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Une histoire des années 2010


Une histoire des années 2010

lamalattie precipitation acide

Pierre a 49 ans. Sa vie de Parisien entre deux âges semble réglée comme du papier à musique : marié depuis onze ans à la même femme, il poursuit une carrière de cadre chez Right-in-the- Middle-Consulting. Soudain, le couperet tombe : insatisfaits par ses résultats en dents de scie, ses supérieurs ne renouvellent pas son CDD. Délivré des contraintes du salariat, le voilà en butte aux lamentations de Béné, son épouse revêche tout acquise aux joies du management. La cohabitation vire rapidement au match de boxe. Au milieu de l’abattoir qu’est devenu leur appartement, Béné rudoie Pierre avec l’application de l’expert en contention animale : « Je craignais soudainement que ma viande […] pût être bourrée de toxines, altérée, malodorante et se débinant à la cuisson. Au lieu de faire un bon steak appétissant, cela n’aurait donné qu’un pauvre rogaton fibreux, échoué dans un jus fétide. »[access capability= »lire_inedits »]

Quand on n’a plus rien à dire à son emmerdeuse de femme, mieux vaut faire le dos rond et encaisser les coups en bonne pièce de boucherie…

Un couple promis à la rupture, des dîners entre bourgeois flaubertiens et des séminaires d’entreprise en open space sculptent le décor de Précipitation en milieu acide.

Dans l’esprit de son précédent opus, 121 curriculum vitae pour un tombeau, l’écrivain peintre Pierre Lamalattie explore le nihilisme contemporain avec le tranchant d’un couteau à palette. Ses descriptions du domicile conjugal évoquent certains passages des Choses, roman de la société matérialiste qui consacra Georges Perec. Cinquante ans après leursaînés Jérôme et Sylvie, Pierre et Béné achèvent ladilution du couple dans l’univers des objets, flanqués des nouvelles prothèses dérivées du coaching et de la télé-réalité. Le réel (le vrai !) se rappelle au bon souvenir de Pierre lorsqu’il s’agit de retrouver du travail ou de jouer les médiateurs sociaux dans la France désindustrialisée des années 2010.

Le temps de quelques moments suspendus, Pierre s’initie à l’infra-ordinaire, cette poésie des petits détails quotidiens : « J’ai compris que j’étais touché par une sorte d’acédie en prenant, ces derniers temps, un plaisir inaccoutumé à des choses minimes. Par exemple, sur l’île aux Cygnes, je me suis bizarrement réjoui du foisonnement des pissenlits et des boutons-d’or. »

Lamalattie finit par imaginer la rédemption de son héros, nous rappelant que derrière tout homme apaisé se cache une femme…[/access]

Pierre Lamalattie, Précipitation en milieu acide. L’Éditeur, 2013.

*Photo : Pierre Lamalattie.

Novembre 2013 #7

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste.

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