Accueil Édition Abonné Avril 2018 Testament d’un terroriste islamiste

Testament d’un terroriste islamiste

Mes voisins vous diront tous que j'étais calme, gentil, serviable...


Testament d’un terroriste islamiste
©Jung Yeon-Je

Est-il bien raisonnable de laisser un cinéaste déraisonnable commenter chaque mois l’actualité en toute liberté ? Assurément non. Causeur a donc décidé de le faire. 


Je suis fiché S.

Je suis le prochain.

Vous pourrez interroger mes voisins. Après…

Ils vous diront tous que j’étais calme, gentil, serviable… Je suis une menace endogène. Je vis avec ma famille. Tranquille. Je dis bonjour, pardon et je porte les paniers des vieilles dames.

Vous croyez quoi ? Que je vais tout faire pour me faire remarquer avant d’agir ? Que je vais aller m’entraîner au tir dans les bois alors que je sais que je suis fiché ?

On passe toujours à l’acte brusquement. Parce qu’il faut bien qu’il y ait un commencement après avoir été discret.

Je n’ai pas pu partir en Syrie.

Mais je serai utile ici.

Je suis ce que vous appelez « un petit dealer multirécidiviste ». Je suis une recrue précieuse parce que je connais suffisamment bien les trucs des keufs pour pouvoir les déjouer et parce que j’ai fait suffisamment de mal dans le passé pour avoir besoin de faire beaucoup de bien maintenant que j’ai compris. Longtemps, j’ai été dans l’illégal d’après vos lois qui ne sont pas celles de Dieu, mais aussi, malheureusement, dans l’illicite.

Car seul Allah le Très Haut a le droit de déclarer une chose licite ou illicite. Ici, des gens ont rendu licites certaines choses déclarées illicites par Allah. D’autres ont rendu illicites certaines choses déclarées licites par Allah. Grâce à mes frères, j’ai appris que je pouvais me rattraper en agissant pour le bien d’Allah. J’ai compris que, quoi que je fasse, je ne suis pas dans l’illicite quand j’agis pour la gloire d’Allah.

Je sais faire maintenant, grâce à eux, la différence entre al-hallal et al-haram.

Je ris d’avance de leur négociateur qui voudra parlementer « pour que ça se termine bien ». Je parlementerai. Le temps que le buzz parte dans les médias, le temps que le monde sache que je suis un soldat d’Allah, le temps que le monde se rappelle qu’il ne faut pas oublier d’avoir peur.

Mais croyez-vous que je me serais donné tout ce mal pour rater ensuite l’occasion inespérée de tomber en martyr, c’est-à-dire d’avoir la certitude d’accéder au paradis ? Il y a d’autres moyens d’y accéder bien sûr. Mais ils ne sont pas totalement certains. Surtout pour quelqu’un qui comme moi a vécu jusqu’il y a peu dans la mécréance et la délinquance.

Si on ne me laisse pas mourir en martyr, je ne pourrai pas labelliser du sceau du bien mon passé dissolu. Alors, au moment où je vais avoir accès à tout ce qui me fait rêver alors que je ne l’aurai jamais ici-bas, imaginez-vous que je vais renoncer parce qu’un kafir me jouera de la flûte ?

323 frères, déjà, sont revenus de Syrie et d’Irak. On est 20 000 fichés en France ! Vous pensez qu’on ne sait pas que vous n’avez pas les moyens de nous surveiller efficacement ?

Vous croyez qu’on ne sait pas combien de dizaines de milliers de policiers il faudrait pour réussir à tous nous tracer correctement ? Vous croyez qu’on se gêne pour vous balader, pour vous occuper afin de laisser le champ libre à nos frères qui ont besoin de quelques heures de tranquillité pour faire ce qu’ils ont à faire ?

Je me suis bien amusé quand j’ai laissé un message sur le Facebook d’un type que je ne connaissais même pas, mais qui avait un nom arabe et quelques photos des frères en Syrie sur son profil. Je lui ai écrit : « Je t’amène la guitare la semaine prochaine… »

Le type a répondu « Quelle guitare ? » et je lui ai répondu « Oh pardon, erreur d’aiguillage ».

Et puis j’ai cherché le profil d’un autre type avec un nom arabe et des photos des frères sur son profil, un type que je ne connaissais pas non plus et j’ai écrit : « J’ai prévenu pour le concert. C’est la semaine prochaine. » Le type ne m’a même pas répondu, mais sinon je lui aurais dit un truc du genre : « OK, si la musique ne t’intéresse plus…. »

Ensuite, j’ai attendu que la semaine passe et il m’a bien semblé que j’avais les keufs au cul. Et le lundi, je me suis levé à cinq heures, je me suis fait un petit kawa et à cinq heures trente, je sortais de l’immeuble avec un étui à guitare…

Ils m’ont suivi toute la matinée…

J’ai fait plein d’arrêts, je suis revenu sur mes pas, reparti dans l’autre sens… Je ne sais pas quelles voitures me suivaient, mais quel que soit l’endroit, je n’étais jamais le seul automobiliste. Ou alors il y avait au moins une moto. Finalement, j’ai laissé l’étui sur un parking vers trois heures de l’après-midi et je suis rentré chez moi.

J’imagine leur tête quand ils l’ont ouvert ! Il n’y avait rien dedans.

J’ai bien dû mobiliser une dizaine de flics avec mon histoire. Pendant ce temps-là, les frères des environs étaient tranquilles pour faire ce qu’ils avaient à faire. Peu de chance qu’il y ait assez de monde pour les suivre en même temps que moi. Surtout qu’eux, ils n’avaient laissé aucune trace de ce qu’ils allaient faire. Même moi je ne sais pas ce qu’ils avaient à faire. Je savais juste qu’ils avaient besoin d’une demi-journée de tranquillité. Il a suffi d’une phrase échangée à la mosquée et je savais comment aider…

Demain, c’est moi qui aurai un truc à faire.

Demain, c’est moi qui occuperai le terrain. Vous nous faites reculer là-bas, mais ici on continuera d’exister. En semant la terreur et la mort. En occupant le devant de la scène. Vous ne libérerez pas vos pensées de la crainte qu’on vous inspire. On recule géographiquement pour le moment, mais on ne cède pas un pouce sur le terrain de l’effroi.

Ne cherchez pas les « donneurs d’ordre », on n’est pas Al-Qaida.

On n’est pas dans une structure militaire avec une élite qui commande des troupes.

On fait du roommate-terrorisme, on est les colocataires de vos sociétés et vous n’y pouvez rien. On est les Uber du terrorisme. On apporte notre propre voiture et le pourcentage que prend Daech sur chacune de nos courses, c’est la crainte qu’il continue d’inspirer malgré son recul territorial.

Et nos femmes ont des ventres et elles enfanteront pour perpétuer de génération en génération la vraie parole d’Allah.

J’étais destiné à n’être personne et je peux devenir quelqu’un en mourant pour la gloire du Très Haut. Moi, le rien du tout, je peux être individualisé par la mort en gagnant de surcroît ma place au paradis.

Je vous dis à demain…

Ou rendez-vous là-haut pour les meilleurs d’entre vous…

Le petit terroriste

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Avril 2018 - #56

Article extrait du Magazine Causeur




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est cinéaste et scénariste. Il a notamment réalisé La journée de la jupe (2009).

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