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Migrants, le Vatican refait de la figuration

Le grand bronze place Saint-Pierre rompt avec l'art abstrait promu ces dernières années


Migrants, le Vatican refait de la figuration
Inauguration des Anges inconscients, oeuvre de Timothy Schmalz, place Saint-Pierre à Rome, 29 septembre 2019. (c) PINTO / POOL / AFP

Le pape François a fait installer un monument aux migrants place Saint-Pierre à Rome. Quoique contestable, ce grand bronze rompt avec l’art abstrait qu’avait promu l’Eglise catholique ces dernières décennies.


Le pape François a fait installer place Saint-Pierre, à Rome, un grand bronze représentant des migrants, thème qui lui est cher. Il se fait photographier devant. Il les montre, les touche, les caresse, les cajole. Le souverain pontife est visiblement très heureux de son acquisition. Cette implantation a principalement un sens religieux et politique. Cependant, elle constitue aussi, sur le plan artistique, un curieux événement contrastant avec le contexte de l’art contemporain.

Œuvre du Canadien Timothy Schmalz, le groupe représente une centaine de migrants, toutes origines et époques confondues, la nôtre n’étant, bien sûr, pas oubliée. Ils sont presque grandeur nature, serrés les uns contre les autres, debout sur une barque sommaire. Des ailes d’anges dépassent du groupe, en référence à l’Épître aux Hébreux (13-2) selon laquelle celui que l’on prend pour un simple étranger pourrait être un ange.

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Ces personnages suggèrent efficacement une communauté de destin entre les divers migrants, mais aussi entre ces derniers et le reste de l’humanité. L’œuvre a une force expressive certaine qui n’est pas sans rappeler Le Pèlerinage de San Isidro de Goya. Cependant, la facture un peu simple peut décevoir. Les drapés, en particulier, paraissent mous en ce haut lieu baroque. On pourrait trouver à cette œuvre des analogies avec certaines traditions de figurations trop démultipliées comme le style saint-sulpicien ou le réalisme socialiste.

Pour ou contre le deuxième commandement ?

L’apparition de cette sculpture très figurative fait cependant réfléchir. L’Église semble, en effet, avoir tout au long du xxe siècle abandonné son lien multiséculaire avec la représentation en art. Certains théologiens catholiques convertis à l’abstraction et au conceptuel semblent même plus proches de l’iconoclasme byzantin que de Rubens ou de Bernini. À Paris, des lieux comme le couvent des Bernardins se sont illustrés par des conceptions apophatiques de l’art, c’est-à-dire radicalement éloignées de tout ce qui rappelle la vie terrestre.

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Rappelons que l’Église catholique a eu un rôle décisif dans le développement de l’art figuratif en Europe. S’appuyant sur des arguments christologiques, elle s’est, en pratique, tout bonnement affranchie du deuxième commandement (« Tu ne te feras point d’image taillée ni de représentation quelconque des choses… »). Il en résulte une extraordinaire efflorescence artistique au Moyen Âge, à la Renaissance et encore davantage au temps de la Contre-Réforme. Cependant, à la fin du xxe siècle, rien ne reste, je le répète, de cet engagement de l’Église en faveur de la figuration ou si peu.

L’universelle force des images

Pourquoi le Saint-Siège recourt-il de nouveau à la figuration ? Probablement pour une raison extraordinairement simple : s’il avait placé là une œuvre abstraite ou conceptuelle, cela aurait peut-être plu à quelques intellectuels du Vatican, mais les foules n’auraient pas saisi. En voyant l’œuvre de Timothy Schmalz, on comprend tout de suite de quoi il s’agit et on ressent une émotion. Pas besoin d’explications. L’œuvre parle d’elle-même. C’est pour cette même raison (pardon pour le rapprochement) que les idéologies totalitaires, ayant davantage besoin que les autres régimes de communiquer avec les masses, confient finalement leur propagande à la figuration, souvent après avoir été tentées par les avant-gardes. C’est aussi à cause de cette nécessité que les publicitaires mettent toujours une image mûrement travaillée dans leurs affiches. On pourrait multiplier de tels exemples. Aussi éloignés que soient l’Église, les totalitarismes et la publicité commerciale, il faut observer qu’en les situations les plus diverses, les humains restent très sensibles aux images figuratives. Les mêmes causes produisent les mêmes effets…

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Novembre 2019 - Causeur #73

Article extrait du Magazine Causeur




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est écrivain. Dernier ouvrage paru : Précipitation en milieu acide (L'éditeur, 2013).

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