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Une statue pour Turenne!

Turenne, génie militaire et mentor de Louis XIV, par Arnaud Blin Tallandier (Tallandier, 2025)


Une statue pour Turenne!
Portrait de Turenne par l'entourage de Philippe de Champaigne, vers 1650. DR.

Le livre Turenne, génie militaire et mentor de Louis XIV d’Arnaud Blin dresse un portrait complet du grand capitaine, à la fois stratège de génie et homme de fidélités complexes, tout en replaçant ses campagnes et son rôle politique au cœur des bouleversements militaires et diplomatiques du XVIIᵉ siècle, où la guerre est indissociable de la politique royale française.


« De tous les avis, il s’exprimait difficilement et son écriture est loin d’égaler celle de nombre de ses contemporains. En ce sens le contraste avec Condé, talentueux dans tous les domaines, est saisissant ». Et pourtant, Turenne, au faîte de sa gloire, aura été utilisé par Louis XIV « comme une sorte de ministre des affaires étrangères opérationnel, [échangeant] directement avec nombre de têtes couronnées ».  

Sur les champs de bataille

Ainsi Arnaud Blin, spécialiste des relations internationales, portraiture-t-il Henri de La Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne (1611-1675), cadet d’une illustre famille protestante, dans un livre publié avec le concours du Ministère des Armées. Paru il y a deux mois, lecture captivante, l’ouvrage n’apporte pas seulement un puissant éclairage sur les événements historiques marquants du temps, en particulier les batailles et autres sièges – Brisach (1638), La Rotta (1639), Turin (1640), Tuttlingen mais surtout Rocroi, évidemment (1643), Fribourg (1644), Nördlingen et Alerheim (1645), Zusmarshausen (1648), Rethel (1650), les Dunes (1658), Turckeim (1675) enfin… – que livra (pas toujours victorieux, d’ailleurs) le grand capitaine. Jusqu’au jour fatal du 27 juillet 1675 où, à Sasbach, un boulet de canon vient frapper Turenne de plein fouet : il meurt sans descendance, à l’âge de 63 ans.


Du contexte des conflits en cours, depuis la Guerre de Trente Ans jusqu’à la guerre de Hollande, en passant par les sanglants épisodes de la Fronde (cf. la bataille du Faubourg Saint-Antoine en 1652), l’auteur fait le récit circonstancié dans un luxe de précisions qui, tout au long, replace véritablement le lecteur sur le théâtre des opérations.

Au-delà du récit touffu de ces engagements, mille détails décantés de l’enchaînement factuel permettent de se représenter très concrètement les conditions dans lesquelles on se battait au Grand siècle : les évolutions de l’armement, de l’équipement, de l’intendance, les modalités de la tactique et la stratégie, etc. C’est là, pour une bonne part, l’intérêt de ce nouveau regard porté sur ces années qui joignent la Régence d’Anne d’Autriche au règne commençant du fils de Louis XIII.  

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Des exemples ? « Au XVIIème siècle […] le mousquet ou fusil allait connaître des améliorations telles que le piquier classique, qui fut durant des siècles l’un des piliers des armées occidentales […] deviendrait rapidement obsolète. […] C’est durant la guerre de Trente ans que le mécanisme à rouet cède la place au mécanisme de pierre à feu ou pierre à fusil (d’où le terme de fusil pour désigner l’arme) qui permet d’armer le fusil, puis de déclencher le mécanisme à l’aide de la gâchette et de la détente ».  Ailleurs, sur la cavalerie, « héritière de la cavalerie lourde de l’époque médiévale » : « souvent placée aux ailes, comme à l’époque d’Alexandre ou d’Hannibal, elle combattait de pair avec les spécialistes du tir, archers, arbalétriers, arquebusiers et, au XVIIème siècle, mousquetaires, plus les artilleurs. Le cavalier occidental combattait de manière rapprochée, épée, sabre (remplaçant l’épée au cours du XVIIème siècle) ou pistolet en main, contre d’autres cavaliers ou contre des fantassins […] les gardes du corps du roi avaient les chevaux les plus grands, suivis par la cavalerie, puis les ‘’carabins’’ et dragons. […] Le développement et le perfectionnement de l’artillerie, en revanche, commençaient à peser sur l’efficacité de la cavalerie dans la mesure où le cavalier pouvait désormais être atteint en plein vol par un projectile que bien souvent il n’avait pas vu venir […] En outre, le bruit du canon, ainsi que celui du mousquet n’étaient pas pour calmer l’humeur des montures. Le bruit, ou plus exactement les sons distinctifs des deux armes, l’infanterie et la cavalerie, projetait leurs combattants dans des mondes totalement différents ». Ou, plus loin : « L’usage des instruments de musique avait pour fonction première de faciliter la communication au sein de troupes linguistiquement hétéroclites ». Etc. 

Pour le non spécialiste de la chose militaire, Turenne, génie militaire et mentor de Louis XIV restitue enfin les enjeux fondamentaux du temps, la toile de fond encore fraîche des guerres de religion (élevé dans la religion réformée, Turenne se convertira au catholicisme), puis de la Fronde où, comme l’on sait, le futur maréchal risqua son avenir, intrigue dont le récit palpitant occupe la partie centrale du livre, avec, « qu’ils l’aient voulu ou non, […] projetés tous les deux au cœur de la rébellion », la rivalité l’opposant à Condé et l’affirmation de son génie durant le conflit franco-espagnol, au moment même où le dauphin atteint sa majorité – à 13 ans ! – et où le futur monarque versaillais commence, adolescent précoce, à peser sur les décisions… Sont remarquablement expliqués la « chaîne de fidélités » qui permet de comprendre pourquoi et comment Turenne « put à diverses reprises durant sa vie s’éloigner momentanément du roi et même rejoindre ses opposants, puis revenir auprès de lui sans autre conséquence pour sa carrière ou sa personne ». De fait, Louis XIV aura été bien avisé de lui pardonner ses ‘’errements’’ pour en faire son glorieux mentor.    

La politique c’est la guerre

« Turenne lui-même, observe finement Arnaud Blin, sera l’un des premiers chefs de guerre à se trouver en porte-à-faux entre des objectifs militaires poussant logiquement à la montée des extrêmes et des objectifs politiques définis selon les principes d’économie et le contrôle de la violence ». Aussi bien « la guerre, et tout ce qui y touchait de près ou de loin, constitua un objet central de la politique de Louis XIV. Sous le Roi-Soleil ; elle n’est pas un phénomène séparable de la politique et elle n’est pas non plus, ou pas seulement, une ‘’continuation de la politique par d’autres moyens’’. Elle est la politique. Elle est la source et la partie constitutive du pouvoir ».  En 2025 où les bruits de bottes se font dangereusement insistants, de telles remarques se chargent, semblerait-il, d’une singulière actualité.     

En parallèle, pour qui aurait à cœur de creuser l’environnement historique dans lequel Turenne fait ses premières armes, il ne sera pas inutile de se plonger toutes affaires cessantes dans La Guerre de Trente Ans (1618-1648), écrit d’une plume particulièrement alerte par l’historienne Claire Gantet, conséquent volume de 700 pages, également coédité avec le Ministère des Armées, et que Tallandier vient d’avoir la bonne idée de ressortir en « Texto », l’indispensable collection de poche maison.  


A lire :

Turenne, génie militaire et mentor de Louis XIV, par Arnaud Blin Tallandier/ Ministère des Armées, 528p, 2025.

La Guerre de Trente Ans, 1618-1648, par Claire Gantet. Tallandier (coll. Texto), 717p. 2025.

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