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Je ne fêterai pas la Sainte-Clotilde !


Je ne fêterai pas la Sainte-Clotilde !

Incarcérée depuis le 1er Juillet, Clotilde Reiss, cette jeune universitaire française en poste en Iran, qui a connu son heure de gloire médiatique grâce à un vidéoprocès à la mode stalinienne pour son rôle improbable d’espionne subversive, est sortie de prison dimanche soir dans le cadre d’une « liberté conditionnelle » qu’elle devra respecter en attendant l’annonce du verdict. Une libération assortie du paiement d’une caution (un rançonnage en règle s’élevant à 213.000 euros selon l’aveu même du procureur de Téhéran ), et de l’obligation pour Mlle Reiss de ne pas quitter l’ambassade de France.

Après avoir affirmé que nous sommes évidemment pour la libération de la jeune chercheuse, une constatation s’impose: le « cas » Reiss est sur le point de faire sombrer la France dans une insupportable phase de religiosité païenne, nous renvoyant aux pires heures du pays, occupé par le culte de la femme-otage (mais si… souvenez-vous de la frénésie collective d’amour qui avait entouré les rapts de la journaliste Florence Aubenas et de la politicienne Ingrid Betancourt). Il est à craindre que cette religion occulte revienne sur le devant de la scène, avec tout ce que cela implique : les portraits géants déployés sur les façades des mairies, l’austère cérémonie faisant de la victime féminine privée de sa liberté une « citoyenne d’honneur de la Ville de Paris », les petites bougies allumées en famille pour célébrer la « combattante de la liberté » (sic), le spleen globalisé, la mélancolie rampante, les cérémonies vaudou, les prières, le sentiment d’injustice décliné sur tous les tons et sur tous les plateaux de télévision.

Pierre Rousselin, du Figaro, ouvrait les hostilités dès le début de la semaine dernière dans un éditorial dégoulinant de lyrisme titré « Ces femmes qui incarnent la liberté », dans lequel le journaliste chantait les louanges de la figure sacrée de la femme-otage… « Aung San Suu Kyi, en Birmanie. Clotilde Reiss, en Iran. Lubna Hussein, au Soudan… L’énumération pourrait être poursuivie. Ces trois femmes ont en commun de subir une injustice flagrante et de mener un combat méritoire. Il faut jusqu’au bout les soutenir dans l’épreuve. » Ah, ces bouleversants combats de femmes… en plein cœur d’un été en panne de vrai feuilleton médiatique. Rousselin notait d’ailleurs, avec honnêteté, que ces figures de martyrs fonctionnaient particulièrement bien car il s’agissait de femmes : « Le fait qu’elles soient femmes ne change fondamentalement rien à leur cause. Mais ce n’est pas indifférent. L’opinion publique est ainsi faite qu’elle se mobilisera davantage. » Et de rappeler que l’icône de la contestation iranienne est Neda Agha-Soltan, jeune-femme tuée lors de la répression des récentes manifestations de Téhéran.

Le processus de canonisation de la femme-otage (ou prisonnière…) a déjà commencé pour Clotilde Reiss, et tous les ténors politiques y sont déjà allés de leur petite rengaine de pieuse indignation. Bernard Kouchner, sur LCI, plus vibrant que jamais : « Je veux m’adresser avec force aux autorités iraniennes : Clotilde Reiss n’est coupable de rien du tout ». Que Clotilde Reiss soit innocente est certain, mais ce que l’on entend dans ces propos, c’est qu’une femme ne saurait jamais être coupable de rien. Le ministre Chatel sur RTL : « Ce que je peux vous dire ce matin, c’est que nous avons le début d’un espoir. » Comme si l’Iran de Mahmoud invitait à l’espoir… Il manque encore « Nous sommes tous des Clotilde Reiss ! » Ségolène Royal s’excusera certainement. Il ne manquera plus que les « Ah la la ! » puis les « Hallali ! »

Tout, dans l’image médiatique de Sainte-Clotilde, est fait pour accueillir notre sympathie, voire notre amour. Le quotidien Aujourd’hui en France n’y allait pas par quatre chemins, la semaine dernière : « Une jeune femme discrète, toujours bienveillante et d’une grande gentillesse. » Sans parler de cette belle gueule de pureté, qui parvient ce miracle d’être encore avenante sous le voile islamique. Sans parler de ce profil d’étudiante modèle, si parfait qu’elle a porté son intérêt scientifique – ouvert et éclairé – sur cet « ailleurs » de tolérance qu’est la Perse éternelle. Son papa précise : « Très vite, elle a aimé cette langue, cette culture et cette histoire plurimillénaire de l’Iran. » Sainte Clotilde martyrisée n’est pas Mata Hari, non, c’est la liberté guidant le peuple, ou Marie en toute sa pureté virginale.

Bref. Naturellement les conditions de l’arrestation, de l’emprisonnement et du procès de cette sympathique jeune femme sont ignominieuses. Mais rien de nouveau sous le soleil. Cet ahurissement généralisé donne l’impression que la France découvre seulement maintenant que le régime iranien de l’antisémite chronique Ahmadinejad était d’une inqualifiable bêtise et d’une dangerosité évidente – pour la région et le monde entier. Comme s’il fallait une madone, une innocente victime, pour commencer à s’inquiéter de la politique de ce pays.

Mais la mystique des Français étant toujours en éveil, Mlle Reiss va certainement devenir la nouvelle préoccupation monomaniaque du pays, jusqu’à son effective libération. Et on sait d’avance tout ce qui va se passer de romantique à son retour en France, quand elle sera enfin « incarnée » : l’accueil sur le tarmac du Bourget, à sa descente d’un avion militaire, par Carla Bruni et son mari ; les passages incessants dans les médias ; l’indigestion de son sourire, de son glamour, de son parcours, de son exemplarité, de son histoire… Storytelling ! Ce sera, alors, la seconde mi-temps de sa gloire wharolienne !

Fallait-il subir la surmédiatisation de cette nouvelle idole pour prendre conscience que le régime iranien, par sa politique nucléaire et les déclarations de son grotesque leader maximo, n’est pas tolérable ? Devons nous célébrer le culte de Sainte-Clotilde pour que la France rappelle son ambassadeur et cesse tout contact avec l’Iran ?



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Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

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