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Pour la Belgique


Pour la Belgique

J’aime la Belgique. Profondément, définitivement, absolument. La Belgique n’est pas seulement un pays : c’est un état d’esprit, un art de vivre, une donnée spirituelle de l’histoire. Les plages de Coxyde, l’été, quand on se baigne un peu trop loin et que résonne la trompe étrangement archaïque de la jolie surveillante en combinaison rouge ou bien les cafés de la république libre d’Outremeuse à Liège lorsque le péquet met de jolies couleurs à la nuit sont autant d’utopies concrètes, de possibilité d’exister encore joyeusement dans un monde chaque jour plus désenchanté.

C’est que la Belgique, malgré sa superficie réduite, est une province de l’infini. Elle a inventé le surréalisme, le fantastique, l’art nouveau. Elle nous a donné deux géants du vingtième siècle qui sont devenus des figures universelles : Tintin et Maigret, le reporter et le commissaire. Sans la Belgique, d’ailleurs, la littérature française ne serait pas grand-chose. Le nombre d’écrivains français qui sont belges dépasse l’entendement. Et seraient-ils aussi bons s’ils n’étaient pas belges ? L’étrangeté de Michaux en poésie ou de Magritte en peinture serait elle aussi profonde si ces deux artistes n’étaient pas nés dans ce pays au cœur double depuis sa naissance en 1830 ?

Pourtant son imaginaire et sa façon d’être au monde transcendent le clivage linguistique. Les vents mauvais ont beau souffler, il y a une identité belge qui est tenace malgré les ambitions de quelques carriéristes démagogues tisonnant les égoïsmes économiques à courte vue.

Je reviens à peine de Bruxelles où je me trouvais à l’assemblée générale des amis de Georges Simenon. C’est un aimable cénacle de doux maniaques, collectionneurs et érudits, où je compte quelques admirables amis. Il y a là, pour la partie belge, des Flamands, des Wallons et des Bruxellois. Le sentiment dominant, quand la question est venue sur le tapis au moment du buffet, c’est qu’il n’y avait aucune raison de se séparer. Etais-je tombé sur un repaire de belgicains, comme on appelle là-bas ceux qui manifestent leur attachement viscéral au pays ?
Je ne crois pas : le matin même, j’étais sur Tervuren où se tenait une gigantesque brocante, un des sports préférés des Belges. Tervuren est une avenue qui part du parc du Cinquantenaire et continue sur une dizaine de kilomètres en longeant le parc de Woluwe (prononcez volué). Une de ces avenues typiquement européenne, finalement, à la fois majestueuse et humaine.

Aux fenêtres des immeubles Horta, gracieux comme des fleurs, il n’était pas rare de voir un drapeau belge. Sur les vitres des voitures garées ou dans les vitrines des commerces et des cafés (côté soleil), des autocollants avec ce même drapeau barré d’un très clair : « Touche pas à mon pays ! ». Et la veille au soir, derrière ma Westmalle Triple, à la Fleur en papier doré, le café que fréquenta le groupe des surréalistes belges et notamment les trop méconnus Marcel Marien et Louis Scutenaire, l’impression était plutôt, dans la clientèle flamande comme dans la clientèle francophone que le psychodrame en question était surtout celui d’appareils politiques jouant avec le feu et que tout cela n’avait pas grand chose à voir avec un désir majoritaire dans la population.

Ce ne serait pas la première fois, n’est-ce pas, qu’il y aurait une rupture entre un pays légal et un pays réel, comme disait l’autre. En fait, l’état d’esprit semblait tout à fait semblable à celui de la Marche Blanche qui vit défiler tout un pays uni comme jamais pour protester contre les dysfonctionnements du système après l’affaire Dutroux.

Si décidément, après les élections régionales du 13 juin, la Belgique devait disparaître, cela serait une confirmation : le marché n’aime pas les nations. Il leur préfère des régions, ce qui n’est pas du tout la même chose. L’indépendance ou la sécession de la Flandres aurait à peu près autant de sens, d’un point de vue identitaire, que celle de Rhône-Alpes. A la limite, la Bavière catholique aurait plus de légitimité à prétendre au statut de nation dans une Allemagne protestante. On oublie, en effet, deux puissants facteurs belges d’unité  : le catholicisme et la monarchie. Les Flamands et les francophones n’ont peut-être pas la même langue, mais ils ont le même rapport à Dieu. Même dans des sociétés déchristianisées, cela induit une façon de vivre qui fait que les Flamands, ne sont pas comme on le croit trop souvent, une simple excroissance batave. Quant à la monarchie, son grand avantage est d’incarner une nation tout entière dans un homme dépositaire d’une légitimité historique. Un roi sur un trône, ça vous empêche le démagogue ou le fasciste de monter plus haut que le poste de premier ministre. C’est toujours ça de gagné.

La poussée micro nationaliste en Flandres n’est plus la revendication culturelle plutôt légitime au départ. On pourra lire Le Chagrin des Belges du grand Hugo Claus sur la question.

Il y eut effectivement une époque où la langue flamande était considérée comme un patois de paysans qui partaient faire les jaunes dans les filatures en grève de Roubaix et qui se faisaient tuer en 14 sous le commandement d’officiers leur donnant des ordres dans un français qu’ils ne comprenaient pas. Cela n’a pas empêché néanmoins tout ce petit monde de se battre admirablement du côté du saillant d’Ypres sous le commandement du roi chevalier Albert Ier et de tenir 4 ans derrière l’Yser. Même la bourgeoisie flamande parlait exclusivement français et un de nos plus charmants écrivains, Félicien Marceau, académicien de surcroît, est originaire de Kortenberg dans le Brabant flamand.

Mais tout cela est du passé. La frontière linguistique qui sépare nord et sud, Flandres et Wallonie et qui date des années 60 a redonné toute sa fierté à une communauté et même un peu plus. On est vite d’ailleurs parfois passé un peu de la fierté à l’arrogance du côté de Louvain ou des Fourons.

Aujourd’hui, il ne s’agit plus de cela : l’extrême droite et autres autonomistes, y compris certains au VLD, le principal parti de gouvernement côté flamand, surfent surtout avec un égoïsme économique à courte vue. Ils propagent un cliché qu’ils pensent rentable électoralement : un Flamand riche, grand, blond, jeune et spécialisé dans les technologies de pointes paierait pour un Wallon petit, socialiste, latin, assisté et englué dans une interminable récession post industrielle. C’est Anvers, Gand et Bruges les banquières contre les chevalets abandonnés des mines du Borinage, oubliant au passage qu’il s’agit de la même communauté de destins et que les pauvres d’aujourd’hui furent ceux qui créèrent hier les conditions de la richesse présente.

Il est un peu triste de voir en France certains se réjouir à l’idée de récupérer deux ou trois départements dans un éventuel divorce entre Flamands et Wallons. C’est pour le coup que l’Europe, qui n’est déjà pas grand chose, ne serait plus rien. Plus rien qu’une entité sans identité, un non-lieu voué à la circulation sans fin des biens et des personnes.

Ce genre de monde, comme les histoires d’amour, finit mal en général. Dans Vues sur l’Europe, en 1939, André Suarès écrivait un éloge prophétique des petites nations : « Je dirai la grandeur des petites nations. Elles seules sont à l’échelle de l’homme. Les gros empires ne sont qu’à l’échelle de l’espèce. Les petites nations ont créé la cité, la morale et l’individu. Les gros empires n’en ont même pas conçu la loi nécessaire ni la dignité. Aux empires, la quantités ; la qualité aux petites nations. »

Aujourd’hui, si la Belgique meurt, c’est l’Empire qui gagne et nous tous, ici même, qui perdrons. Qui perdrons beaucoup plus qu’un voisin folklorique.



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