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Lauvergeon: cherchez l’erreur


Je me demande ce que fabriquent les Chiennes de garde. Je ne les ai pas encore vues montrer les crocs pour dénoncer l’éviction brutale d’Anne Lauvergeon de la tête d’Areva. Or, Lauvergeon était (il faut parler à l’imparfait) une exception dans le paysage français. Pour le port systématique d’une frange avec un carré coupé aux épaules très 1983, mais aussi parce qu’elle était la seule femme à la tête d’une grande entreprise industrielle du Cac 40, avec capitaux publics.

Qu’on se rassure, je crois que personne ne poussera le ridicule à expliquer que si Lauvergeon a sauté, c’est parce qu’elle est une femme. Mais on a bien entendu des commentateurs de presse expliquer que son socialisme la rendait peu sarko-compatible. On le sait, la brillante patronne du géant nucléaire a commencé sa carrière à l’Elysée, comme sherpa de François Mitterrand. Mais je défie quiconque de savoir pour qui elle ira voter à la primaire socialiste.

S’il faut défendre Atomic-Anne (quel surnom grotesque) c’est sans doute pour d’autres raisons que son sexe, sa frange ou son socialisme apocryphe. La présidence de la République, pour justifier l’éviction de Lauvergeon, a expliqué qu’elle avait fait son temps (10 ans en poste) et qu’après Fukushima il était de bon ton de bouger les meubles, pour faire croire que le nucléaire ne sera plus ce qu’il était.

Lauvergeon était trop nucléocrate old school, n’a pas voulu s’entendre avec EDF et a bataillé pour garder son poste coûte que coûte. Au point de réussir la prouesse d’unir une palanquée de députés PS et UMP qui souhaitaient qu’elle enquille un troisième mandat, au nom de la continuité et de son talent certain. Alors, elle n’a certes pas vendu autant d’EPR et de centrales que ce qui était sans doute attendu, mais sauf erreur de ma part, elle n’a pas fait d’énorme connerie et elle a tout de même réussi à créer Areva en fusionnant CEA Industrie, Cogema et Framatome. Et c’est bien là le problème.

En France, pour faire un patron heureux et à la longévité imbattable, le plus sûr est de faire n’importe quoi. Et sans remonter jusqu’aux temps glorieux du Crédit Lyonnais, tentons juste une petite comparaison. Carlos Ghosn, le patron de Renault (15% du capital appartient à l’Etat qui a encore son mot à dire sur la gestion de cette entreprise) n’a pas brillé, nous dit-on. Sans parler de la piteuse affaire d’espionnage industriel monté de toutes pièces à l’endroit de cadres écoutés, traqués et virés du jour au lendemain, puis réintégrés, sur fond de fantamasgorie à propos d’un complot international sino-genevois visant à piquer les plans de la future voiture électrique. On a vu Ghosn affirmer au 20 heures de TF1 qu’il avait des certitudes sur la culpabilité des uns et des autres, puis se rétracter, au risque de faire vaciller toute la maison. C’est le numéro deux qui a servi de fusible et Ghosn a accepté comme acte de contrition de renoncer à une petite partie de ses stocks-options. Depuis, oubliée l’affaire d’espionnage qui nous a tenus en haleine pendant des semaines. Et l’Etat, c’est-à-dire nous, a regardé ailleurs.

Que dire du patron de la SNCF, Guillaume Pepy qui a appris à faire le gros dos quand tout un hiver, les TGV déconnent, laissant en carafe des milliers de voyageurs, ou que les tarifs s’envolent de façon indécente ? Et ne parlons pas des banques à qui l’Etat a sauvé la mise après la crise de 2008-2009 (en étant remboursé, faut pas déconner non plus) mais sans pour autant demander que l’on fasse un peu de ménage dans le management ni réclamer des part dans le capital de ces entreprises, comme les très libéraux anglais eux, n’ont pas hésité à le faire.

Somme toute, la jurisprudence en matière de nomination des grands patrons est assez confuse. À moins qu’elle ne soit trop claire : l’important, c’est d’être un ami politique ; les résultats on s’en fout. Car le grand patron d’entreprise proto-publiquese doit de respecter une certaine éthique : d’abord faire des choix désastreux, ne pas les assumer, et quand il devient manifeste qu’il faut partir, s’accrocher à son siège jusqu’à ce que le golden-parachute se déploie dans toute sa splendeur. On raconte encore des sanglots dans la voix à Bercy, cette petite histoire. Un honorable Monsieur gérait l’agence des participations de l’Etat, grosso-modo le fric public et les actions de la puissance publique dans un certain nombre d’entreprises. Il avait la fâcheuse habitude de prendre des décisions désastreuses, à tel point qu’on avait l’habitude d’utiliser son nom comme unité de valeur de millions perdus. Il a fini par partir en retraite, avec tous les honneurs.

Revenons à Lauvergeon, virée alors que l’Elysée affirme qu’elle n’a pas démérité, même si en off, on explique que c’est une sanction. Notamment parce qu’elle aurait refusé de devenir ministre de l’Economie en 2007, argument cocasse surtout quand dans la même phrase on murmure avec un air entendu que Sarkozy ne peut pas l’encadrer… Elle a surtout le défaut de déplaire à deux grands amis du président, Henri Proglio, le patron d’EDF et Patrick Kron, celui d’Alsthom. Et l’éthique du grandpatronfrançais suppose l’amitié voire plus avec le chef de l’Etat.

Pour aggraver son cas, Lauvergeon avait, disait-on, refusé l’indemnité de départ de deux ans de salaire royalement offerte par Nicolas Sarkozy. Une information démentie ensuite par Areva. Ouf ! On était à deux doigts de faire de l’ancienne patronne du géant nucléaire un Stéphane Hessel du Cac 40. Elle devrait partir avec l’indemnité fixée par son contrat, quelques millions d’euros si ça se trouve. C’est la fausse note de l’affaire, Lauvergeon, celle qui dit non, ça aurait eu de la gueule. Mais un contrat de travail est un contrat. Pour elle, comme Raymond Domenech, qui avait demandé des indemnités après son débarquement de la fédé de foot.

Pourtant, je propose à la vaillante avant-garde d’Osons le féminisme d’oublier la réhabilitation du clitoris et de défendre Lauvergeon, licenciée parce que femme. Allez, osons la frange !



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est journaliste

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