on me dit, cela empire, en vieillissant). »

Et là, Dutourd intervient. Celui qui aide à la publication du premier roman avec une discrétion bourrue, qui lui apprend que le style en littérature peut permettre d’être de gauche et « passionnément d’accord » avec des écrivains de droite ou l’inverse lorsqu’il s’agit d’aimer Aragon pour un vieux gaullo-monarchiste indéfectible.

Taillandier recherche désespérément Dutourd comme on recherche la grâce : « Vous êtes là, en tout cas, et, je le crois, cela vous fait plaisir de me voir gratter du papier, m’acheminant peut-être moins vers votre éloge que vers une part de ma propre vérité. »[/access]

Le père Dutourd

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Juin 2011 . N°36

Article extrait du Magazine Causeur



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