Acheter nazi, une honte ou une liberté?


Acheter nazi, une honte ou une liberté?

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Vendre des objets nazis aux enchères n’est pas un délit. Et, donc, les acheter non plus. Dans une démocratie et un état de droit se flattant d’être à la hauteur, on pourrait penser que c’est le point crucial, décisif. Apparemment non.

En effet, une partie de la vente aux enchères prévue pour le 26 avril, intitulée « Prises de guerre de la 2ème DB au Berghof le 5 mai 1945 », a été annulée le 14 avril. Elle se serait rapportée notamment à des passeports de Göring et de sa femme, à un coffre en bois d’Adolf Hitler incrusté de croix gammées et à un napperon en dentelle orné d’un aigle (Le Parisien).

Les objets mis en vente provenaient de quatre vendeurs dont un sergent de la compagnie du génie de la 2e DB, âgé de 93 ans aujourd’hui.

Le catalogue de la vente, sous l’égide du commissaire-priseur Nathalie Vermot, énonçait qu’une partie des bénéfices serait reversée à l’Union des déportés d’Auschwitz.

Yves Salmon, l’expert de la vente, s’est étonné de cette annulation alors que le Conseil des ventes volontaires (CVV) avait donné son aval et qu’au mois de novembre 2013, quatre livres pris lors de la même opération à Berchtesgaden avaient été vendus à l’initiative d’un ancien de la 2ème division blindée.

Comment cette interdiction pour le 26 avril a-t-elle été décidée ?

Dès le 11 avril, le CRIF s’était « indigné du commerce » de ces pièces nazies et le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), qui avait jugé la vente « obscène », s’est félicité de l’annulation.

Les associations juives, durant le week-end, ont exigé l’interdiction de la vente et la saisie des objets, car, selon elles, il s’agissait « d’une atteinte à la mémoire des victimes de la barbarie nazie ».

Leur démarche a été appuyée par le ministre de la Culture Aurélie Filippetti. Sous la pression de celle-ci, une réunion de crise a été organisée au CVV, « les gendarmes du marché de l’art ».

Face à une telle situation qui avait pour but de lui faire subir une éprouvante tension, Nathalie Vermot, qui initialement avait résisté à la volonté d’interdiction au nom de la liberté, a cédé et pris les devants alors qu’elle était convoquée par le CVV le 15 avril.

Elle a obtempéré aux injonctions non pas du droit mais de la morale si l’on en croit la ministre qui a salué « une décision nécessaire au regard de l’histoire et de la morale ».

Qu’ai-je donc besoin de me mêler de cela puisqu’apparemment tout est bien qui finit bien dans le meilleur des mondes où l’éthique serait évidente, éclatante et la liberté, pourtant étayée sur le droit, infiniment secondaire ? Je mesure le danger intellectuel qu’il y a à ne pas prendre pour vérité acquise et décret incontestable une interdiction résultant de la pression d’associations juives conjuguée avec un soutien ministériel fort.

Pourtant, il me semble que si personne jamais ne s’émeut au prétexte que la cause serait à la fois dérisoire et réglée et qu’elle concerne des amateurs jugés d’emblée scandaleux de souvenirs historiques frappés d’opprobre, un jour on perdra tout sens de la liberté. Au fil du temps, au jour le jour. La morale ou prétendue telle finira par trôner victorieuse sur un champ de ruines – nos libertés fondamentales détruites et surtout la liberté d’action et d’expression.

Au risque de me faire agonir sur ce sujet périlleux, je ne vois pas au nom de quoi les désirs des associations juives, à considérer certes avec attention et respect, devraient être forcément perçus comme des ordres par l’autorité politique. Je ne la qualifie pas idéologiquement parce que je suis persuadé malheureusement que la droite aurait eu la même attitude soumise que la gauche à propos de cette vente aux enchères.

La malfaisance de l’Histoire est une épouvantable réalité au regard de l’Holocauste. Il n’y a que quelques malades qui en discutent l’ampleur et l’horrible singularité. Mais prétendre sans cesse expulser la malfaisance de nos têtes en feignant d’abolir, de mettre entre parenthèses l’Histoire est une absurdité. Qu’on le veuille ou non, Hitler, Göring et leurs objets relèvent d’aujourd’hui parce qu’ils ont existé hier et que leur condamnation sans appel n’interdit pas à qui que ce soit, s’il en a envie, d’acheter des choses reliées à leur environnement.

Dans notre espace démocratique il y a aussi, à force, quelque chose d’insupportable à voir traités les citoyens que nous sommes comme des enfants éduquer et à protéger. Comme s’il nous fallait à tout instant rendre compte de nos paroles, de nos écrits, de nos goûts, de nos plaisirs et même de nos achats, aussi étranges ou surprenants qu’ils puissent apparaître pour le sens commun.

Décidément le fait que des souffrances particulières, aussi légitimes qu’elles soient, fondées sur une mémoire douloureuse et impérieuse, puissent justifier l’annulation d’un droit fondamental, d’une liberté essentielle ne cessera pas de me stupéfier dans notre République. Celle-ci se pique d’universel mais elle est de plus en plus battue en brèche par la domination des corporations du coeur et de la morale.

Acheter nazi, alors, une honte ou une liberté ? Un choix tout simplement qui, licite, n’aurait pas eu à se justifier.

*Photo : Phil Yeomans/ Rex Feat/REX/SIPA. REX40130432_000002.



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