Accueil Édition Abonné Avril 2024 Stuart White versus Charlotte Lewis

Stuart White versus Charlotte Lewis

L'interview que Charlotte Lewis veut faire oublier...


Stuart White versus Charlotte Lewis
Stuart White, mars 2024. © D.R

Ancien correspondant d’un tabloïd anglais aux États-Unis, Stuart White est venu à Paris témoigner pour Roman Polanski, attaqué en diffamation par Charlotte Lewis. Cette ancienne comédienne, qui accuse le réalisateur de l’avoir violée en 1983, prétend que White a trafiqué un entretien de 1999 où elle encensait Polanski. Rencontre avec un journaliste qui tient à son honneur.


Faut-il se fier à la parole d’une femme ? Oui, répond Stuart White – quand elle dit la vérité. On doit donc apprécier la cohérence et la sincérité de son récit. C’est à Paris que j’ai rencontré cet ancien journaliste qui, après quarante ans dans la profession, a pris sa retraite en 2003 pour devenir scénariste. Début mars, il a pris l’Eurostar afin de témoigner au procès pour diffamation intenté à Roman Polanski par l’actrice britannique, Charlotte Lewis.

En 2010, lors d’une conférence de presse, cette dernière accuse le cinéaste d’avoir abusé d’elle sexuellement en 1983 « de la pire manière possible »– sans ajouter d’autres détails.

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À l’époque, en 1983, elle avait 16 ans et cherchait un rôle dans Pirates, le film de Polanski qui sortira en 1986. Après son annonce tonitruante, les médias déterrent une interview de 1999 qu’elle avait accordée à White, alors correspondant américain du journal britannique News of the World. Elle y donne une image si différente d’elle-même et de ses relations passées avec Polanski (qu’elle encense) que sa crédibilité est compromise. En 2018, elle revient à la charge en substituant à l’accusation d’abus sexuel celle de viol. En même temps, elle proclame que l’entretien de 1999 ne reflétait pas ce qu’elle avait dit, était truffé de mensonges et avait été publié sans son plein accord. Se confiant à Paris Match en 2019, Polanski réfute les allégations de Lewisen citant de nouveau l’interview de 1999. Quelques mois plus tard, l’actrice assigne le réalisateur en justice pour avoir porté atteinte à son honneur. C’est ainsi que Stuart White, alerte retraité de 77 ans, a été amené à traverser la Manche pour défendre son propre honneur et rétablir les faits.

L’âge d’or du tabloïd

À l’audience du 5 mars, l’avocat de Lewis a tenté de disqualifier News of the World en taxant ce tabloïd de journalisme bas de gamme. Certes, le titre a cessé de paraître en 2011 à la suite d’un scandale de piratage téléphonique mais, selon White, ce jugement hâtif trahit une incompréhension profonde du monde des tabloïds avant 2000. Si ces derniers payaient souvent les gens qui leur apportaient des révélations, ce n’était pas pour récompenser l’invention de faux récits, mais pour se réserver l’exclusivité de l’histoire. La publication par un journal d’affabulations mensongères l’aurait exposé (et l’exposerait encore) à des poursuites pour diffamation souvent très coûteuses. Un reporter comme White était formé non seulement pour dénicher des scoops, mais aussi pour trier le vrai du faux.

Après un apprentissage dans la presse locale, White rejoint la presse nationale en 1969. Généraliste, il a couvert les événements en Bosnie, en Croatie et au Rwanda. À cette époque, les journalistes ne restaient pas beaucoup derrière un écran d’ordinateur. L’activité principale s’appelait « knocking on doors » (« frapper aux portes ») car, avant l’e-mail et Zoom, on devait repérer ses interlocuteurs et insister pour les voir.

En 1994, White devient rédacteur principal de News of the World aux États-Unis. C’est là qu’il couvre le scandale Clinton-Lewinsky et le 11-Septembre. C’est là que, à Los Angeles, il rencontre Charlotte Lewis.

1999, l’interview fatidique

Après Pirates et le succès de Golden Child, de 1986, où elle partage la vedette avec Eddie Murphy, la carrière de l’actrice a du mal à décoller. Panier percé ayant des problèmes d’addiction, la gloire la fuit. En 1996, White a la preuve que Lewis a fait une cure de désintoxication. Ils’apprête à publier l’histoire quand il reçoit un fax comminatoire d’un cabinet d’avocats, suivi d’un appel téléphonique de la part de Lewis, en pleurs. Elle le supplie de ne pas publier cette nouvelle qui est fausse et ruinerait sa carrière. Il obtempère, sachant qu’il ne pourra pas produire sa preuve devant un tribunal. Mais quand un jour il croise Lewis, elle lui annonce que l’histoire était vraie et ses sanglots, du cinéma, ajoutant : « Je suis une bonne actrice, n’est-ce pas ? » White savait déjà qu’elle lui avait menti, mais le fait qu’elle s’en vante dévoile tout un pan de sa personnalité. Néanmoins quand, en 1999, elle veut vendre son histoire, car elle est fauchée, il est prêt à l’écouter. L’interview se déroule sur plusieurs séances. Après la production d’un premier texte, White est informé par sa direction que le récit des amours de Lewis ne vaut pas le cachet de 30 000 livres qu’elle a perçu, mais que l’agent de cette dernière propose d’autres révélations de sa cliente. Dans un nouvel entretien, Lewis raconte comment, en faisant l’école buissonnière dans les boîtes de nuit londoniennes au cours de l’été 1981, elle est tombée dans la prostitution à l’âge de 14 ans.

Charlotte Lewis et Roman Polanski lors de la présentation du film Pirates au 39e Festival de Cannes, 9 mai 1986. ©Benaroch/guilloteau/sipa

Dans son nouveau texte, White la présente avec délicatesse comme une victime. Il ne fait aucune référence à un article publié par son journal en 1988 qui corrobore ces révélations : un jeune entrepreneur y dévoile ses frasques et ébats sexuels avec la future actrice au cours de l’été 1981. Lewis explique ensuite comment elle est passée de cette phase malheureuse de sa vie à la gloire. Devenue mannequin à 15 ans, elle rencontre Polanski à Paris à 16 ans par l’intermédiaire d’une amie, Karen Smith. Il fait d’elle une actrice et lui permet de partir pour Hollywood. Lewis affirme alors que c’est elle qui a séduit le cinéaste à 17 ans, ajoutant :« J’avais probablement plus envie de lui que lui de moi. » Ils seraient restés amants pendant six mois. White la consulte plusieurs fois pour vérifier des détails. Il le sait, car il a tenu un journal qu’il possède toujours et qu’il a soumis au tribunal parisien. Lewis ne pouvait pas ignorer les révélations du texte final et si elle n’avait pas été d’accord, elle aurait pu réclamer des dommages et intérêts au journal. Mais elle ne l’a pas fait. Elle a empoché les 30 000 livres et, après deux derniers films en 2003, elle est rentrée à Londres. Sa carrière apparemment finie, elle a donné naissance à un garçon.

La machine s’emballe

Son retour fracassant sur la scène médiatique a donc lieu en 2010. Polanski est alors en résidence surveillée en Suisse, dans l’attente d’une éventuelle extradition vers les États-Unis dans le cadre de l’affaire Samantha Geimer. Lewis crée une société de production destinée à tourner un documentaire sur ses aventures hollywoodiennes et prend contact avec White en lui demandant d’admettre que son texte de 1999 ne correspond pas à ce qu’elle avait dit. Il refuse. Lewis se présente quand même devant les caméras à Los Angeles le 14 mai 2010, à côté de son avocate, Gloria Allred, pour dénoncer celui qui avait lancé sa carrière. Les accusations restent pourtant vagues. Dans une courte déclaration, Allred décrit sa cliente comme ayant été « victimisée » et reproche à Polanski un comportement de « prédateur sexuel ». Bien que la prescription en Californie pour des crimes sexuels soit de dix ans, elle estime que les déclarations de Lewis pourraient s’avérer utiles dans un éventuel procès si Polanski est extradé. Si jamais un juge trouvait que le mode opératoire était le même dans le cas de Lewis que dans celui de Geimer, la condamnation de Polanski pourrait être encore plus sévère. Quand un journaliste lui demande si le cinéaste a drogué et violé Lewis, Allred, gênée, refuse d’employer d’autres termes que ceux, très imprécis, qu’elle a déjà utilisés. Deux jours plus tard, Libération parle de l’interview de 1999 et, le 25 mai, le texte est republié sur le site de BHL. Lewis retombe dans l’obscurité médiatique. Jusqu’à ce que l’affaire Weinstein et un entrepreneur israélien lui offrent une nouvelle occasion.

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Se proclamant féministe, Matan Uziel lance la chaîne YouTube Real Women/Real Stories en mars 2016. Dans les vidéos postées, des femmes témoignent des méfaits du sexisme. Certains témoignages semblent fiables, d’autres, consacrés à la pédophilie, frôlent le complotisme. Entre août et novembre 2017, trois nouvelles accusatrices dénoncent Polanski pour des agressions sexuelles. En octobre, l’affaire Weinstein éclate. Flairant une opportunité, Uziel crée le site imetpolanski.com qui invite des femmes à témoigner contre le cinéaste. Sur Twitter, il promet une récompense de 20 000 dollars, mais avouera par la suite qu’il ne disposait pas d’une telle somme. Il prétend avoir reçu cinq témoignages de femmes dont ni l’identité ni le récit ne seront jamais divulgués. Une sixième rend publiques ses accusations à travers le tabloïd anglais The Sun. Dans cette atmosphère, Lewis peut-elle faire un come-back ? Dans le contexte d’une tentative pour récupérer la garde de son fils qu’elle aurait perdue, elle a déjà une nouvelle approche. En 2016, elle contacte son ancienne amie, Karen Smith, pour lui demander une déclaration écrite confirmant que Polanksi l’a violée à Paris en 1983, ce que Smith accepte. Restant consciente du danger que représente l’entretien de 1999, elle contacte Bernard-Henri Lévy, début 2017, pour lui demander de l’effacer de son site. En vain. La seule solution désormais sera de nier la véracité de cette interview.

La MadonneMeToo aux pieds d’argile

C’est ainsi qu’elle enregistre une vidéo pour la chaîne d’Uziel en 2018, dont une version courte sera postée en décembre et une version longue (avec 158 000 vues), en septembre 2020. Pour la première fois, elle parle de « rape », « viol », et laisse entendre qu’elle avait déjà prononcé le mot en 2010, ce qui est faux. Elle fournit enfin des détails sur l’agression : invitée avec Smith à passer la nuit dans un appartement attenant à celui de Polanski, elle se serait trouvée seule chez le cinéaste à la fin d’une soirée arrosée. Il l’aurait droguée avant de la contraindre par la force physique à avoir des rapports sexuels.

Pourtant, l’ombre de 1999 n’a pas disparu. En janvier 2019, elle échange des e-mails avec White pour le convaincre – toujours en vain – d’admettre que la fameuse interview était mensongère. Cela ne l’empêche pas d’accorder une interview filmée à L’Obs en décembre (795 000 vues) où elle prétend que le journaliste lui aurait avoué que son texte ne correspondait pas à ce qu’elle avait dit. En décembre 2021, Catherine Balle, qui a rencontré Lewis à Londres, révèle dans Le Parisien l’existence de l’attestation de Smith. Seulement, un an plus tard, Le Point apprend à ses lecteurs que Karine Smith est revenue sous serment sur son témoignage de 2016 : elle dit n’avoir confirmé le récit de Lewis que pour l’aider à récupérer son fils. En réalité, elle n’avait jamais entendu parler d’un viol ou d’une quelconque agression par Polanksi.

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La naïveté de nos médias « sérieux », si dévoués à la cause de la vérité, est démontrée par la manière dont ils ont repris en chœur la version selon laquelle Lewis, en 2010, avait déjà parlé de viol.  Pour savoir ce qu’elle avait en tête à cette époque, il suffit de lire l’interview qu’elle a accordée au Mail on Sunday deux jours après l’annonce de Los Angeles. Là elle livre une version complètement différente de l’interaction avec Polanski en 1983. Toujours chez lui, il aurait expliqué qu’il avait besoin de coucher avec elle pour la former en tant qu’actrice. Refusant, elle serait retournée dans l’autre appartement pour discuter avec Smith mais, consciente qu’elle avait besoin d’argent, elle aurait décidé d’aller céder au cinéaste. Une contrainte psychologique et économique, certes, mais pas de contrainte physique, pas de drogue, pas de viol.

Depuis 1999, Lewis nous a donné trois versions très différentes de son histoire, peut-être toutes fausses. Pourquoi, avec le temps, son récit se rapproche-t-il du mode opératoire de l’affaire Geimer ? Opportunisme ? Pourquoi se déplacer à LA et à Paris pour accuser, quand la prescription pour viol n’existe pas au Royaume-Uni ? Peur de confronter son histoire avec les faits ? Aujourd’hui, le travail de scénariste de Stuart White lui permet de s’adonner à sa passion des histoires vraies, comme celle d’Eugène-Jacques Bullard, le premier as de l’aviation afro-américain, ou celle de Marie Reille, une des premières personnes à alerter sur les horreurs d’Auschwitz. L’historien romain Tite-Live nous enjoint à étudier l’histoire afin d’imiter les bons exemples et d’éviter les mauvais. Qui dans cette histoire nous donne le meilleur exemple de fidélité à la vérité ?

Avril2024 – Causeur #122

Article extrait du Magazine Causeur




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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