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Apportez-moi la tête d’Alfredo Sarkozy


Apportez-moi la tête d’Alfredo Sarkozy

nicolas sarkozy tournaire

Tout commence le 19 avril 2013 : ce jour-là, le parquet de Paris ouvre une information judiciaire pour corruption. On confie l’enquête aux juges Serge Tournaire et René Grouman ; elle n’est pas mince, puisqu’elle implique Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux et Claude Guéant, et qu’elle s’intéresse à l’éventuelle contribution financière de Mouammar Kadhafi en faveur de Nicolas Sarkozy  lors de la campagne présidentielle de 2007. Commencent alors, sur décision des magistrats, les interceptions téléphoniques relatives à M. Sarkozy, à ses deux anciens ministres de l’Intérieur, ainsi qu’à leurs proches.

On sait aujourd’hui que Patrick Buisson enregistrait le président de la République, dans l’exercice de sa fonction, à l’insu de celui-ci. À l’aide de son arme d’accumulation massive dissimulée dans sa poche-revolver, il saisissait le moindre soupir, la petite lassitude, le dernier adieu de pas-de-porte. Mais on ignorait qu’un fonctionnaire anonyme enregistrait les conversations du justiciable Sarkozy, les oreilles greffées sur son téléphone portable. Comment est-on arrivé à cette extrémité ?

Il ne faut ni s’étonner, ni, surtout, se scandaliser qu’un juge ait placé sur écoute Nicolas Sarkozy, naguère président de la République, après qu’il a retrouvé sa condition culturelle de citoyen français, dès lors que ce juge peut légitimement penser, dans le cadre d’une enquête, qu’il est impliqué dans un trafic d’influence (présumé). Néanmoins la France, démocratie délicieusement féodale, se méfie des manières brutales de ces cow-boys américains, de leur réalisme protestant, de leur recherche volontariste de la vérité. Les américains remercient Dieu de les avoir créés, les Français lui savent gré d’avoir créé la France, et de leur avoir laissé le soin de s’inventer eux-mêmes. Nous avons de l’indulgence pour les excès, voire les méfaits de nos Excellences ; nous voulons oublier leurs faiblesses plutôt que de les en accabler. Ces hommes, que nous avons placés si haut, nous n’aimons pas contribuer à leur chute, qui nous entraînerait avec elle…

Qui a décidé, d’écouter non pas le citoyen Sarkozy, mais le justiciable Sarkozy ? Le juge Tournaire jouit d’une réputation flatteuse. On le dit indépendant, solide, froid, alors qu’on imaginait un homme blafard, jamais repu de suspicion cafarde, éprouvant une joie mauvaise à espionner les conversations entre Nicolas Sarkozy et son avocat. Un tel juge, dans son droit, est redoutable. Mais alors, s’il est de gauche et/ou par surcroît membre d’un syndicat historiquement hostile à Nicolas Sarkozy, il se sent investi d’une mission quasi-civilisatrice. Pour lui, chasser Sarkozy, le harceler, le traquer, relève du devoir national. Il trouvera auprès des socialistes de pouvoir la parole zélée des politiciens aux abois, prêts à toutes les flatteries. Il pourra compter sur le soutien actif de Libération, quotidien en voie de désertification rapide, chantre de la Gauche morale. Au reste, ce quotidien a publié une photographie inquiétante de Nicolas Sarkozy, avec ce titre : « Le Parrain ». Eric Decouty, excellent journaliste d’investigation par ailleurs, y signe un éditorial en forme de réquisitoire, dénonçant une « clique d’affidés », au seul service d’une manière de mafieux uniquement occupé de ses intérêts, sollicitant les services de personnages influents, de grande vénalité, qu’ils récompensaient par des places et des prébendes. M. Decouty conclut son réquisitoire par un vibrant hommage à « une justice indépendante dans une démocratie où l’Etat de droit est à nouveau respecté ». Il paraît que François Mitterrand se fait répéter cette phrase par des anges plusieurs fois par jour, et qu’il ne se lasse pas d’en rire…

Christophe Regnard, de l’USM (Union syndicale des magistrats) était l’invité de RTL le 7 mars. Il narra par le menu la genèse de l’affaire, évoquant l’article 100 du code de procédure pénal, et la liberté laissée au juge d’écouter les conversations entre un particulier et son avocat. Excellent dans ce répertoire, il donna un impeccable récital, puis profitant d’une question, il plaça son contre-ut :

« Mettre deux ex-ministres et un ancien président sous écoutes, cela ne vous paraît-il pas disproportionné ?

– On ne s’étonne pas quand il s’agit de quelqu’un, qu’on soupçonne de trafic de stupéfiant ou d’actes de terrorisme, mais qui n’[est pas un VIP] ».

À la fin de l’envoi, M. Regnard touche ! Il faut que le public soit conscient du caractère exceptionnel des mesures prises, parfaitement accordées à l’importance des fautes, dont on soupçonne M. Sarkozy de s’être rendu coupable. Cette fois, « il padrone » don Sarkoleone, est dans la nasse : des petits juges courageux, déterminés, libres de toute contrainte, protégés par une hiérarchie aimable, par un ministre affectueux, par l’ensemble d’un gouvernement attendri, feront tomber l’incarnation du Mal ! Mme Taubira ne savait rien, M. Valls ignorait tout, M. Ayrault, comme à son habitude, « inexistait », et M. Hollande, coiffé de son casque, regardait ailleurs.

Nos gouvernants attendent-ils de la justice, qui n’a pas osé s’attaquer à Mitterrand et a raté Chirac, se venge sur Sarkozy, lequel ne se comporta pas mieux avec elle qu’avec les autres représentants de l’État ? Verra-t-on quelque jour le petit Nicolas, en slip, menotté, extrait sans ménagement d’une cave de la villa Montmorency, pâle, ahuri, le visage mangé par une barbe de prophète, à la manière  de Joaquin Guzman, baron de la drogue, surnommé « Le trapu » en raison de sa petite taille, interpellé récemment au Mexique, après une longue cavale ?

Les juges français, dont l’histoire n’est pas si glorieuse, sableront-ils alors le champagne de la victoire et de la revanche ? Nombre d’entre eux espèrent abattre les cloisons qui les séparent des simples et modestes justiciables, alors qu’ils furent peu nombreux  pour s’offusquer devant le mur des cons !

 

N.B : Le titre de cet article fait bien sûr référence à Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia,  film de Sam Peckinpah avec l’impeccable Warren Oates.

*Photo : BRUNO BEBERT/SIPA. 00678460_000026.



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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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