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2012, c’est déjà plié


2012, c’est déjà plié

Ses traits, souvent brouillés par une tourmente intime, se sont creusés, ses yeux réfléchissent une lueur d’affolement. Ceux qui l’ont connu jeune maire de Neuilly, heureux du mauvais tour qu’il avait joué à Charles Pasqua, affable, traître innocent, dissimulant à peine le désordre qu’un coït furtif avec une secrétaire venait de semer sur son bureau, ceux-là n’osent plus rien prédire. Certains prétendent que les riches se détournent de lui, se moquent de ce « petit avec des grandes oreilles », toujours inquiet, bouillant d’une exaspération universelle, environné d’athlétiques gardes du corps. Ils tournent leurs regards vers un certain patron du FMI, un vrai caparaçonné, celui-là, un type qui « tient » la table, cynique sans masque, pleinement justifié : au reste, n’a-t-il pas privatisé largement, sous Jospin ? Jusqu’où n’ira-t-il pas sous lui-même ?[access capability= »lire_inedits »]
Pour en revenir à Nicolas S., ses compagnons, naguère encore, l’encourageaient à prendre les choses en main, privées et publiques, vantaient sa propension à tout gouverner, voire à soumettre tout. Ils se désolent aujourd’hui, s’effraient de sa récente vocation christique qui l’entraîne vers le sacrifice.

Il est là, posé devant la République, offert à la sanie, à l’outrage. Et l’on y va de bon cœur ! Son visage contristé, son costume Gucci, ses chaussures vernies, tout cela est souillé d’éclats de glaire, étendus jusqu’à composer des filets tremblants. Il ne frémit ni sous l’opprobre ni sous l’ordure ; il endure, il s’endurcit, il offre plus de surface corporelle aux coups. Il se murmure qu’il connut son Canossa, avant le dernier remaniement : il exigeait ceci, il dut faire cela ! On lui fit comprendre qu’il n’avait pas le choix, que son quinquennat s’achèverait plus vite que prévu et qu’à côté de sa sortie de l’Élysée − une vraie conduite de Grenoble, compliquée de plumes et de goudron −, celle de Giscard tiendrait de la kermesse bon-enfant !

Il n’a pas dit, cette fois, alors qu’il l’a proclamé si souvent, qu’il avait changé. Il a subi, certes, mais il a surtout achevé sa mutation. Lui présenterait-on l’un de ces beaux stylos qui, au début de son septennat, éveillait sa convoitise, qu’il le contemplerait encore un long moment, avant de le glisser dans sa poche. Non comme un voleur, mais comme un enfant émerveillé qui se saisit des objets sans même les réclamer. Ils furent créés, ils lui sont destinés. Il les caresse puis les engloutit, en prédateur innocent. C’est qu’il ne prend pas garde à la douceur des choses…

Le pays, il le voulait teigneux, monté sur ressorts, boulimique, enfin allégé

Que représente la France pour Nicolas Sarkozy ? Point encore son reflet, mais presque son idéal, sa projection peut-être. Il se disait prêt à gouverner le pays « réel », celui qui souffrait de la délinquance, travaillait durement pour un salaire de misère, vouait aux gémonies les charges, les contraintes, la politique. Il le voulait teigneux, monté sur ressorts, boulimique, enfin allégé de ce poids culturel qui entrave ses membres et ralentit sa course. Il s’impatiente de voir la France peuplée exclusivement de futurs ou ex-candidats aux émission de télé-réalité : ados querelleurs et butés ; pré-retraités survitaminés aux cheveux anormalement noirs et cirés, le derme étrangement lisse ; bimbos californiennes énervées aux lèvres surabondantes ; petites garces nouvelles, consolatrices négligentes de narcisses infantiles, dysorthographiques et pleurnichards ; anciennes ménagères de plus de cinquante ans, soumises à la dure loi de la pesanteur et de la disgrâce, qui voudraient bien écouler leur énorme stock d’hormones.

Il y eut autrefois la France de Guy Lux, mélange de terroirs et de plaisanteries grasses, puis la France de Coluche, d’outrage et de vindicte : il y a désormais la France d’Arthur et de Mickaël Vendetta, soit le rêve de reconnaissance warholien qui s’éternise, alors qu’il devait durer un quart d’heure ; un cauchemar numérisé !
Mais qui donc s’opposera sérieusement à lui, parmi le (petit) personnel politique ? DSK, donc, très différent de lui dans l’allure et les manières ? Diplômé certes, mais échouant au concours de l’ENA ; avocat d’affaires, massif, avec un embonpoint de commensal frénétique, des épaules rondes et tombantes, une démarche alourdie, des mines goguenardes ; quelque chose, dans la mise, d’un jouisseur papelard de la IVe République. Il a terriblement envie de ne pas aller au combat, il cherche des camarades qui le « retiendront de faire un malheur ».

Néanmoins, s’il se lançait dans la compétition, qui l’aurait sorti du lot ? Qui l’aurait préparé, tel un entraîneur son boxeur, qui l’aurait désigné, au final, pour l’affronter : qui, sinon Sakozy ? Qui, du créateur ou de sa créature, jouirait le plus évidemment de la situation ? Et lequel des deux, dans la coulisse, se moquerait le plus bruyamment du « socialisme à la française » ? Enfin, ce DSK, jouisseur impénitent, supporterait-t-il la dure condition des hommes politiques de premier plan : jugés en permanence par la classe intermédiaire, les journalistes, surveillés par Internet, examinés par leurs clients, désormais lapidés avant d’avoir seulement agi !

À la vérité, Nicolas S. n’a aucun adversaire à sa mesure, dans les temps que nous vivons. Il est l’homme de l’épuisement et de la liquidation. Les socialistes, qui n’aiment rien tant que la vérité différée ou le mensonge dissimulateur, n’ont pas pris la mesure du monde présent : c’est pour cela qu’ils ressassent et vont répétant qu’il faut changer le monde ancien. Nicolas Sarkozy sait qu’il convient de ne plus toucher à rien, que les choses sont en place, que le plus dur est accompli et que le réel, enfin débarrassé de la France, accomplira sa métamorphose.

Il a manqué son premier quinquennat par erreur d’appréciation, par goût de l’illusion propre aux vainqueurs. Il réussira son second mandat, attentif au navrant spectacle de la mondialisation, qui divertit les perdants.[/access]

Décembre 2010 · N° 30

Article extrait du Magazine Causeur



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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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