Accueil Économie Sortis de l’auberge

Sortis de l’auberge

Cet été, les Français ont déserté les restaurants. Et si l’envolée des prix ne constituait pas la seule raison à ce désamour ?


Sortis de l’auberge
Bordeaux, 22 juillet 2025. Capture d’écran d’un reportage de TF1 sur la baisse de fréquentation des restaurants. Capture d’écran TF1

Cauchemar en cuisine. Les Français ont déserté les restaurants cet été. La cause de ce désamour n’est pas seulement leurs additions salées. C’est aussi un millefeuille de désocialisation, d’ubérisation, de déculturation et d’inflation, nappé d’un excès de normes et d’une fiscalité désordonnée.


La restauration traditionnelle française, celle qui prépare amoureusement en cuisine le triptyque entrée-plat-fromage-ou-dessert a du souci à se faire. Concurrencée par des chaînes industrielles mieux à même de respecter les normes sanitaires tout en dégradant la qualité de nos assiettes, elle se fait également tailler des croupières par l’inexorable américanisation de l’Hexagone. McDo, KFC, bien sûr, mais aussi le « All you can eat » – le buffet à volonté – séduisent cette jeune et sympathique génération d’obèses qui peut continuer, sur place, à scroller sur TikTok tout en s’empiffrant ad libitum (oui, le trait est un peu forcé, mais c’est de leur faute).

Dégastronomisation de la France

Résultat, Thierry Marx, président de l’UMIH (syndicat moins marxiste qu’il n’y paraît), s’inquiète de la baisse de fréquentation des restaurants enregistrée cet été – 15 à 20 % de clients manquants sur les terrasses. Il s’alarme de ce qu’il nomme « la dégastronomisation de la France » – et sa maîtrise des arts martiaux nous impose la pudeur de ne pas avoir à l’interroger sur sa gamme « Feed », une espèce de Yop bio, promesse de faire un repas liquide en deux minutes. Le chef étoilé avance des explications pertinentes au peu d’appétit de nos compatriotes – les restaurateurs doivent intégrer au prix des menus l’envolée du coût des matières premières, des loyers, de l’énergie, tandis que la clientèle compte ses sous et redoute les hausses de la ponction fiscale promises par le budget Bayrou. À ce sujet, il serait sans doute judicieux de réserver aux artisans du « fait maison » les taux réduits de TVA dont bénéficie l’ensemble de la profession (McDo compris) – et qui coûtent près de 3 milliards à notre impécunieux État.

Malgré ce dispositif onéreux, les clients constatent depuis des années une folle envolée des additions glissées sur les nappes à carreaux (+12 % rien qu’en 2022 avec une inflation à seulement 5 %). Et la politique énergétique ubuesque que semble vouloir imposer le gouvernement n’arrangera rien – rappel : 300 milliards d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques pour produire une électricité dont nous n’avons (détail) absolument pas besoin. Ce coût de bambou idéologique a vocation à faire doubler la note d’électricité des Français en général et celle des restaurateurs en particulier, entrepreneurs condamnés à disparaître ou à rogner leurs faibles marges : seulement 8 à 10 %. Il leur reste donc 10 euros sur votre note à 100 euros, c’est assez mal payé l’heure de travail décalée. Tout concourt donc à saler plus que de raison l’addition que le serveur nous présente en fin de repas (et même si c’est à la fleur de sel de bambou coréen, ça passe de moins en moins crème).

Crise des vocations

Le SMIC hôtelier a en effet connu une revalorisation notable, car il faut désormais des rémunérations plus élevées pour tenter d’attirer une main-d’œuvre qui a, depuis le Covid, massivement déserté la salle, la cuisine, les sanitaires (côté sanitaires, il y aurait d’ailleurs à redire, mais c’est un autre sujet). Travailler lorsque les autres se reposent, « servir » dans un pays obsédé par l’égalité et constater la diminution drastique des pourliches à mesure que les règlements en cash disparaissent au profit du paiement sans contact (quelle horreur le contact !), tout cela ne facilite pas les vocations. Des pourboires qu’une administration schizophrène et avide de se refaire sur cette histoire de TVA souhaite ardemment fiscaliser, alors que c’est un des rares avantages de ces métiers. Propriétaire d’un restaurant en zone touristique, il vous restera à loger vos saisonniers dans une zone où le moindre garno – sans route à traverser pour aller aux toilettes – se loue à prix d’or sur Airbnb. Bon courage.

De plus, le développement des locations saisonnières incite les vacanciers à cuisiner chez eux. Plus globalement, les restaurateurs subissent plus que d’autres la digitalisation de nos vies. Ce ne sont plus les étoiles Michelin qu’une poignée guette, mais celles de Google ou Tripadvisor que tous redoutent. L’infernal trio Amazon, Netflix, Uber Eats fait aussi partie de l’équation dont le président de l’UMIH déplore le résultat. Car les prix et les autres éléments mis en avant par Thierry Marx n’expliquent que partiellement la désertion des auberges. Depuis 2020, les Français semblent avoir moins envie de flâner, de se fréquenter, non seulement parce que Netflix leur offre dans leur canapé (999 euros sur Amazon avec enceintes surround Bluetooth intégrées et nombreux voyants lumineux) ce que les salles de cinéma leur procuraient jadis – d’ailleurs, elles se vident aussi, tiens, tiens. Plus de resto avant ou après la séance ; plus de séance du tout ! Il est enfin sans doute interdit de penser (attention, discours de haine) qu’ils se méfient plus qu’avant de leurs rues et de leurs terrasses. L’autre apparaît comme dangereux depuis qu’il est potentiellement porteur d’un virus ou d’un couteau.

Résumons-nous : qui a envie d’un dîner à 75 euros par tête, cuisiné à 30 bornes, avec une voisine qui tousse et un voisin irascible – le tout bien sûr, à Crépol et même avec une sangria de bienvenue offerte ? On ne se ferait pas plutôt livrer dans notre Airbnb un hamburger tiède, par un serf à scooter exploité trois euros de l’heure ? On dînerait en dénonçant les conditions humiliantes des serveurs dans la restauration et le travail au noir (dans tous les sens du terme) dans les cuisines de nos tavernes.

La restauration se situe ainsi au confluent de plusieurs maux français : désocialisation, ubérisation, déculturation, crise immobilière, coût du travail élevé, mais faibles rémunérations nettes, excès de normes, fiscalisme désordonné, politique énergétique inflationniste. Résultat, il est possible de manger à Venise ou Lisbonne pour moins cher qu’à Châteauroux. Ce ne serait pas idiot de se demander pourquoi et de s’inspirer de la recette. Les Français ne casseront pas leur PEL pour payer des additions trop salées. J’oubliais, le sel de bambou coréen, c’est le plus cher du monde.

Septembre 2025 – #137

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Pourquoi tant de haine?
Article suivant Pour ou contre les juifs ?
Diplômé d'HEC, il a travaillé de nombreuses années dans la presse ("Le Figaro", "Le Nouvel Obs", "Libération", "Le Point", etc.). Affectionnant les anarchistes de droite tels Jean Yanne ou Pierre Desproges, il est devenu l'un des meilleurs spécialistes de Michel Audiard. On lui doit deux livres de référence sur le sujet : Le Dico flingueur des Tontons et L'Encyclopédie d'Audiard (Hugo & Cie).

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération