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Palestiniens au Liban: et s’il était plutôt là, votre “apartheid”?

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Les réfugiés palestiniens sont depuis des années une population honteusement marginalisée au Liban, sans que cela émeuve grand monde dans les pays arabes ou dans une opinion internationale trop occupée à taper sur Israël.


Ces derniers temps, on a vu Amnesty International accuser Israël d’être un État « apartheid ». Étrange accusation. En réalité, à l’exception de la Jordanie, qui, depuis 1949, a donné aux Palestiniens vivant sur son sol, le droit à la nationalité et souvent au travail, ce sont les États arabes qui, depuis 1949, pratiquent une politique d’apartheid vis-à-vis des Palestiniens. Prenons l’exemple de la situation de ces derniers dans l’un des États arabes les moins autoritaires, le Liban. Que constatons-nous, déjà à l’époque de l’« âge d’or » de la « Suisse du Moyen-Orient », donc bien avant la guerre civile et la faillite de l’État ?

Que, afin de provoquer l’exil d’un maximum de Palestiniens, les gouvernements libanais successifs ont promulgué une série de lois liberticides qui empoisonnent la vie des réfugiés. Parmi celles-ci, l’impossibilité, une fois sortis du Liban, d’y retourner, à moins d’obtenir un visa de retour[1], chose que l’administration libanaise n’octroie pas facilement. Et, pour être sûr que leurs départs soient définitifs, des procédés administratifs, empêchant leurs retours, ont été instaurés. Résultat : en quelques décennies, environ 100 000 Palestiniens, sortis du Liban, s’en sont retrouvés exclus.

Camps insalubres

Afin de saisir la situation de ces réfugiés, voici quelques exemples de mesures prises à l’encontre de ceux-ci. 

Pour commencer, ils ont été regroupés dans des camps, avec interdiction, inscrite dans le préambule de la Constitution libanaise en 1990[2], de « s’implanter » dans le pays de façon définitive. Défense d’accéder à la propriété immobilière, et même d’hériter de biens immobiliers acquis antérieurement par leurs géniteurs, et cela en dépit de l’atteinte à la propriété privée[3] et des problèmes humanitaires que cette restriction pouvait générer.

Interdiction de toute réédification des camps détruits durant la guerre civile libanaise (1975-1990). Certes, de nouveaux camps ont été bâtis sous le contrôle de l’UNRWA, cependant l’augmentation de leur nombre n’a pas suivi l’accroissement de celui des habitants[4]. En outre, des camps sont dans un état catastrophique : des réseaux d’eau, de plus en plus insuffisants, voisinent avec des égouts non couverts, provoquant de nombreuses maladies.

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Impossibilité de développer les camps situés à Beyrouth. Pire, il a été ordonné à l’UNRWA d’arrêter tous les projets d’amélioration d’infrastructure de ces camps, y compris la réfection des rues. Résultat : l’énergie électrique y est souvent indisponible, et la quantité d’eau distribuée, insuffisante. Et comme la gestion publique de l’eau entraîne des frais, l’entretien des canalisations a été négligé. Tout ceci ne semble guère tracasser l’UNRWA : au lieu de s’insurger, celle-ci s’est abstenue d’effectuer tout travail de restauration des systèmes de canalisation d’eau, de même que ceux de l’électricité[5].

Empêchement de devenir propriétaires de leurs logements. Bien que ceux-ci soient à la fois exigus et incommodes, l’interdiction de faire entrer dans les camps des matériaux de construction, fait que les réfugiés n’ont pas la possibilité d’en améliorer le confort, voire dans certains cas de les réhabiliter.

Droits élémentaires bafoués

Du point de vue juridique, les droits collectifs des Palestiniens sont bafoués. Non seulement ils sont empêchés d’acquérir la citoyenneté, mais leur identité n’est pas reconnue, ce qui les prive de représentation locale. Refus de toute possibilité de participation aux décisions administratives, y compris celles qui les concernent directement, et aucun droit à l’auto-administration.

La loi libanaise qui permet aux étrangers de constituer des associations, refuse ce droit aux Palestiniens. Défense de constituer des syndicats, ou même de se syndiquer (pour adhérer à un syndicat, il faut être de nationalité libanaise). Inutile de préciser que les Palestiniens ne disposent d’aucun droit de vote, et que, a fortiori, toute constitution de parti politique leur est interdite[6].

C’est peu dire que les Palestiniens ne s’épanouissent pas par le travail : faute de passeport libanais, il ne leur est pas possible de travailler dans le secteur public. Et pour ce qui est du secteur privé, les lois libanaises exigent une autorisation spéciale du ministère du Travail, ce qui n’encourage guère les entreprises à embaucher des Palestiniens. Et quand ceux-ci le sont, c’est généralement à des salaires bien inférieurs à ceux octroyés aux Libanais. Les réfugiés se retrouvent, dès lors, employés comme main-d’œuvre peu ou pas qualifiée. En résumé, les « métiers » que les réfugiés peuvent pratiquer sont la culture de la terre, comme journaliers, la maçonnerie, les travaux mécaniques, et ceux des réparations[7]. Et cela sans qu’ils puissent bénéficier de quelque avantage que ce soit de la part de la Sécurité sociale, encore et toujours parce qu’ils ne sont pas libanais. Conséquences : plus de 60% des Palestiniens ne dépassent pas le seuil de pauvreté défini par l’ONU.

De plus, ces réfugiés sont victimes d’un « véritable désastre sanitaire » (selon l’avocat palestinien Souheil El-Natour) : empêchés d’accéder aux hôpitaux publics, c’est l’UNRWA qui les prend en charge ; cependant, comme le budget de l’agence réservé à l’hospitalisation est dérisoire, les malades doivent participer aux frais à hauteur de 50 à 75% des charges. Cette insuffisance de budget a pour effet la multiplication de maladies.

Concernant la lutte contre les épidémies : estimant que la vaccination des enfants incombe à l’UNRWA et à l’UNICEF, le ministère de la Santé ne délivre aucun médicament. En même temps, une malnutrition généralisée des femmes enceintes et des enfants engendre une mortalité infantile à hauteur 40‰, souvent due, également, aux accouchements prématurés[8].

À part ça, tout va bien au pays du cèdre. La preuve, Amnesty International semble n’avoir pas trouvé grand-chose à redire quant à la situation des réfugiés demeurant sur son territoire.

J’ai choisi de parler de l’apartheid au Liban, plutôt que de m’étendre sur celui qui règne en Syrie, ou en Libye (États sur lesquels plus personne ne se fait d’illusions), parce que cette situation témoigne, d’une part, de l’absence de réelle solidarité des États arabes avec les Palestiniens, et d’autre part de l’insoutenable superficialité des « pro-palestiniens » qui ont toujours et délibérément choisi d’ignorer la misérable réalité de la situation des Palestiniens dans les États arabes, réservant leurs dénonciations uniquement à Israël. À la partialité et l’aveuglement d’Amnesty International, il faut ajouter l’incapacité de l’UNRWA qui, en plus de 70 ans, n’est toujours pas parvenue à sortir les Palestiniens de leur situation de réfugiés dans les pays arabes (hors la Jordanie), ni même à les protéger contre les gouvernements arabes.

Pour en venir à Israël, il est indubitable que les Palestiniens de Cisjordanie vivent dans une condition de colonisés et sont souvent victimes d’attaques et de méfaits de la part des colons, parfois ou souvent avec la complicité de l’armée israélienne. En revanche, cet État, à l’intérieur des frontières de 1967, est une démocratie qui ne pratique nullement l’apartheid : les Palestiniens restés dans le pays après la guerre de 1948-1949, sont devenus israéliens et jouissent donc, dans le pays, des mêmes droits, y compris politiques, et sont soumis aux mêmes devoirs que les Juifs – à l’exception du service militaire, ce dont il ne semble pas qu’ils se soient jamais plaints.


[1] Arrêté 487 émanant du ministre de l’Intérieur libanais.

[2] Souheil El-Natour, « Les réfugiés palestiniens », dans Confluences Méditerranée, 2023.

[3] Loi n°296 publiée au Journal officiel n°15 du 5 avril 2001.

[4] 400% selon Souheil El-Natour.

[5] Mahmoud Abbas, « Les réfugiés palestiniens au Liban : problèmes d’habitation », dans Al-Hourriah hebdo, 19 novembre 1996, Beyrouth.

[6] Souheil El-Natour, « Les Palestiniens au Liban : un étranger ». Les quotidiens Al-Quds, Al-Arabi, 12/2/1999, Londres.

[7] Souheil El-Natour, « Les réfugiés palestiniens », dans Confluences Méditerranée, 2023.

[8] Souheil El-Natour, « Les réfugiés palestiniens », dans Confluences Méditerranée, 2023.

Un balcon sur la Loire

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Avec Julien Gracq, un esprit libre, Marianne Bourgeois nous donne envie de relire Julien Gracq. « C’est l’être le plus original, le plus inconvenant, le plus anarchiste que j’aie connu et il menait une vie de petit bourgeois. Il m’a appris à faire la différence entre les faux rebelles et les vrais », a dit de lui son ami Régis Debray.


Disons-le d’emblée, la personnalité de Julien Gracq m’a toujours laissé de marbre. Peut-être parce que j’ai subi l’influence de Philippe Sollers qui n’aimait pas beaucoup la posture de l’écrivain retiré dans la maison familiale de Saint-Florent-le-Vieil (49), sur la Loire, face à l’île Batailleuse et ses peupliers frondeurs. Posture, oui. Sollers le trouvait trop compassé, calculateur. Il avait refusé le Goncourt, affirmait-il, pour Le Rivage des Syrtes (1951), dans l’unique but d’être le seul à l’avoir refusé. Mais il avait accepté d’entrer de son vivant dans la Pléiade. Gracq appréciait Wagner, et pas Mozart. Il détestait le XVIIIe siècle, et Sade l’ennuyait. Que de points de crispation pour Sollers ! Un autre, plus méconnu celui-là. Dominique Rolin, son grand amour, avait été courtisée par l’auteur d’Un beau ténébreux, ce qui avait irrité celui de Portrait du Joueur. Et puis ce pèlerinage qui consistait, pour les jeunes écrivains et les journalistes, à rendre visite à l’ermite de Saint-Florent, pour y recevoir ses confidences sur la littérature, lors d’une promenade à pied ou dans sa vieille 4L, faisait rire Sollers.

Marianne Bourgeois donne envie de relire Gracq

Bref, Gracq, c’était l’eau stagnante symbolisée par une carrière de professeur d’histoire et de géographie, commencée en 1947 au lycée Claude-Bernard à Paris, et achevée en 1970. Pour nuancer cette introduction peu amène, il convient de citer Jean-René Huguenin qui, après une visite à Gracq, note dans son Journal « J’aime sa douceur timide, son effacement, sa mystérieuse douceur. Il a beau rester objectif, égal, appliqué, presque universitaire, il a un charme – c’est-à-dire une présence (comme lorsqu’on sent dans une pièce où l’on est seul une présence derrière soi) bref, un secret. Une vie tranquille, trop tranquille ; pas de femme… Je crois que son secret est simple : il est resté un enfant, c’est un enfant qui se cache. » Rectifions : on lui connaît au moins une femme : Nora Mitrani, romancière surréaliste, d’origine bulgare. Gracq fut durement éprouvé par sa mort en 1961.

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Alors pourquoi suis-je en train d’écrire sur Julien Gracq (1910-2007), nom de plume de Louis Poirier, presque toujours vêtu d’un costume gris, d’une chemise blanche impeccable, cravaté, et coiffé comme un notaire de province ? Parce que j’ai lu l’essai de Marianne Bourgeois, Julien Gracq, un homme libre, paru aux Éditions Les Marnes vertes – un titre gracquien – qui m’a emballé et m’a donné envie de me replonger dans son œuvre, en particulier Au château d’Argol, roman que j’avais découvert lorsque j’étais en internat. Marianne Bourgeois, agrégée de lettres et médecin, sait habilement analyser les écrits de Gracq tout en y mêlant de nombreux fragments biographiques. Elle a le bon goût de commencer par son premier roman publié : Au château d’Argol. Je me souviens encore de cette phrase bataillienne qui ouvre sur un univers où Eros a rendez-vous avec Thanatos : « Ils se dévêtirent parmi les tombes ». Marianne Bourgeois rappelle que cette phrase enchantait Pieyre de Mandiargues, ami fidèle de Gracq. On découvre les ingrédients de l’écrivain, saupoudrés d’un romantisme germanique fougueux. Il y a la mort, la femme mystérieuse et fatale, le paysage maritime, le vent qui dérègle, la présence d’un cimetière, donc, la violence des sentiments, les forces de la nature mêlées à celles de l’inconscient miné par une obscure activité onirique, le sadisme enfin. S’ajoute à cela le traditionnel triangle amoureux ; ici deux hommes, Albert et Herminien, et une femme, Heine. L’essayiste résume, dans un style efficace, l’intrigue : « Au château d’Argol (1938) se réclamait résolument du surréalisme : le mythe du Graal, les forêts bretonnes et leur mystère, l’importance des rêves, l’irruption de l’inconscient et de l’amour fou, tout cela était pour plaire à Breton en même temps que la beauté du verbe. » Elle revient longuement sur l’amitié entre le pape du surréalisme et Gracq auquel ce dernier consacra un essai en 1948. Marianne Bourgeois rappelle également les nombreuses influences de Gracq, grand lecteur, à commencer par celles de Jules Verne et Balzac. Elle signale qu’il fut inscrit au parti communiste de son lycée de Quimper, et qu’il fut secrétaire du syndicat CGT. Mais rapidement, il prôna le désengagement, se tenant même à l’écart du mouvement surréaliste. Prisonnier durant la « drôle de guerre », dont certaines scènes servirent de toile de fond à ses deux romans les plus célèbres, Le rivage des Syrtes (1951) et Un balcon en forêt (1958). Il traversa la guerre dans l’attente de son dénouement. L’attente, thème central de ce roman poétique, au cadre imaginaire et sans date, qui avait mérité le Goncourt. L’amertume de Gracq trouve, semble-t-il, son origine dans l’éreintement que subit sa pièce en quatre actes sur la légende du Graal, Le Roi pêcheur (1948).

Un grand tourmenté

Les critiques furent mordantes pour ne pas dire injustes. Gracq se vengea en publiant La Littérature à l’estomac (1950), un pamphlet revigorant dont voici un court extrait : « La littérature est depuis quelques années victime d’une formidable manœuvre d’intimidation de la part du non-littéraire, et du non-littéraire le plus agressif ». Marianne Bourgeois pense qu’il lui sembla impossible d’accepter le prix Goncourt qui lui fut décerné en 1951.

L’écrivain avait beaucoup d’affection pour sa sœur, de neuf ans son aînée ; il rendit hommage à ses parents, un couple de commerçants, dans Lettrines 2. C’était en 1974. Il n’écrivait plus de romans, seulement des fragments de souvenirs. Le professeur de géographie restait fasciné par les « terrains argileux, sableux, granitiques, balsamiques », les fameuses marnes vertes, nous apprend encore Marianne Bourgeois. Peut-être l’étude de ces roches millénaires apaisait-elle ce grand tourmenté qui ne croyait pas en dieu.

Marianne Bourgeois, Julien Gracq, un esprit libre, Éditions Les Marnes Vertes. 152 pages.

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Isild Le Besco et les risques du métier

Dans un témoignage à fleur de peau, l’actrice dévoile les humiliations et violences qu’elle a subies depuis ses débuts au cinéma. Surprise: le récit met davantage en cause la dérive tyrannique de certaines réalisatrices que les méfaits du patriarcat.


Le mouvement MeToo a beaucoup plus d’allure quand il emprunte la voie littéraire que lorsqu’il s’exprime à travers d’indigents tweets et de consternantes pétitions. Dans un livre qui ne manque pas de finesse, l’actrice-réalisatrice Isild Le Besco raconte comment, dès l’âge de 14 ans, elle a mené la vie sexuelle d’une adulte, dans ses films comme à la ville, et pourquoi elle en a secrètement souffert, jusqu’à ce qu’elle se livre, des années après, à une « libération de la parole », pour reprendre la formule rituelle qui s’impose désormais en pareil cas devenu courant.

Dans Dire vrai, Isild Le Besco est toujours honnête, souvent plaintive, parfois injuste. Mais ses pages les plus intéressantes ne portent pas sur les réalisateurs qui, à l’en croire, se sont mal comportés envers elle par le passé. C’est plutôt quand elle montre de quoi certaines réalisatrices sont également capables qu’elle nous éclaire sur la nature profonde du cinéma, et sur ses risques.

Ainsi donc une offense sexuelle peut se produire dans le milieu du cinéma sans qu’aucun mâle toxique y soit pour quoi que ce soit…

Ne nous attardons donc pas sur ses accusations contre Benoît Jacquot, avec qui elle a eu une liaison pendant près d’une décennie, qui ne font que confirmer ce que l’on savait déjà de l’inclination coupable de ce dernier pour les adolescentes, lui-même l’ayant d’ailleurs reconnu dès 2011 dans un documentaire de Gérard Miller, où il parlait en ces termes de sa relation avec une autre très jeune actrice, Judith Godrèche : « Oui, c’était une transgression. Ne serait-ce qu’au regard de la loi telle qu’elle se dit, on n’a pas le droit en principe, je crois. »

Passons vite aussi sur les récriminations contre Luc Besson, à qui Isild Le Besco reproche d’avoir, en 1997, mal quitté sa sœur, la réalisatrice Maïwenn (laquelle avait épousé le réalisateur à l’âge de 16 ans, ce dont elle ne s’est jamais plainte depuis, bien au contraire). Cette banale histoire de rupture amoureuse sert de prétexte à un portrait peu crédible du cinéaste, dépeint en homme insensible et dédaigneux. Il faut dire que, telle Annie Ernaux au pays des stars, l’auteur croit débusquer rien de moins que du mépris de classe dans le simple regard de son ex-beau-frère ! Certains appelleront cela un don divinatoire. D’autres un procès d’intention.

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Quelques chapitres plus loin, l’auteur lance en revanche dans la mare un pavé autrement éclaboussant. Évoquant ses débuts dans le cinéma, elle relate un de ses premiers tournages, pour un film d’Emmanuelle Bercot. Où l’on découvre une réalisatrice autoritaire, ivre de sa toute-puissance artistique, qui en vient à carrément demander à son acteur principal (étrangement anonymisé dans le livre – « invisibilisé » ou « silencié » diraient les wokes) d’exhiber son pénis, si possible turgescent, devant la caméra. « Il bandait un peu, écrit Isild Le Besco. Pas assez pour Emmanuelle, qui attendait plus et mieux. Hors champ il se morfondait de honte. » Ainsi donc une offense sexuelle peut se produire dans le milieu du cinéma sans qu’aucun mâle toxique y soit pour quoi que ce soit…

Le patriarcat est-il vraiment la cause des violences sexuelles qui, nous dit-on, gangrènent le cinéma ?

Second souvenir, tout aussi confondant : des années plus tard, Isild Le Besco réalise à son tour un film, et y embauche son propre frère, encore adolescent, pour tenir le rôle principal. Vient le jour de la projection. Quelle n’est pas la surprise du jeune homme quand, voyant à l’écran pour la première fois les scènes d’amour dans lesquelles il a joué, il découvre qu’un plan de sexe en érection, raccord avec les images de son corps nu, a été rajouté au montage. Un artifice signé Isild Le Besco, qui voulait sans doute, par ce moyen, s’éviter un dérapage à la Bercot durant les prises de vue. Reste que le procédé suscite le malaise – et à présent les regrets de l’intéressée. On imagine la blessure que celle-ci aurait ressentie si un réalisateur lui avait fait cette mauvaise manière !

La preuve est donc faite à deux reprises dans cet ouvrage qu’une représentante de la gent féminine peut, en conscience, abuser de son pouvoir de cinéaste, introduire de la pornographie dans un film non pornographique, placer un acteur dans une situation sexuellement humiliante. Ces deux « micro-agressions », bien sûr, ne relèvent pas des tribunaux. Elles n’en soulèvent pas moins une question : le patriarcat est-il vraiment la cause des violences sexuelles qui, nous dit-on, gangrènent le cinéma ? Ne s’expliquent-elles pas plutôt par l’essence même de cet art ?

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Les tentations sont nombreuses sur un plateau, où la technique de la caméra permet les spectacles les plus impudiques, en haute définition et en gros plan ; où le fonctionnement nécessairement ultra vertical d’une équipe de tournage place le cinéaste dans une position d’autorité comme peu de métiers l’autorisent ; et où, surtout, le désir, carburant principal de la création, est partout, y compris dans l’esprit des femmes qui filment, y compris dans celui des femmes qui sont filmées.

MeToo partait d’une idée simple : alors qu’on les imaginait vivre une existence de rêve, certaines vedettes de cinéma, riches et célèbres, ont révélé à partir de 2017 qu’il leur était arrivé, « elles aussi », de connaître l’épreuve du viol. De quoi décomplexer d’innombrables victimes « ordinaires » de crimes sexuels, qui n’osaient pas en parler.

Seulement la nouvelle vague de témoignages MeToo n’a pas la même force d’identification. Dans quel autre monde que celui du Septième Art une jeune fille mineure peut-elle gagner des sommes lui permettant de se loger à Paris, de quitter le foyer familial et de devenir la compagne d’un homme mûr avec toutes les apparences sociales de l’émancipation ? Dans quelle autre profession peut-on se retrouver, en application de son contrat de travail, entièrement dénudé devant son employeur ? Le troublant récit d’Isild Le Besco est à ranger au rayon Histoire du cinéma. Pas au rayon Féminisme.

A lire

Isild Le Besco, Dire vrai, Denoël, 2024.

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Vive le Tour!

La 111è édition de la Grande Boucle s’élance de Florence en Italie aujourd’hui, à midi. 176 coureurs sont sur la ligne de départ, et des millions d’amateurs les attendent le long des routes de notre beau pays.


Le Tour de France est une fête. Fête nationale s’il en est. Du fond de son canapé, le vaillant sportif par procuration peut tout à loisir regarder défiler le pays et s’offrir ainsi, sans même remuer un orteil, le grand dépaysement dont il est tellement friand.

Le Tour, il y a d’abord les coureurs, bien entendu, gambettes alertes et vigoureuses, casaques chamarrées, regard fixé sur la ligne bleue des Vosges, la ligne d’arrivée en la circonstance. Le peloton qui passe trop vite dans le chuintement étonnamment mélodieux des mécaniques bien huilées.

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Et puis il y a la fête avant la fête, la caravane publicitaire qui, elle prend son temps. C’est clinquant, tonitruant, pétaradant, toujours identique, toujours différent. Jadis, l’immortelle Yvette Horner, muée elle aussi en « forçat de la route », bouclettes improbables au vent, bouche peinturlurée vampire, surgissait du toit ouvrant du véhicule au moindre attroupement de badauds pour donner à l’accordéon les flonflons des bals popu’ de l’époque. Re-belote le soir à la ville étape. « Forçat de la route », disais-je. Aujourd’hui, il n’y a plus ni bouclettes ni Yvette. Il n’y a plus la plume d’Antoine Blondin pour donner à ces choses vues leurs lettres de noblesse.

Mais il y a ce qui ne change pas. Le quinqua ventripotent qui se prend à cavaler comme un gamin pour récupérer au fossé une casquette à deux balles. Il y a aussi l’autre caravane (le plus souvent métamorphosée désormais en camping-car), la caravane du touriste, du vacancier de juillet, qui, malin, fait bivouac depuis des jours dans tel virolet du Tourmalet pour être à poste le moment venu et s’offrir le défoulement canaille de brailler jusqu’à l’apoplexie. Se voulant étranger à ces rites populaires, le bourgeois regarde avec condescendance, comme il se doit. Qu’importe ! Le bobo aboie, la caravane passe. Vive le Tour! Le Tour et son grand bol d’air. Cette année plus que jamais…

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Salut à Jacques Laurent! À propos de « l’Esprit des Lettres »

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Dites « Jacques Laurent », et immédiatement s’ensuivent quelques attributs: intelligence, insolence, liberté, humeur, humour, loyauté, naturel, panache – et style.


On passera assez vite sur « Hussard » et Stendhal (trop connus), sur Les Temps Modernes et L’Express, ses têtes de Turc, sur sa passion grammairienne du «malgré que».
Quoi d’autres ? De grands livres : Les Corps Tranquilles, Les Bêtises, Le Petit Canard, Stendhal comme Stendhal, Histoire égoïste. Et des revues. Essentiellement La Table Ronde, La Parisienne et Arts.
Le premier volume de L’Esprit des Lettres recueillait les articles que Laurent a donnés, entre janvier 1948 et avril 1957, aux deux premières. Le second volume rassemble ceux écrits pour Arts – dont il assure la direction à partir de juillet 1954 (jusqu’en 1958).

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On y retrouve le Mousquetaire connu, qui bataille avec Sartre, moque Beauvoir, taquine plus ou moins vertement Mauriac et ses palinodies à L’Express, guerroie contre Les Temps Modernes, l’engagement – et l’ennui.

L’époque est présente à chaque page : Minou Drouet, Sagan, Camus, Jules Romains, Auteuil de Freustié (un régal), les prix littéraires (rien ne change), Grace Kelly, un défilé Dior, Nourissier et Les Chiens à fouetter («un grand écrivain»), le dandysme («recherche d’une élégance qui veut de la rectitude» – on croise Cocteau, Fontenelle, Talleyrand, Jarry), le «traduidu» (très drôle), Labiche est relu (à la hausse, du côté de Jarry, Flaubert, Monnier).

Un article sur «Les Droites» nous évoque Berl : même goût du paradoxe, de la complexité, voire de la contradiction féconde, même incapacité à «l’esprit partisan», même dégoût de l’idéologie. Esprits inaliénables, inassignables : libres.

A lire aussi, Richard de Seze: Les résistantes résistaient-elles autrement que les résistants?

Laurent défend quelques écrivains, ses amis souvent, ses collaborateurs à Arts parfois : Barrès, Giraudoux, Maurice Leblanc (Arsène Lupin plutôt), Montherlant, Fraigneau, Cocteau, Audiberti, Jouhandeau, Aymé, Anouilh, Morand, Perret. Autres collaborateurs de l’hebdomadaire ? Déon, Blondin, Nimier, Huguenin, Matignon, Godard, Chabrol, Truffaut, Rohmer. Vous imaginez ? Continuez. Rêvez plutôt. Si Laurent évoque Sartre, c’est que Bourget n’est pas loin. Gide est démonté « façon puzzle ». La mauvaise foi a sa part – royale. A (re)lire certains de ces articles, on sourit. « Comme d’autres sous-entendent » disait Paulhan. « Pour en dire plus. » 

D’autres textes surprennent plus, car moins connus, répertoriés. À la mort de Bernard Grasset, hommage à un condottiere (sic) dont il cite les Propos : « Quelle tragique impuissance que celle d’un homme que trop d’amours appellent. » Sur Valéry : «Valéry ne s’exprimait sans réserve que sur des futilités. Sur l’essentiel, il badinait. J’entends par là un libertinage qui le jetait avec beaucoup de vivacité parmi les idées générales et lui interdisait d’en aimer aucune passionnément. Valéry a séduit trop d’idées pour ne pas choquer une époque où il est devenu à la mode de ne se dévouer qu’à une seule.»

A lire aussi, Thomas Morales : Le Paris que vous ne reverrez plus jamais !

Le dernier texte publié dans ce recueil date de janvier 1965. Laurent n’est plus directeur d’Arts. Il vient de publier Mauriac sous De Gaulle. Ce texte est un chef-d’œuvre. Dur, très dur – mais un chef-d’œuvre : «La nouveauté, c’est que vous ayez cette fois perdu votre talent, donc l’éternelle circonstance atténuante qui vous escortait depuis cinquante ans. (…) Mes vœux de nouvelle année (…) Je vous souhaite de retrouver pendant les mois qui viennent ce qui vous est essentiel, ce par quoi votre œuvre peut courir sa chance après votre mort. Vous m’avez obligé à vous juger sur le contenu littéral de votre dernier écrit parce que ce dernier écrit n’avait qu’un contenu littéral. (…) Je ne vous demande pas de cesser d’être un courtisan, vous le fûtes toute votre vie, mais je vous souhaite de redevenir écrivain – vous le fûtes presque toute votre vie.» Laurent sera entendu, exaucé – voire récompensé : Un adolescent d’autrefois, le Vie de Rancé de Mauriac, date de 1969. C’est un chef-d’œuvre.


Jacques Laurent – L’Esprit des Lettres (Vol. 2 – Arts) – Préface de Christophe Mercier – Fallois, 394p.

NB: Laurent est évidemment présent dans mon Bréviaire capricieux de littérature contemporaine etc. (Éditions de Paris-Max Chaleil). Il l’est aussi dans mon anthologie de la revue culte des « Mac-Mahoniens » (littérature, cinéma, théâtre, art) : MATULU (même éditeur).

«Kinds of Kindness» de Yórgos Lánthimos, un périple dans l’Amérique déjantée

Ce nouveau film du réalisateur grec Yórgos Lánthimos est son troisième avec l’actrice oscarisée Emma Stone, tête d’affiche incontournable du cinéma hollywoodien et objet de fascination profonde, comme seul le 7e art sait en faire naître…


Après La Favorite en 2018 et, plus récemment, Pauvres Créatures, en 2023, voici que sort en majesté sur les écrans Kinds of Kindness, qui a raté la Palme d’or au dernier Festival de Cannes.

À vrai dire, Pauvres Créatures m’avait laissé perplexe, du fait d’un imaginaire baroque trop appuyé et d’une complaisance systématique pour le grotesque. Emma Stone portait sur ses épaules ce film hybride et décadent.

Dans Kinds of Kindness, elle demeure toujours au premier plan de l’action, véritable centre de convergence dramatique, comme si mûrissait en elle une puissance compacte, qu’elle ne libérait vraiment qu’à l’image. Résultat, le spectateur n’a d’yeux que pour elle, même si les autres acteurs ne déméritent pas, notamment Jesse Plemons, qui propose ici des compositions grandioses.

Les corps conducteurs

Kinds of Kindness se composent de trois histoires, jouées par les mêmes acteurs qui passent d’un personnage à l’autre avec une facilité déconcertante. Ce dispositif permettait, comme l’a déclaré Yórgos Lánthimos, d’« exploiter les différentes facettes de jeu des comédiens », et aussi de conserver la même intensité dramatique d’un bout à l’autre du film. En français, Kinds of Kindness se traduirait par « sortes de bonté », ou de « bienveillance ». Nous sommes proches des mots anglais « friendly » et « considerate », et donc on pourrait traduire également « kindness » par « sympathie ». Ce qui donnerait : « sortes de sympathie », ou, avec un peu d’audace : « sortes de corps conducteurs », pour faire référence au romancier français Claude Simon. C’est en tout cas un titre plutôt ironique, et choisi pour étourdir le spectateur.

Les trois histoires, concoctées avec soin par Yórgos Lánthimos et son coscénariste Efthimis Filipou, se veulent un portrait de l’Amérique actuelle. La première met en scène un homme à qui un autre vole sa vie, en le manipulant d’une manière sadique. La deuxième, celle qui m’a le plus captivé, montre un policier qui ne reconnaît plus sa femme rescapée d’un naufrage. La troisième narre le destin de la responsable d’une secte qui part à la recherche d’une femme censée avoir le pouvoir de ressusciter les morts. Yórgos Lánthimos a l’art de créer une trouble atmosphère de folie, dans chaque épisode. On n’est pas loin d’Edgar Poe, me semble-t-il, mais comme revu et corrigé par les années 70. Les êtres humains deviennent facilement des monstres. Surtout, ils plongent dans la psychose avec une sorte de naturel qui effraie. Nous avons par exemple le policier convaincu jusqu’à la démence que sa femme est un double, et qui lui demande de lui cuisiner son pouce. Certes, le cinéaste montre cette scène d’horreur d’une manière assez peu crédible et presque grand-guignolesque, mais néanmoins on perçoit dans ces images inconcevables un fond de réalisme inquiétant. On a l’impression d’être vraiment chez les fous.

L’aliénation du moi

Malgré ses aspects excessifs, je crois qu’il faut prendre ce film très au sérieux.

Yórgos Lánthimos décrit des personnages qui existent autour de nous. Excédés par l’aliénation que la société exerce sur eux, ils plongent dans des comportements irrationnels, tentant de se révolter pour conserver leur moi intime. Le premier épisode montre bien cette dépossession de soi, si courante aujourd’hui, comme l’admettent les spécialistes, à l’heure où l’identité des êtres humains est remise en question. Pour bien apprécier Kinds of Kindness, je pense qu’il faudrait le mettre en relation avec la pensée d’un Jean Baudrillard (cf. Amérique, 1986, où le sociologue s’attarde sur tous les délires contemporains qui nous viennent d’outre-Atlantique). Sous des aspects de divertissement glauque, le film de Yórgos Lánthimos nous propose en réalité une réflexion parfaitement légitime à propos du monde que nous habitons. C’est le privilège de la fiction, souvent, d’en dire autant, sinon plus, que la philosophie ou la psychiatrie sur les questions graves qui nous obsèdent.

Dans le dernier épisode, situé au cœur d’une secte new age, le corps anorexique mais désirable de la femme qu’interprète Emma Stone est l’objet de diverses agressions physiques, jusqu’au viol. La brutalité subie devient maximale, alors que c’est la « purification » qui était recherchée. Comme si Dieu, en quelque sorte, devait rester nécessairement absent, et abandonner les hommes à leur misère profonde. Kinds of Kindness réfléchit sur le mal endémique. Au-delà d’un nihilisme très contemporain, auquel succombe avec peut-être trop d’empressement le réalisateur, perce cependant l’idée d’une rédemption improbable, et par conséquent toujours à venir. Le miracle aura-t-il lieu ? C’est sans doute cette aspiration morale, placée en arrière-plan par Yórgos Lánthimos, qui permet à son film d’être vu avec autant de délectation (mais une délectation morose). Avant tout, Kinds of Kindness, c’est de l’art ; et cet art ambigu est désormais la marque de fabrique d’un grand metteur en scène, qui a encore beaucoup à nous offrir.

Kinds of Kindness de Yórgos Lánthimos. Avec Emma Stone, Jesse Plemons, Willem Dafoe. En salle depuis le 26 juin.

Amérique, de Jean Baudrillard. Éd. Grasset, 1986. Réédité récemment au Livre de Poche.

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Dissolution: l’étrange président Macron

À deux jours du scrutin, le peuple français semble déterminé à poursuivre la phase dégagiste entamée par le président en place lui-même… mais sans lui.


Emmanuel Macron suscite un rejet populaire comme rarement observé dans la Vème République. Ses deux prédécesseurs ont aussi connu des périodes prolongées de disgrâce, sans toutefois n’avoir jamais cristallisé sur leurs personnes une détestation aussi universelle. On peut même se demander si la dernière chose qui puisse réunir un peuple aussi divisé que le nôtre ne serait pas de communier dans le rejet de « Jupiter ».

Rendez-vous manqués

Réunissez un sympathisant de gauche, du Rassemblement national, un jeune, un vieux, un bourgeois et un ouvrier dans un café. Après s’être battus, ils arriveront finalement à la conclusion que leurs maux sont exclusivement dus au jeune monarque qui occupe présentement l’Élysée. La chose est pour eux entendue, Emmanuel Macron est responsable et coupable. Du reste, les ministres de la majorité présidentielle rivalisent eux-mêmes de défiance, refusent de faire apparaitre le président sur leurs affiches, allant jusqu’à lui sommer de se taire durant cette campagne des législatives ! La chose est entendue et a une part d’irrationnalité. Emmanuel Macron n’est plus écouté et pas plus entendu.

A lire aussi, Richard Prasquier: Des élections sous le prisme de l’antisémitisme

Emmanuel Macron aurait toutefois tort de voir dans le phénomène une simple frénésie collective face à son génie ou un mouvement de foule hystérique qu’il n’aurait pas pu contrôler. Il a, de fait, raté énormément d’occasions et de rendez-vous avec son peuple. Concentrant tous les pouvoirs entre 2017 et 2022, il n’en a absolument pas profité pour démarrer cette « révolution » qu’il appelait de ses vœux lorsqu’il n’était encore qu’un prétendant. Premièrement, il n’a pas écouté François Bayrou qui lui demandait de réformer le mode de scrutin des élections législatives pour passer à la proportionnelle afin que dès 2017 la réalité de la sociologie électorale se retrouve au Parlement national. Une erreur qui a frustré une partie de l’électorat qui compte bien désormais poursuivre la phase dégagiste entamée par le président… sans lui.

On va dans le mur, tu viens ?

Ensuite, il n’a pas non plus tenu de référendum après la crise dite des gilets jaunes et les consultations populaires qu’il avait pourtant commandées. Il a pensé pouvoir « acheter » les Français à plusieurs reprises en saupoudrant aides et subventions directes, accroissant par la même occasion le mur de la dette dans lequel est en train de foncer le pays au risque d’une aggravation dramatique du « spread » avec l’Allemagne. Sur les sujets d’immigration et de sécurité, d’identité aussi, il a péniblement joué le symbolique face à la réalité, n’allant jamais au bout d’intentions qui sur le papier semblaient intéressantes, tant en 2018 avec la loi Collomb que plus récemment avec la « loi Immigration » qu’il a volontairement laissée censurer par le Conseil constitutionnel.
En 2022, élu malgré une importante progression de Marine Le Pen qu’il espérait pourtant réduire, il n’a pas provoqué de dissolution dès après le deuxième tour de la présidentielle ainsi que l’y invitaient ses proches conseillers. Résultat, il a perdu sa majorité absolue. Depuis lors, il n’a eu de cesse de pratiquer un pouvoir autoritaire qui a achevé de dégoûter un peu plus les Français, multipliant les 49.3 et les interventions télévisées…

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Dernièrement, Emmanuel Macron n’a pas su mesurer la montée du Rassemblement national et de la droite, traitant avec légèreté les sujets qui font le succès de ses opposants.
Alors que rien ne l’y obligeait, il a décidé une dissolution au pire moment, sur un temps très contraint, comme s’il avait souhaité punir les Français et son propre camp. Sa « grenade dégoupillée » a été lancée avant ces fameux Jeux qu’on nous présente pourtant quotidiennement comme engageant l’honneur et l’image de la France dans le monde. Bref, Emmanuel Macron a raté maintes occasions de se faciliter la tâche. Son centrisme est devenu une chape de plomb, lui interdisant de choisir entre les aspirations de la gauche et celles de la droite, lui aliénant en conséquence les deux bords. Il n’a pas été le chef que le quinquennat demande, mais un arbitre des élégances distribuant bons et mauvais points à une population infantilisée. Omniprésident jupitérien arrivé au pouvoir sur la promesse de la déconcentration des pouvoirs, il récolte le prix que tout monarque dépeint en tyran a dû affronter dans l’histoire française.
Injuste ? Sûrement partiellement, mais la faute lui en revient.

Le non du peuple

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Des élections post-démocratiques?


Avec la campagne des législatives anticipées, nous avons vu l’adaptation accélérée du paysage politique à une France multiculturalisée, communautarisée, libanisée.

Les élections qui viennent ne seront pas démocratiques mais post-démocratiques, notre société ne disposant plus de la cohésion ni du socle minimal de convictions communes nécessaires à la démocratie d’opinion. La question posée n’est plus de savoir ce que le demos choisit souverainement, mais de savoir si le demos doit ou non être souverain, et même : s’il doit ou non être libre.

A cette question, la droite (dite « droite patriote », structurée par l’alliance entre le RN et Éric Ciotti) répond « oui » – j’en profite pour rappeler que contrairement à ce que prétendent ses ennemis, cette droite a du demos la même vision que jadis Isocrate, vision culturelle et non raciale : c’est la droite de Malika Sorel, de Hanane Mansouri et de Jean Messiha. Elle ne nie pas l’existence du peuple français historique, mais ne nie pas non plus que des individus de toutes origines peuvent s’y assimiler et dès lors en devenir membres à part entière.

Nouveau Front Populaire, centre macroniste et droite patriote

À l’inverse, à cette même question le centre (l’autoproclamé « cercle de la Raison » ou « arc républicain ») et la gauche (le « Nouveau Front Populaire », alliance de tous les partis de gauche avec le NPA – qui le soir du 7 octobre déclarait son « soutien » aux « moyens de lutte » choisis par la « résistance » palestinienne) répondent « non ».

Le centre veut perpétuer la captation de la souveraineté par une oligarchie affranchie de tout contrôle démocratique – la collusion entre Emmanuel Macron et Laurent Fabius pour tromper et humilier le Sénat (tout en bafouant sciemment la volonté générale) au sujet de la « loi immigration » en est une parfaite illustration. La gauche veut transférer la souveraineté à une coalition de « minorités » aux visions du monde souvent contradictoires (l’alliance improbable des « hijabeuses » et des « femmes à pénis ») mais pour l’instant unies par une commune détestation du demos français (y compris lorsque ces « minorités » en sont issues) et de la civilisation à laquelle il appartient – l’hostilité envers Israël n’étant que la part actuellement la plus médiatisée d’une hostilité plus générale envers tout l’Occident, réduit à un « système de domination bourgeois / blanc / patriarcal / colonial / cis-hétéro-normé » – simple prétexte pour l’abattre et danser sur ses ruines.

Nouveau Front Populaire, centre macroniste, droite patriote. Philippe de Villiers parle d’une France de la créolisation, d’une France de l’ubérisation, et d’une France de la tradition. Michel Onfray souligne que ces trois camps brandissent des drapeaux bien différents : drapeau palestinien, drapeau de l’UE, drapeau français (j’ajoute à ce dernier le drapeau israélien). Ibn Khaldoun y aurait sans doute vu le parti de ceux qu’il appelait les « bédouins » (le NFP veut relâcher des milliers de délinquants, son programme migratoire est une invasion, son programme fiscal est un pillage), le parti des « élites » décadentes de « l’empire » mourant, et le parti des « sédentaires » désarmés par « l’empire » mais aspirant à renouer avec leur asabbiya (leur cohésion en tant que peuple et leur combativité collective). On peut aussi caractériser ces trois pôles par certaines icônes qu’ils invoquent pour mobiliser leurs membres : il y a ainsi le camp de Nahel et des Traoré ; le camp de Zelensky ; et le camp de Thomas et de Shani Louk.

Villepin et Bertrand sont-ils des hommes de droite ?

Au second tour, et pour reprendre l’image de Michel Onfray, le drapeau palestinien et le drapeau de l’UE feront évidemment alliance contre le drapeau français. De Villepin a déjà annoncé préférer Philippe Poutou à Charles Prats, Xavier Bertrand préfère les communistes aux identitaires (il doit juger les goulags et l’holodomor moins graves que les apéros saucisson-pinard), en 2022 Mélenchon avait immédiatement appelé à voter Macron au second tour. Conformément à l’analyse khaldounienne, « l’empire » décadent et les « bédouins » ont en commun de ne prospérer qu’au détriment des « sédentaires », et craignent plus que tout que ces derniers relèvent la tête. Le centre feint aujourd’hui de renvoyer dos-à-dos « les extrêmes » : c’est évidemment une posture, personne ne pouvant sérieusement mettre sur le même plan le parti de Malika Sorel et celui du « butin de guerre » d’Houria Bouteldja.

L’exclusion d’Israël du salon Eurosatory à la demande du gouvernement confirme que la macronie a choisi son camp (« Victoire ! » avait tweeté Rima Hassan, qui ne s’y était pas trompée). Sa priorité absolue est la poursuite de l’immigration massive : l’oligarchie décadente veut vivre comme des despotes du tiers-monde, et veut donc à tout prix la tiers-mondisation du pays. Elle veut le dumping social, et elle veut le multiculturalisme pour effacer la décence commune qui, dans la civilisation occidentale, reconnaît des droits aux plus faibles face aux caprices des puissants. En outre, le centre crée sciemment les conditions de l’ensauvagement, parce qu’il a besoin des racailles pour dresser les honnêtes gens à avoir peur, à raser les murs, à baisser la tête. Racailles de toutes origines : la surdélinquance parfaitement documentée de certaines immigrations ne doit pas masquer la violence par exemple des Black Blocs « de souche », envers lesquels le gouvernement actuel est notoirement bien moins sévère qu’envers le moindre « bar identitaire ». On sait que « l’émotion dépasse les règles juridiques », pour citer Christophe Castaner alors ministre de l’Intérieur, mais seulement en faveur de ceux qui crient « justice pour Adama » et surtout pas de ceux qui réclament « justice pour Thomas. »

Droite patriote : les raisons d’un succès

À cette heure, seule la droite patriote veut rendre au demos français la conscience de sa dignité. Seule la droite offre au pays une chance d’échapper à la mécanique infernale de l’effondrement explicitée par Ibn Khaldoun. Seule la droite propose à terme une autre option que le règne des seigneurs de la guerre – que cette guerre soit économique ou armée – ou la soumission à un régime tyrannique – qu’il s’agisse d’un crédit social à la chinoise ou de la charia.

Un gouvernement RN/LR ne résoudrait pas en trois ans tous les problèmes du pays, sa victoire ne ferait pas disparaître d’un trait de plume les nombreux réseaux de la gauche qui tenteront inévitablement de saboter son action, ni ne résoudrait instantanément la situation économique calamiteuse dans laquelle nous a plongés le centre, ni n’effacerait 50 ans de politique migratoire suicidaire. Mais une victoire de la droite accomplirait trois choses absolument fondamentales. D’abord, elle arracherait le pouvoir aux ennemis du demos, à ceux qui vendent le pays à la découpe (rappelons que le gouvernement actuel refuse obstinément de révéler qui détient aujourd’hui la dette de la France) ou veulent le livrer au « Sud global ». Ensuite, elle serait un coup de poing sur la table disant clairement aux ennemis du pays qu’ils ne sont plus en terrain conquis. Enfin et surtout, elle signifierait pour tous les Français qui aiment la France et respectent sa culture et ses mœurs (qu’importe alors qu’ils soient « Français de souche » ou « Français de branche », selon la belle formule de Driss Ghali) qu’ils ont le droit de tenir tête aux racailles, aux censeurs et aux instances non-élues qui piétinent la démocratie, et qu’ils peuvent à nouveau marcher la tête haute.

Et rien n’est plus important que ça.

Flash-back sur une dissolution désinvolte…

Les architectes de la Constitution de la Ve ont confié le pouvoir de dissoudre aux mains du président de la République, pour lui permettre de résoudre une crise politique, pas pour en provoquer ! La dissolution de l’Assemblée nationale sera-t-elle la dernière décision « disruptive » d’un président épris de transgression ?


Sur BFMTV, François Hollande reproche à Emmanuel Macron de « n’avoir pas tenu sa place ». Je ne suis pas sûr que lui-même l’ait fait en s’acoquinant avec un Nouveau Front Populaire (NFP) dominé par La France Insoumise, elle-même largement sous la coupe de Jean-Luc Mélenchon dont il avait sans cesse dénoncé la nuisance. Nous avons perdu nos dernières illusions sur l’ancien président. Interrogeons-nous sur la décision de l’actuel de dissoudre l’Assemblée nationale et sur les raisons profondes qui l’ont inspiré.

Le président et les pantins désarticulés

J’ai déjà évoqué le caractère ludique de la complicité unissant un petit cercle ne prenant pas la politique au tragique. Surtout quand elle l’est ou risque de l’être. Le psychanalyste Jean-Pierre Winter nous fournit une autre clé de ce comportement, qui relève de la seule personnalité et responsabilité du président de la République. L’homme public comme l’individu privé seraient, dans l’ensemble de leur histoire, aussi bien dans les choix intimes que dans les options politiques, épris de transgression. Cette volonté permanente de surprendre est facilement vérifiable et a conduit Emmanuel Macron d’une part à fuir l’ordinaire au bénéfice de l’inattendu, jusqu’à l’incongru, et d’autre part à considérer que ce qui surgit de son esprit et de ses desseins les plus secrets est forcément frappé du sceau de l’exceptionnel. Tout ce qui est normal, comme l’expression d’une opinion et d’un bon sens partagés par beaucoup, lui est radicalement étranger. J’étonne et je déroute donc je suis.

A lire aussi, Vincent Coussedière: «Le RN a des candidats qui ne correspondent pas à la caricature qu’on en fait depuis des années»

Ainsi cette dissolution survenant comme un bouleversement absolu sur tous les plans et tétanisant même ses soutiens les plus inconditionnels, a-t-elle procuré à Emmanuel Macron ce dont il raffole le plus : stupéfier son entourage, reprendre la main fût-ce par une absurdité tactique. En jouissant de la volupté de son décret solitaire, impérieux et évidemment transgressif.

Larcher et Attal dépassés par les évènements

Il est en effet choquant que la décision de dissoudre, qui imposait au président, pour être prise valablement, une consultation du Premier ministre, du président du Sénat et de la présidente de l’Assemblée nationale, ait été édictée par Emmanuel Macron, Gabriel Attal ayant été laissé de côté, après une information précipitée et de pure forme sans que la moindre contradiction ait pu lui être proposée. La suite a démontré que ces hautes autorités ont très mal vécu cet épisode de totale désinvolture. Gérard Larcher a reproché au président de « ratatiner la démocratie ». Le Conseil constitutionnel a été saisi d’un recours visant cette entorse à l’article 12 de la Constitution. Il a considéré qu’il n’avait pas compétence pour l’apprécier. 

Ces dispositions psychologiques et cette légèreté constitutionnelle sont l’une des explications du climat actuel. Avec ce président mal aimé, peut-être comme aucun avant lui.

Binationalité, un débat politique légitime

La France n’a pas que des amis, rappelle Céline Pina


En France, la proposition d’interdire la binationalité pour l’occupation des postes de représentation politique ou certains postes stratégiques fait scandale. Pourtant cette proposition est tout à fait cohérente et est loin d’être un marqueur de xénophobie. Elle est au contraire liée à une haute idée des exigences de la démocratie et du devoir du citoyen.

D’ailleurs, nombre de démocraties proches de nous interdisent ou limitent la double nationalité. C’est le cas de l’Ukraine, des Pays-Bas, de l’Autriche, de l’Estonie, de la Bulgarie, de l’Espagne, de la Norvège, de la Lettonie et la Lituanie, ou encore de l’Allemagne…

Ces interdictions ou limitations ne sont pas la marque de la xénophobie mais une exigence de clarté dans l’engagement citoyen. Etre français, ce n’est pas une créance permettant de tirer des avantages financiers et sociaux de sa nationalité. La citoyenneté est, en Occident, un engagement civilisationnel.

Nos appartenances ne sont pas basées sur la religion ou l’ethnie mais sur le partage de principes et idéaux qui se traduisent en droit. Ces principes et idéaux sont l’armature de notre société et ils se traduisent très concrètement : c’est l’affirmation de l’égalité en droit au-delà des différences de sexe, race, religion ou philosophie, c’est la défense des libertés publiques, c’est la laïcité. Etre citoyen c’est adhérer à ces principes et travailler à leur effectivité et à leur garantie.

Double fidélité

Le peut-on quand la double nationalité vous amène à appartenir à des sphères politiques dont les valeurs sont frontalement opposées ?

Autre point, que se passe-t-il en cas de guerre quand vous appartenez à deux univers qui s’affrontent. Où va votre loyauté ? À qui et à quoi êtes-vous fidèles ? Quels principes et idéaux allez-vous servir? Qui allez-vous protéger, pour qui irez-vous combattre ?

Dans le premier cas, que défend quelqu’un qui est binational et appartient à un pays européen et à un pays musulman par exemple ? Dans ces pays, l’égalité en droit n’existe pas, elle est refusée à raison du sexe (infériorisation des femmes) et de la religion (statut de sous-citoyen via la dhimmisation). Cette personne croit-elle en l’égalité entre les êtres humains ou est-elle favorable à la domination d’un sexe sur l’autre ? Portera-t-elle haut les libertés publiques ou les sapera-t-elle pour faire prévaloir son dogme religieux ? Que défendra-t-elle si elle arrive au pouvoir ?

La question n’est pas absurde. En Belgique, où les islamistes ont infiltré les partis politiques de gauche, des coups sont portés contre l’État de droit pour favoriser la logique de la charia, ces nouveaux élus n’ayant aucun lien avec la culture démocratique et servant l’idéologie islamiste. Là, l’entrisme est manifeste, mais il n’en reste pas moins qu’une personne ayant fait allégeance à des systèmes contradictoires et opposés ne puisse incarner l’intérêt général : elle n’est pas claire dans son système de valeurs, ambiguë dans ses engagements, en contradiction flagrante dans ses allégeances, elle ne peut donc représenter personne. Dans le cas d’un ministre ou d’un député par exemple, cet aspect de la problématique est déterminant.

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Regardons ce qui se passe concrètement avec le cas Rima Hassan. Cette femme ne représente pas les Français mais est là pour porter la voix de la Palestine, version Hamas. Elle le dit très clairement et se présente elle-même comme l’incarnation d’un lobby étranger. Elle est de surcroit en lien avec des représentants du terrorisme islamiste. En quoi est-elle légitime pour représenter notre pays? Et en cas de tensions avec le Hezbollah, la Syrie, le Hamas, de quel pays, territoire ou idéal défendrait-elle les intérêts ? Certes, tous les élus ne sont pas comme cette personne, mais le doute que cette double fidélité implique et les tensions qu’elles génèrent sont problématiques.

Lorsque les systèmes convergent et que les principes et idéaux organisant les sociétés se rapprochent, la double appartenance est possible. Mais l’évolution du monde va dans le sens inverse: la logique impérialiste se réveille et la conquête territoriale revient. Le totalitarisme islamiste remet au goût du jour les massacres de masse et les tentatives de déstabilisation des démocraties. Guerre, totalitarisme et terrorisme reviennent en Europe. Les démocraties sont attaquées et une partie de la menace est liée à la puissance des islamistes au cœur des pays européens. Cette menace est endogène, comme l’ont montré la nationalité des auteurs d’attentats. L’impossibilité d’appartenir à deux mondes et à deux espaces de références antagonistes a éclaté au grand jour et a été révélée dans le violent rejet que manifestent les jihadistes et partisans du séparatisme pour le pays dont ils ne considèrent pas comme « d’origine ».

La France n’a pas que des amis

Dans ce cadre, on ne voit guère comment continuer à faire semblant de croire que la double nationalité n’est pas un problème. Surtout quand les tensions s’accroissent tandis que les antagonismes montent.

algerie pierre vermeren bouteflika
Supporters de l’équipe d’Algérie de football, Paris, juillet 2019. Auteurs : Bastien Louvet/SIPA.

Prenons un cas très concret : l’Algérie. Le pays cultive la haine de la France chez ses ressortissants. C’est même un mode de gestion de sa vie politique intérieure. La France est accusée de tous les maux afin de faire oublier la corruption et l’incapacité des élites algériennes comme leur échec à développer un pays pourtant plein d’atouts. Le ressentiment à l’égard de la France devient une caractéristique de cette population. Dans le même temps, chez beaucoup de ressortissants maghrébins, la France est dénigrée et « Français » est même devenu une insulte dans les quartiers islamisés ! En parallèle, l’appartenance aux origines est exaltée. À qui ira dans ce cadre la fidélité d’un Franco-algérien en cas de crise ou d’affrontement ? Comment donner un pouvoir de représentation à des personnes qui pourraient très vite se retrouver en conflit de loyauté au mieux, incapables d’incarner les fondamentaux de ce que nous sommes en tant que peuple au pire ?

Ces questions ne sont pas anecdotiques, elles sont au cœur de nos sociétés politiques. Les traiter par le sentimentalisme, en mode « on me demande de choisir, donc je me sens rejetée dans mon être intime » relève de la victimisation simplette. Les évacuer car elles seraient « amorales » ou « racistes » relève de la manipulation pure. Le débat sur la limitation de la double nationalité est un débat de fond, légitime et il mérite d’être posé.


Elisabeth Lévy : « Devenir français est un privilège. Il n’est pas scandaleux qu’il ait un prix »

Palestiniens au Liban: et s’il était plutôt là, votre “apartheid”?

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Des enfants photographiés dans le camp de réfugiés de Chatila à Beyrouth, Liban, 19 mars 2024 © Collin Mayfield/Sipa USA/SIPA

Les réfugiés palestiniens sont depuis des années une population honteusement marginalisée au Liban, sans que cela émeuve grand monde dans les pays arabes ou dans une opinion internationale trop occupée à taper sur Israël.


Ces derniers temps, on a vu Amnesty International accuser Israël d’être un État « apartheid ». Étrange accusation. En réalité, à l’exception de la Jordanie, qui, depuis 1949, a donné aux Palestiniens vivant sur son sol, le droit à la nationalité et souvent au travail, ce sont les États arabes qui, depuis 1949, pratiquent une politique d’apartheid vis-à-vis des Palestiniens. Prenons l’exemple de la situation de ces derniers dans l’un des États arabes les moins autoritaires, le Liban. Que constatons-nous, déjà à l’époque de l’« âge d’or » de la « Suisse du Moyen-Orient », donc bien avant la guerre civile et la faillite de l’État ?

Que, afin de provoquer l’exil d’un maximum de Palestiniens, les gouvernements libanais successifs ont promulgué une série de lois liberticides qui empoisonnent la vie des réfugiés. Parmi celles-ci, l’impossibilité, une fois sortis du Liban, d’y retourner, à moins d’obtenir un visa de retour[1], chose que l’administration libanaise n’octroie pas facilement. Et, pour être sûr que leurs départs soient définitifs, des procédés administratifs, empêchant leurs retours, ont été instaurés. Résultat : en quelques décennies, environ 100 000 Palestiniens, sortis du Liban, s’en sont retrouvés exclus.

Camps insalubres

Afin de saisir la situation de ces réfugiés, voici quelques exemples de mesures prises à l’encontre de ceux-ci. 

Pour commencer, ils ont été regroupés dans des camps, avec interdiction, inscrite dans le préambule de la Constitution libanaise en 1990[2], de « s’implanter » dans le pays de façon définitive. Défense d’accéder à la propriété immobilière, et même d’hériter de biens immobiliers acquis antérieurement par leurs géniteurs, et cela en dépit de l’atteinte à la propriété privée[3] et des problèmes humanitaires que cette restriction pouvait générer.

Interdiction de toute réédification des camps détruits durant la guerre civile libanaise (1975-1990). Certes, de nouveaux camps ont été bâtis sous le contrôle de l’UNRWA, cependant l’augmentation de leur nombre n’a pas suivi l’accroissement de celui des habitants[4]. En outre, des camps sont dans un état catastrophique : des réseaux d’eau, de plus en plus insuffisants, voisinent avec des égouts non couverts, provoquant de nombreuses maladies.

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Impossibilité de développer les camps situés à Beyrouth. Pire, il a été ordonné à l’UNRWA d’arrêter tous les projets d’amélioration d’infrastructure de ces camps, y compris la réfection des rues. Résultat : l’énergie électrique y est souvent indisponible, et la quantité d’eau distribuée, insuffisante. Et comme la gestion publique de l’eau entraîne des frais, l’entretien des canalisations a été négligé. Tout ceci ne semble guère tracasser l’UNRWA : au lieu de s’insurger, celle-ci s’est abstenue d’effectuer tout travail de restauration des systèmes de canalisation d’eau, de même que ceux de l’électricité[5].

Empêchement de devenir propriétaires de leurs logements. Bien que ceux-ci soient à la fois exigus et incommodes, l’interdiction de faire entrer dans les camps des matériaux de construction, fait que les réfugiés n’ont pas la possibilité d’en améliorer le confort, voire dans certains cas de les réhabiliter.

Droits élémentaires bafoués

Du point de vue juridique, les droits collectifs des Palestiniens sont bafoués. Non seulement ils sont empêchés d’acquérir la citoyenneté, mais leur identité n’est pas reconnue, ce qui les prive de représentation locale. Refus de toute possibilité de participation aux décisions administratives, y compris celles qui les concernent directement, et aucun droit à l’auto-administration.

La loi libanaise qui permet aux étrangers de constituer des associations, refuse ce droit aux Palestiniens. Défense de constituer des syndicats, ou même de se syndiquer (pour adhérer à un syndicat, il faut être de nationalité libanaise). Inutile de préciser que les Palestiniens ne disposent d’aucun droit de vote, et que, a fortiori, toute constitution de parti politique leur est interdite[6].

C’est peu dire que les Palestiniens ne s’épanouissent pas par le travail : faute de passeport libanais, il ne leur est pas possible de travailler dans le secteur public. Et pour ce qui est du secteur privé, les lois libanaises exigent une autorisation spéciale du ministère du Travail, ce qui n’encourage guère les entreprises à embaucher des Palestiniens. Et quand ceux-ci le sont, c’est généralement à des salaires bien inférieurs à ceux octroyés aux Libanais. Les réfugiés se retrouvent, dès lors, employés comme main-d’œuvre peu ou pas qualifiée. En résumé, les « métiers » que les réfugiés peuvent pratiquer sont la culture de la terre, comme journaliers, la maçonnerie, les travaux mécaniques, et ceux des réparations[7]. Et cela sans qu’ils puissent bénéficier de quelque avantage que ce soit de la part de la Sécurité sociale, encore et toujours parce qu’ils ne sont pas libanais. Conséquences : plus de 60% des Palestiniens ne dépassent pas le seuil de pauvreté défini par l’ONU.

De plus, ces réfugiés sont victimes d’un « véritable désastre sanitaire » (selon l’avocat palestinien Souheil El-Natour) : empêchés d’accéder aux hôpitaux publics, c’est l’UNRWA qui les prend en charge ; cependant, comme le budget de l’agence réservé à l’hospitalisation est dérisoire, les malades doivent participer aux frais à hauteur de 50 à 75% des charges. Cette insuffisance de budget a pour effet la multiplication de maladies.

Concernant la lutte contre les épidémies : estimant que la vaccination des enfants incombe à l’UNRWA et à l’UNICEF, le ministère de la Santé ne délivre aucun médicament. En même temps, une malnutrition généralisée des femmes enceintes et des enfants engendre une mortalité infantile à hauteur 40‰, souvent due, également, aux accouchements prématurés[8].

À part ça, tout va bien au pays du cèdre. La preuve, Amnesty International semble n’avoir pas trouvé grand-chose à redire quant à la situation des réfugiés demeurant sur son territoire.

J’ai choisi de parler de l’apartheid au Liban, plutôt que de m’étendre sur celui qui règne en Syrie, ou en Libye (États sur lesquels plus personne ne se fait d’illusions), parce que cette situation témoigne, d’une part, de l’absence de réelle solidarité des États arabes avec les Palestiniens, et d’autre part de l’insoutenable superficialité des « pro-palestiniens » qui ont toujours et délibérément choisi d’ignorer la misérable réalité de la situation des Palestiniens dans les États arabes, réservant leurs dénonciations uniquement à Israël. À la partialité et l’aveuglement d’Amnesty International, il faut ajouter l’incapacité de l’UNRWA qui, en plus de 70 ans, n’est toujours pas parvenue à sortir les Palestiniens de leur situation de réfugiés dans les pays arabes (hors la Jordanie), ni même à les protéger contre les gouvernements arabes.

Pour en venir à Israël, il est indubitable que les Palestiniens de Cisjordanie vivent dans une condition de colonisés et sont souvent victimes d’attaques et de méfaits de la part des colons, parfois ou souvent avec la complicité de l’armée israélienne. En revanche, cet État, à l’intérieur des frontières de 1967, est une démocratie qui ne pratique nullement l’apartheid : les Palestiniens restés dans le pays après la guerre de 1948-1949, sont devenus israéliens et jouissent donc, dans le pays, des mêmes droits, y compris politiques, et sont soumis aux mêmes devoirs que les Juifs – à l’exception du service militaire, ce dont il ne semble pas qu’ils se soient jamais plaints.


[1] Arrêté 487 émanant du ministre de l’Intérieur libanais.

[2] Souheil El-Natour, « Les réfugiés palestiniens », dans Confluences Méditerranée, 2023.

[3] Loi n°296 publiée au Journal officiel n°15 du 5 avril 2001.

[4] 400% selon Souheil El-Natour.

[5] Mahmoud Abbas, « Les réfugiés palestiniens au Liban : problèmes d’habitation », dans Al-Hourriah hebdo, 19 novembre 1996, Beyrouth.

[6] Souheil El-Natour, « Les Palestiniens au Liban : un étranger ». Les quotidiens Al-Quds, Al-Arabi, 12/2/1999, Londres.

[7] Souheil El-Natour, « Les réfugiés palestiniens », dans Confluences Méditerranée, 2023.

[8] Souheil El-Natour, « Les réfugiés palestiniens », dans Confluences Méditerranée, 2023.

Un balcon sur la Loire

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L'écrivain français Julien Gracq (1910-2007) © René Saint-Paul/Bridgeman

Avec Julien Gracq, un esprit libre, Marianne Bourgeois nous donne envie de relire Julien Gracq. « C’est l’être le plus original, le plus inconvenant, le plus anarchiste que j’aie connu et il menait une vie de petit bourgeois. Il m’a appris à faire la différence entre les faux rebelles et les vrais », a dit de lui son ami Régis Debray.


Disons-le d’emblée, la personnalité de Julien Gracq m’a toujours laissé de marbre. Peut-être parce que j’ai subi l’influence de Philippe Sollers qui n’aimait pas beaucoup la posture de l’écrivain retiré dans la maison familiale de Saint-Florent-le-Vieil (49), sur la Loire, face à l’île Batailleuse et ses peupliers frondeurs. Posture, oui. Sollers le trouvait trop compassé, calculateur. Il avait refusé le Goncourt, affirmait-il, pour Le Rivage des Syrtes (1951), dans l’unique but d’être le seul à l’avoir refusé. Mais il avait accepté d’entrer de son vivant dans la Pléiade. Gracq appréciait Wagner, et pas Mozart. Il détestait le XVIIIe siècle, et Sade l’ennuyait. Que de points de crispation pour Sollers ! Un autre, plus méconnu celui-là. Dominique Rolin, son grand amour, avait été courtisée par l’auteur d’Un beau ténébreux, ce qui avait irrité celui de Portrait du Joueur. Et puis ce pèlerinage qui consistait, pour les jeunes écrivains et les journalistes, à rendre visite à l’ermite de Saint-Florent, pour y recevoir ses confidences sur la littérature, lors d’une promenade à pied ou dans sa vieille 4L, faisait rire Sollers.

Marianne Bourgeois donne envie de relire Gracq

Bref, Gracq, c’était l’eau stagnante symbolisée par une carrière de professeur d’histoire et de géographie, commencée en 1947 au lycée Claude-Bernard à Paris, et achevée en 1970. Pour nuancer cette introduction peu amène, il convient de citer Jean-René Huguenin qui, après une visite à Gracq, note dans son Journal « J’aime sa douceur timide, son effacement, sa mystérieuse douceur. Il a beau rester objectif, égal, appliqué, presque universitaire, il a un charme – c’est-à-dire une présence (comme lorsqu’on sent dans une pièce où l’on est seul une présence derrière soi) bref, un secret. Une vie tranquille, trop tranquille ; pas de femme… Je crois que son secret est simple : il est resté un enfant, c’est un enfant qui se cache. » Rectifions : on lui connaît au moins une femme : Nora Mitrani, romancière surréaliste, d’origine bulgare. Gracq fut durement éprouvé par sa mort en 1961.

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Alors pourquoi suis-je en train d’écrire sur Julien Gracq (1910-2007), nom de plume de Louis Poirier, presque toujours vêtu d’un costume gris, d’une chemise blanche impeccable, cravaté, et coiffé comme un notaire de province ? Parce que j’ai lu l’essai de Marianne Bourgeois, Julien Gracq, un homme libre, paru aux Éditions Les Marnes vertes – un titre gracquien – qui m’a emballé et m’a donné envie de me replonger dans son œuvre, en particulier Au château d’Argol, roman que j’avais découvert lorsque j’étais en internat. Marianne Bourgeois, agrégée de lettres et médecin, sait habilement analyser les écrits de Gracq tout en y mêlant de nombreux fragments biographiques. Elle a le bon goût de commencer par son premier roman publié : Au château d’Argol. Je me souviens encore de cette phrase bataillienne qui ouvre sur un univers où Eros a rendez-vous avec Thanatos : « Ils se dévêtirent parmi les tombes ». Marianne Bourgeois rappelle que cette phrase enchantait Pieyre de Mandiargues, ami fidèle de Gracq. On découvre les ingrédients de l’écrivain, saupoudrés d’un romantisme germanique fougueux. Il y a la mort, la femme mystérieuse et fatale, le paysage maritime, le vent qui dérègle, la présence d’un cimetière, donc, la violence des sentiments, les forces de la nature mêlées à celles de l’inconscient miné par une obscure activité onirique, le sadisme enfin. S’ajoute à cela le traditionnel triangle amoureux ; ici deux hommes, Albert et Herminien, et une femme, Heine. L’essayiste résume, dans un style efficace, l’intrigue : « Au château d’Argol (1938) se réclamait résolument du surréalisme : le mythe du Graal, les forêts bretonnes et leur mystère, l’importance des rêves, l’irruption de l’inconscient et de l’amour fou, tout cela était pour plaire à Breton en même temps que la beauté du verbe. » Elle revient longuement sur l’amitié entre le pape du surréalisme et Gracq auquel ce dernier consacra un essai en 1948. Marianne Bourgeois rappelle également les nombreuses influences de Gracq, grand lecteur, à commencer par celles de Jules Verne et Balzac. Elle signale qu’il fut inscrit au parti communiste de son lycée de Quimper, et qu’il fut secrétaire du syndicat CGT. Mais rapidement, il prôna le désengagement, se tenant même à l’écart du mouvement surréaliste. Prisonnier durant la « drôle de guerre », dont certaines scènes servirent de toile de fond à ses deux romans les plus célèbres, Le rivage des Syrtes (1951) et Un balcon en forêt (1958). Il traversa la guerre dans l’attente de son dénouement. L’attente, thème central de ce roman poétique, au cadre imaginaire et sans date, qui avait mérité le Goncourt. L’amertume de Gracq trouve, semble-t-il, son origine dans l’éreintement que subit sa pièce en quatre actes sur la légende du Graal, Le Roi pêcheur (1948).

Un grand tourmenté

Les critiques furent mordantes pour ne pas dire injustes. Gracq se vengea en publiant La Littérature à l’estomac (1950), un pamphlet revigorant dont voici un court extrait : « La littérature est depuis quelques années victime d’une formidable manœuvre d’intimidation de la part du non-littéraire, et du non-littéraire le plus agressif ». Marianne Bourgeois pense qu’il lui sembla impossible d’accepter le prix Goncourt qui lui fut décerné en 1951.

L’écrivain avait beaucoup d’affection pour sa sœur, de neuf ans son aînée ; il rendit hommage à ses parents, un couple de commerçants, dans Lettrines 2. C’était en 1974. Il n’écrivait plus de romans, seulement des fragments de souvenirs. Le professeur de géographie restait fasciné par les « terrains argileux, sableux, granitiques, balsamiques », les fameuses marnes vertes, nous apprend encore Marianne Bourgeois. Peut-être l’étude de ces roches millénaires apaisait-elle ce grand tourmenté qui ne croyait pas en dieu.

Marianne Bourgeois, Julien Gracq, un esprit libre, Éditions Les Marnes Vertes. 152 pages.

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Isild Le Besco et les risques du métier

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Isild Le Besco © Arnaud MEYER/Leextra via opale.photo

Dans un témoignage à fleur de peau, l’actrice dévoile les humiliations et violences qu’elle a subies depuis ses débuts au cinéma. Surprise: le récit met davantage en cause la dérive tyrannique de certaines réalisatrices que les méfaits du patriarcat.


Le mouvement MeToo a beaucoup plus d’allure quand il emprunte la voie littéraire que lorsqu’il s’exprime à travers d’indigents tweets et de consternantes pétitions. Dans un livre qui ne manque pas de finesse, l’actrice-réalisatrice Isild Le Besco raconte comment, dès l’âge de 14 ans, elle a mené la vie sexuelle d’une adulte, dans ses films comme à la ville, et pourquoi elle en a secrètement souffert, jusqu’à ce qu’elle se livre, des années après, à une « libération de la parole », pour reprendre la formule rituelle qui s’impose désormais en pareil cas devenu courant.

Dans Dire vrai, Isild Le Besco est toujours honnête, souvent plaintive, parfois injuste. Mais ses pages les plus intéressantes ne portent pas sur les réalisateurs qui, à l’en croire, se sont mal comportés envers elle par le passé. C’est plutôt quand elle montre de quoi certaines réalisatrices sont également capables qu’elle nous éclaire sur la nature profonde du cinéma, et sur ses risques.

Ainsi donc une offense sexuelle peut se produire dans le milieu du cinéma sans qu’aucun mâle toxique y soit pour quoi que ce soit…

Ne nous attardons donc pas sur ses accusations contre Benoît Jacquot, avec qui elle a eu une liaison pendant près d’une décennie, qui ne font que confirmer ce que l’on savait déjà de l’inclination coupable de ce dernier pour les adolescentes, lui-même l’ayant d’ailleurs reconnu dès 2011 dans un documentaire de Gérard Miller, où il parlait en ces termes de sa relation avec une autre très jeune actrice, Judith Godrèche : « Oui, c’était une transgression. Ne serait-ce qu’au regard de la loi telle qu’elle se dit, on n’a pas le droit en principe, je crois. »

Passons vite aussi sur les récriminations contre Luc Besson, à qui Isild Le Besco reproche d’avoir, en 1997, mal quitté sa sœur, la réalisatrice Maïwenn (laquelle avait épousé le réalisateur à l’âge de 16 ans, ce dont elle ne s’est jamais plainte depuis, bien au contraire). Cette banale histoire de rupture amoureuse sert de prétexte à un portrait peu crédible du cinéaste, dépeint en homme insensible et dédaigneux. Il faut dire que, telle Annie Ernaux au pays des stars, l’auteur croit débusquer rien de moins que du mépris de classe dans le simple regard de son ex-beau-frère ! Certains appelleront cela un don divinatoire. D’autres un procès d’intention.

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Quelques chapitres plus loin, l’auteur lance en revanche dans la mare un pavé autrement éclaboussant. Évoquant ses débuts dans le cinéma, elle relate un de ses premiers tournages, pour un film d’Emmanuelle Bercot. Où l’on découvre une réalisatrice autoritaire, ivre de sa toute-puissance artistique, qui en vient à carrément demander à son acteur principal (étrangement anonymisé dans le livre – « invisibilisé » ou « silencié » diraient les wokes) d’exhiber son pénis, si possible turgescent, devant la caméra. « Il bandait un peu, écrit Isild Le Besco. Pas assez pour Emmanuelle, qui attendait plus et mieux. Hors champ il se morfondait de honte. » Ainsi donc une offense sexuelle peut se produire dans le milieu du cinéma sans qu’aucun mâle toxique y soit pour quoi que ce soit…

Le patriarcat est-il vraiment la cause des violences sexuelles qui, nous dit-on, gangrènent le cinéma ?

Second souvenir, tout aussi confondant : des années plus tard, Isild Le Besco réalise à son tour un film, et y embauche son propre frère, encore adolescent, pour tenir le rôle principal. Vient le jour de la projection. Quelle n’est pas la surprise du jeune homme quand, voyant à l’écran pour la première fois les scènes d’amour dans lesquelles il a joué, il découvre qu’un plan de sexe en érection, raccord avec les images de son corps nu, a été rajouté au montage. Un artifice signé Isild Le Besco, qui voulait sans doute, par ce moyen, s’éviter un dérapage à la Bercot durant les prises de vue. Reste que le procédé suscite le malaise – et à présent les regrets de l’intéressée. On imagine la blessure que celle-ci aurait ressentie si un réalisateur lui avait fait cette mauvaise manière !

La preuve est donc faite à deux reprises dans cet ouvrage qu’une représentante de la gent féminine peut, en conscience, abuser de son pouvoir de cinéaste, introduire de la pornographie dans un film non pornographique, placer un acteur dans une situation sexuellement humiliante. Ces deux « micro-agressions », bien sûr, ne relèvent pas des tribunaux. Elles n’en soulèvent pas moins une question : le patriarcat est-il vraiment la cause des violences sexuelles qui, nous dit-on, gangrènent le cinéma ? Ne s’expliquent-elles pas plutôt par l’essence même de cet art ?

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Les tentations sont nombreuses sur un plateau, où la technique de la caméra permet les spectacles les plus impudiques, en haute définition et en gros plan ; où le fonctionnement nécessairement ultra vertical d’une équipe de tournage place le cinéaste dans une position d’autorité comme peu de métiers l’autorisent ; et où, surtout, le désir, carburant principal de la création, est partout, y compris dans l’esprit des femmes qui filment, y compris dans celui des femmes qui sont filmées.

MeToo partait d’une idée simple : alors qu’on les imaginait vivre une existence de rêve, certaines vedettes de cinéma, riches et célèbres, ont révélé à partir de 2017 qu’il leur était arrivé, « elles aussi », de connaître l’épreuve du viol. De quoi décomplexer d’innombrables victimes « ordinaires » de crimes sexuels, qui n’osaient pas en parler.

Seulement la nouvelle vague de témoignages MeToo n’a pas la même force d’identification. Dans quel autre monde que celui du Septième Art une jeune fille mineure peut-elle gagner des sommes lui permettant de se loger à Paris, de quitter le foyer familial et de devenir la compagne d’un homme mûr avec toutes les apparences sociales de l’émancipation ? Dans quelle autre profession peut-on se retrouver, en application de son contrat de travail, entièrement dénudé devant son employeur ? Le troublant récit d’Isild Le Besco est à ranger au rayon Histoire du cinéma. Pas au rayon Féminisme.

A lire

Isild Le Besco, Dire vrai, Denoël, 2024.

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Vive le Tour!

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Florence, Italie, 27 juin 2024 © Massimo Paolone/AP/SIPA

La 111è édition de la Grande Boucle s’élance de Florence en Italie aujourd’hui, à midi. 176 coureurs sont sur la ligne de départ, et des millions d’amateurs les attendent le long des routes de notre beau pays.


Le Tour de France est une fête. Fête nationale s’il en est. Du fond de son canapé, le vaillant sportif par procuration peut tout à loisir regarder défiler le pays et s’offrir ainsi, sans même remuer un orteil, le grand dépaysement dont il est tellement friand.

Le Tour, il y a d’abord les coureurs, bien entendu, gambettes alertes et vigoureuses, casaques chamarrées, regard fixé sur la ligne bleue des Vosges, la ligne d’arrivée en la circonstance. Le peloton qui passe trop vite dans le chuintement étonnamment mélodieux des mécaniques bien huilées.

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Et puis il y a la fête avant la fête, la caravane publicitaire qui, elle prend son temps. C’est clinquant, tonitruant, pétaradant, toujours identique, toujours différent. Jadis, l’immortelle Yvette Horner, muée elle aussi en « forçat de la route », bouclettes improbables au vent, bouche peinturlurée vampire, surgissait du toit ouvrant du véhicule au moindre attroupement de badauds pour donner à l’accordéon les flonflons des bals popu’ de l’époque. Re-belote le soir à la ville étape. « Forçat de la route », disais-je. Aujourd’hui, il n’y a plus ni bouclettes ni Yvette. Il n’y a plus la plume d’Antoine Blondin pour donner à ces choses vues leurs lettres de noblesse.

Mais il y a ce qui ne change pas. Le quinqua ventripotent qui se prend à cavaler comme un gamin pour récupérer au fossé une casquette à deux balles. Il y a aussi l’autre caravane (le plus souvent métamorphosée désormais en camping-car), la caravane du touriste, du vacancier de juillet, qui, malin, fait bivouac depuis des jours dans tel virolet du Tourmalet pour être à poste le moment venu et s’offrir le défoulement canaille de brailler jusqu’à l’apoplexie. Se voulant étranger à ces rites populaires, le bourgeois regarde avec condescendance, comme il se doit. Qu’importe ! Le bobo aboie, la caravane passe. Vive le Tour! Le Tour et son grand bol d’air. Cette année plus que jamais…

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Salut à Jacques Laurent! À propos de « l’Esprit des Lettres »

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jacques laurent bêtises morand
Jacques Laurent, 1971 © Sipa.

Dites « Jacques Laurent », et immédiatement s’ensuivent quelques attributs: intelligence, insolence, liberté, humeur, humour, loyauté, naturel, panache – et style.


On passera assez vite sur « Hussard » et Stendhal (trop connus), sur Les Temps Modernes et L’Express, ses têtes de Turc, sur sa passion grammairienne du «malgré que».
Quoi d’autres ? De grands livres : Les Corps Tranquilles, Les Bêtises, Le Petit Canard, Stendhal comme Stendhal, Histoire égoïste. Et des revues. Essentiellement La Table Ronde, La Parisienne et Arts.
Le premier volume de L’Esprit des Lettres recueillait les articles que Laurent a donnés, entre janvier 1948 et avril 1957, aux deux premières. Le second volume rassemble ceux écrits pour Arts – dont il assure la direction à partir de juillet 1954 (jusqu’en 1958).

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On y retrouve le Mousquetaire connu, qui bataille avec Sartre, moque Beauvoir, taquine plus ou moins vertement Mauriac et ses palinodies à L’Express, guerroie contre Les Temps Modernes, l’engagement – et l’ennui.

L’époque est présente à chaque page : Minou Drouet, Sagan, Camus, Jules Romains, Auteuil de Freustié (un régal), les prix littéraires (rien ne change), Grace Kelly, un défilé Dior, Nourissier et Les Chiens à fouetter («un grand écrivain»), le dandysme («recherche d’une élégance qui veut de la rectitude» – on croise Cocteau, Fontenelle, Talleyrand, Jarry), le «traduidu» (très drôle), Labiche est relu (à la hausse, du côté de Jarry, Flaubert, Monnier).

Un article sur «Les Droites» nous évoque Berl : même goût du paradoxe, de la complexité, voire de la contradiction féconde, même incapacité à «l’esprit partisan», même dégoût de l’idéologie. Esprits inaliénables, inassignables : libres.

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Laurent défend quelques écrivains, ses amis souvent, ses collaborateurs à Arts parfois : Barrès, Giraudoux, Maurice Leblanc (Arsène Lupin plutôt), Montherlant, Fraigneau, Cocteau, Audiberti, Jouhandeau, Aymé, Anouilh, Morand, Perret. Autres collaborateurs de l’hebdomadaire ? Déon, Blondin, Nimier, Huguenin, Matignon, Godard, Chabrol, Truffaut, Rohmer. Vous imaginez ? Continuez. Rêvez plutôt. Si Laurent évoque Sartre, c’est que Bourget n’est pas loin. Gide est démonté « façon puzzle ». La mauvaise foi a sa part – royale. A (re)lire certains de ces articles, on sourit. « Comme d’autres sous-entendent » disait Paulhan. « Pour en dire plus. » 

D’autres textes surprennent plus, car moins connus, répertoriés. À la mort de Bernard Grasset, hommage à un condottiere (sic) dont il cite les Propos : « Quelle tragique impuissance que celle d’un homme que trop d’amours appellent. » Sur Valéry : «Valéry ne s’exprimait sans réserve que sur des futilités. Sur l’essentiel, il badinait. J’entends par là un libertinage qui le jetait avec beaucoup de vivacité parmi les idées générales et lui interdisait d’en aimer aucune passionnément. Valéry a séduit trop d’idées pour ne pas choquer une époque où il est devenu à la mode de ne se dévouer qu’à une seule.»

A lire aussi, Thomas Morales : Le Paris que vous ne reverrez plus jamais !

Le dernier texte publié dans ce recueil date de janvier 1965. Laurent n’est plus directeur d’Arts. Il vient de publier Mauriac sous De Gaulle. Ce texte est un chef-d’œuvre. Dur, très dur – mais un chef-d’œuvre : «La nouveauté, c’est que vous ayez cette fois perdu votre talent, donc l’éternelle circonstance atténuante qui vous escortait depuis cinquante ans. (…) Mes vœux de nouvelle année (…) Je vous souhaite de retrouver pendant les mois qui viennent ce qui vous est essentiel, ce par quoi votre œuvre peut courir sa chance après votre mort. Vous m’avez obligé à vous juger sur le contenu littéral de votre dernier écrit parce que ce dernier écrit n’avait qu’un contenu littéral. (…) Je ne vous demande pas de cesser d’être un courtisan, vous le fûtes toute votre vie, mais je vous souhaite de redevenir écrivain – vous le fûtes presque toute votre vie.» Laurent sera entendu, exaucé – voire récompensé : Un adolescent d’autrefois, le Vie de Rancé de Mauriac, date de 1969. C’est un chef-d’œuvre.


Jacques Laurent – L’Esprit des Lettres (Vol. 2 – Arts) – Préface de Christophe Mercier – Fallois, 394p.

NB: Laurent est évidemment présent dans mon Bréviaire capricieux de littérature contemporaine etc. (Éditions de Paris-Max Chaleil). Il l’est aussi dans mon anthologie de la revue culte des « Mac-Mahoniens » (littérature, cinéma, théâtre, art) : MATULU (même éditeur).

«Kinds of Kindness» de Yórgos Lánthimos, un périple dans l’Amérique déjantée

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Kinds of Kindness, un drame de Yórgos Lánthimos, actuellement en salles © Element pictures

Ce nouveau film du réalisateur grec Yórgos Lánthimos est son troisième avec l’actrice oscarisée Emma Stone, tête d’affiche incontournable du cinéma hollywoodien et objet de fascination profonde, comme seul le 7e art sait en faire naître…


Après La Favorite en 2018 et, plus récemment, Pauvres Créatures, en 2023, voici que sort en majesté sur les écrans Kinds of Kindness, qui a raté la Palme d’or au dernier Festival de Cannes.

À vrai dire, Pauvres Créatures m’avait laissé perplexe, du fait d’un imaginaire baroque trop appuyé et d’une complaisance systématique pour le grotesque. Emma Stone portait sur ses épaules ce film hybride et décadent.

Dans Kinds of Kindness, elle demeure toujours au premier plan de l’action, véritable centre de convergence dramatique, comme si mûrissait en elle une puissance compacte, qu’elle ne libérait vraiment qu’à l’image. Résultat, le spectateur n’a d’yeux que pour elle, même si les autres acteurs ne déméritent pas, notamment Jesse Plemons, qui propose ici des compositions grandioses.

Les corps conducteurs

Kinds of Kindness se composent de trois histoires, jouées par les mêmes acteurs qui passent d’un personnage à l’autre avec une facilité déconcertante. Ce dispositif permettait, comme l’a déclaré Yórgos Lánthimos, d’« exploiter les différentes facettes de jeu des comédiens », et aussi de conserver la même intensité dramatique d’un bout à l’autre du film. En français, Kinds of Kindness se traduirait par « sortes de bonté », ou de « bienveillance ». Nous sommes proches des mots anglais « friendly » et « considerate », et donc on pourrait traduire également « kindness » par « sympathie ». Ce qui donnerait : « sortes de sympathie », ou, avec un peu d’audace : « sortes de corps conducteurs », pour faire référence au romancier français Claude Simon. C’est en tout cas un titre plutôt ironique, et choisi pour étourdir le spectateur.

Les trois histoires, concoctées avec soin par Yórgos Lánthimos et son coscénariste Efthimis Filipou, se veulent un portrait de l’Amérique actuelle. La première met en scène un homme à qui un autre vole sa vie, en le manipulant d’une manière sadique. La deuxième, celle qui m’a le plus captivé, montre un policier qui ne reconnaît plus sa femme rescapée d’un naufrage. La troisième narre le destin de la responsable d’une secte qui part à la recherche d’une femme censée avoir le pouvoir de ressusciter les morts. Yórgos Lánthimos a l’art de créer une trouble atmosphère de folie, dans chaque épisode. On n’est pas loin d’Edgar Poe, me semble-t-il, mais comme revu et corrigé par les années 70. Les êtres humains deviennent facilement des monstres. Surtout, ils plongent dans la psychose avec une sorte de naturel qui effraie. Nous avons par exemple le policier convaincu jusqu’à la démence que sa femme est un double, et qui lui demande de lui cuisiner son pouce. Certes, le cinéaste montre cette scène d’horreur d’une manière assez peu crédible et presque grand-guignolesque, mais néanmoins on perçoit dans ces images inconcevables un fond de réalisme inquiétant. On a l’impression d’être vraiment chez les fous.

L’aliénation du moi

Malgré ses aspects excessifs, je crois qu’il faut prendre ce film très au sérieux.

Yórgos Lánthimos décrit des personnages qui existent autour de nous. Excédés par l’aliénation que la société exerce sur eux, ils plongent dans des comportements irrationnels, tentant de se révolter pour conserver leur moi intime. Le premier épisode montre bien cette dépossession de soi, si courante aujourd’hui, comme l’admettent les spécialistes, à l’heure où l’identité des êtres humains est remise en question. Pour bien apprécier Kinds of Kindness, je pense qu’il faudrait le mettre en relation avec la pensée d’un Jean Baudrillard (cf. Amérique, 1986, où le sociologue s’attarde sur tous les délires contemporains qui nous viennent d’outre-Atlantique). Sous des aspects de divertissement glauque, le film de Yórgos Lánthimos nous propose en réalité une réflexion parfaitement légitime à propos du monde que nous habitons. C’est le privilège de la fiction, souvent, d’en dire autant, sinon plus, que la philosophie ou la psychiatrie sur les questions graves qui nous obsèdent.

Dans le dernier épisode, situé au cœur d’une secte new age, le corps anorexique mais désirable de la femme qu’interprète Emma Stone est l’objet de diverses agressions physiques, jusqu’au viol. La brutalité subie devient maximale, alors que c’est la « purification » qui était recherchée. Comme si Dieu, en quelque sorte, devait rester nécessairement absent, et abandonner les hommes à leur misère profonde. Kinds of Kindness réfléchit sur le mal endémique. Au-delà d’un nihilisme très contemporain, auquel succombe avec peut-être trop d’empressement le réalisateur, perce cependant l’idée d’une rédemption improbable, et par conséquent toujours à venir. Le miracle aura-t-il lieu ? C’est sans doute cette aspiration morale, placée en arrière-plan par Yórgos Lánthimos, qui permet à son film d’être vu avec autant de délectation (mais une délectation morose). Avant tout, Kinds of Kindness, c’est de l’art ; et cet art ambigu est désormais la marque de fabrique d’un grand metteur en scène, qui a encore beaucoup à nous offrir.

Kinds of Kindness de Yórgos Lánthimos. Avec Emma Stone, Jesse Plemons, Willem Dafoe. En salle depuis le 26 juin.

Amérique, de Jean Baudrillard. Éd. Grasset, 1986. Réédité récemment au Livre de Poche.

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Dissolution: l’étrange président Macron

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Le président Macron inaugure le prolongement de la ligne 14 du métro parisien, 24 juin 2024 © Blondet / POOL/SIPA

À deux jours du scrutin, le peuple français semble déterminé à poursuivre la phase dégagiste entamée par le président en place lui-même… mais sans lui.


Emmanuel Macron suscite un rejet populaire comme rarement observé dans la Vème République. Ses deux prédécesseurs ont aussi connu des périodes prolongées de disgrâce, sans toutefois n’avoir jamais cristallisé sur leurs personnes une détestation aussi universelle. On peut même se demander si la dernière chose qui puisse réunir un peuple aussi divisé que le nôtre ne serait pas de communier dans le rejet de « Jupiter ».

Rendez-vous manqués

Réunissez un sympathisant de gauche, du Rassemblement national, un jeune, un vieux, un bourgeois et un ouvrier dans un café. Après s’être battus, ils arriveront finalement à la conclusion que leurs maux sont exclusivement dus au jeune monarque qui occupe présentement l’Élysée. La chose est pour eux entendue, Emmanuel Macron est responsable et coupable. Du reste, les ministres de la majorité présidentielle rivalisent eux-mêmes de défiance, refusent de faire apparaitre le président sur leurs affiches, allant jusqu’à lui sommer de se taire durant cette campagne des législatives ! La chose est entendue et a une part d’irrationnalité. Emmanuel Macron n’est plus écouté et pas plus entendu.

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Emmanuel Macron aurait toutefois tort de voir dans le phénomène une simple frénésie collective face à son génie ou un mouvement de foule hystérique qu’il n’aurait pas pu contrôler. Il a, de fait, raté énormément d’occasions et de rendez-vous avec son peuple. Concentrant tous les pouvoirs entre 2017 et 2022, il n’en a absolument pas profité pour démarrer cette « révolution » qu’il appelait de ses vœux lorsqu’il n’était encore qu’un prétendant. Premièrement, il n’a pas écouté François Bayrou qui lui demandait de réformer le mode de scrutin des élections législatives pour passer à la proportionnelle afin que dès 2017 la réalité de la sociologie électorale se retrouve au Parlement national. Une erreur qui a frustré une partie de l’électorat qui compte bien désormais poursuivre la phase dégagiste entamée par le président… sans lui.

On va dans le mur, tu viens ?

Ensuite, il n’a pas non plus tenu de référendum après la crise dite des gilets jaunes et les consultations populaires qu’il avait pourtant commandées. Il a pensé pouvoir « acheter » les Français à plusieurs reprises en saupoudrant aides et subventions directes, accroissant par la même occasion le mur de la dette dans lequel est en train de foncer le pays au risque d’une aggravation dramatique du « spread » avec l’Allemagne. Sur les sujets d’immigration et de sécurité, d’identité aussi, il a péniblement joué le symbolique face à la réalité, n’allant jamais au bout d’intentions qui sur le papier semblaient intéressantes, tant en 2018 avec la loi Collomb que plus récemment avec la « loi Immigration » qu’il a volontairement laissée censurer par le Conseil constitutionnel.
En 2022, élu malgré une importante progression de Marine Le Pen qu’il espérait pourtant réduire, il n’a pas provoqué de dissolution dès après le deuxième tour de la présidentielle ainsi que l’y invitaient ses proches conseillers. Résultat, il a perdu sa majorité absolue. Depuis lors, il n’a eu de cesse de pratiquer un pouvoir autoritaire qui a achevé de dégoûter un peu plus les Français, multipliant les 49.3 et les interventions télévisées…

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Dernièrement, Emmanuel Macron n’a pas su mesurer la montée du Rassemblement national et de la droite, traitant avec légèreté les sujets qui font le succès de ses opposants.
Alors que rien ne l’y obligeait, il a décidé une dissolution au pire moment, sur un temps très contraint, comme s’il avait souhaité punir les Français et son propre camp. Sa « grenade dégoupillée » a été lancée avant ces fameux Jeux qu’on nous présente pourtant quotidiennement comme engageant l’honneur et l’image de la France dans le monde. Bref, Emmanuel Macron a raté maintes occasions de se faciliter la tâche. Son centrisme est devenu une chape de plomb, lui interdisant de choisir entre les aspirations de la gauche et celles de la droite, lui aliénant en conséquence les deux bords. Il n’a pas été le chef que le quinquennat demande, mais un arbitre des élégances distribuant bons et mauvais points à une population infantilisée. Omniprésident jupitérien arrivé au pouvoir sur la promesse de la déconcentration des pouvoirs, il récolte le prix que tout monarque dépeint en tyran a dû affronter dans l’histoire française.
Injuste ? Sûrement partiellement, mais la faute lui en revient.

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Des élections post-démocratiques?

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La candidate de la majorité présidentielle Shannon Seban en campagne à Ivry sur Seine (94), 25 juin 2024 © John Leicester/AP/SIPA

Avec la campagne des législatives anticipées, nous avons vu l’adaptation accélérée du paysage politique à une France multiculturalisée, communautarisée, libanisée.

Les élections qui viennent ne seront pas démocratiques mais post-démocratiques, notre société ne disposant plus de la cohésion ni du socle minimal de convictions communes nécessaires à la démocratie d’opinion. La question posée n’est plus de savoir ce que le demos choisit souverainement, mais de savoir si le demos doit ou non être souverain, et même : s’il doit ou non être libre.

A cette question, la droite (dite « droite patriote », structurée par l’alliance entre le RN et Éric Ciotti) répond « oui » – j’en profite pour rappeler que contrairement à ce que prétendent ses ennemis, cette droite a du demos la même vision que jadis Isocrate, vision culturelle et non raciale : c’est la droite de Malika Sorel, de Hanane Mansouri et de Jean Messiha. Elle ne nie pas l’existence du peuple français historique, mais ne nie pas non plus que des individus de toutes origines peuvent s’y assimiler et dès lors en devenir membres à part entière.

Nouveau Front Populaire, centre macroniste et droite patriote

À l’inverse, à cette même question le centre (l’autoproclamé « cercle de la Raison » ou « arc républicain ») et la gauche (le « Nouveau Front Populaire », alliance de tous les partis de gauche avec le NPA – qui le soir du 7 octobre déclarait son « soutien » aux « moyens de lutte » choisis par la « résistance » palestinienne) répondent « non ».

Le centre veut perpétuer la captation de la souveraineté par une oligarchie affranchie de tout contrôle démocratique – la collusion entre Emmanuel Macron et Laurent Fabius pour tromper et humilier le Sénat (tout en bafouant sciemment la volonté générale) au sujet de la « loi immigration » en est une parfaite illustration. La gauche veut transférer la souveraineté à une coalition de « minorités » aux visions du monde souvent contradictoires (l’alliance improbable des « hijabeuses » et des « femmes à pénis ») mais pour l’instant unies par une commune détestation du demos français (y compris lorsque ces « minorités » en sont issues) et de la civilisation à laquelle il appartient – l’hostilité envers Israël n’étant que la part actuellement la plus médiatisée d’une hostilité plus générale envers tout l’Occident, réduit à un « système de domination bourgeois / blanc / patriarcal / colonial / cis-hétéro-normé » – simple prétexte pour l’abattre et danser sur ses ruines.

Nouveau Front Populaire, centre macroniste, droite patriote. Philippe de Villiers parle d’une France de la créolisation, d’une France de l’ubérisation, et d’une France de la tradition. Michel Onfray souligne que ces trois camps brandissent des drapeaux bien différents : drapeau palestinien, drapeau de l’UE, drapeau français (j’ajoute à ce dernier le drapeau israélien). Ibn Khaldoun y aurait sans doute vu le parti de ceux qu’il appelait les « bédouins » (le NFP veut relâcher des milliers de délinquants, son programme migratoire est une invasion, son programme fiscal est un pillage), le parti des « élites » décadentes de « l’empire » mourant, et le parti des « sédentaires » désarmés par « l’empire » mais aspirant à renouer avec leur asabbiya (leur cohésion en tant que peuple et leur combativité collective). On peut aussi caractériser ces trois pôles par certaines icônes qu’ils invoquent pour mobiliser leurs membres : il y a ainsi le camp de Nahel et des Traoré ; le camp de Zelensky ; et le camp de Thomas et de Shani Louk.

Villepin et Bertrand sont-ils des hommes de droite ?

Au second tour, et pour reprendre l’image de Michel Onfray, le drapeau palestinien et le drapeau de l’UE feront évidemment alliance contre le drapeau français. De Villepin a déjà annoncé préférer Philippe Poutou à Charles Prats, Xavier Bertrand préfère les communistes aux identitaires (il doit juger les goulags et l’holodomor moins graves que les apéros saucisson-pinard), en 2022 Mélenchon avait immédiatement appelé à voter Macron au second tour. Conformément à l’analyse khaldounienne, « l’empire » décadent et les « bédouins » ont en commun de ne prospérer qu’au détriment des « sédentaires », et craignent plus que tout que ces derniers relèvent la tête. Le centre feint aujourd’hui de renvoyer dos-à-dos « les extrêmes » : c’est évidemment une posture, personne ne pouvant sérieusement mettre sur le même plan le parti de Malika Sorel et celui du « butin de guerre » d’Houria Bouteldja.

L’exclusion d’Israël du salon Eurosatory à la demande du gouvernement confirme que la macronie a choisi son camp (« Victoire ! » avait tweeté Rima Hassan, qui ne s’y était pas trompée). Sa priorité absolue est la poursuite de l’immigration massive : l’oligarchie décadente veut vivre comme des despotes du tiers-monde, et veut donc à tout prix la tiers-mondisation du pays. Elle veut le dumping social, et elle veut le multiculturalisme pour effacer la décence commune qui, dans la civilisation occidentale, reconnaît des droits aux plus faibles face aux caprices des puissants. En outre, le centre crée sciemment les conditions de l’ensauvagement, parce qu’il a besoin des racailles pour dresser les honnêtes gens à avoir peur, à raser les murs, à baisser la tête. Racailles de toutes origines : la surdélinquance parfaitement documentée de certaines immigrations ne doit pas masquer la violence par exemple des Black Blocs « de souche », envers lesquels le gouvernement actuel est notoirement bien moins sévère qu’envers le moindre « bar identitaire ». On sait que « l’émotion dépasse les règles juridiques », pour citer Christophe Castaner alors ministre de l’Intérieur, mais seulement en faveur de ceux qui crient « justice pour Adama » et surtout pas de ceux qui réclament « justice pour Thomas. »

Droite patriote : les raisons d’un succès

À cette heure, seule la droite patriote veut rendre au demos français la conscience de sa dignité. Seule la droite offre au pays une chance d’échapper à la mécanique infernale de l’effondrement explicitée par Ibn Khaldoun. Seule la droite propose à terme une autre option que le règne des seigneurs de la guerre – que cette guerre soit économique ou armée – ou la soumission à un régime tyrannique – qu’il s’agisse d’un crédit social à la chinoise ou de la charia.

Un gouvernement RN/LR ne résoudrait pas en trois ans tous les problèmes du pays, sa victoire ne ferait pas disparaître d’un trait de plume les nombreux réseaux de la gauche qui tenteront inévitablement de saboter son action, ni ne résoudrait instantanément la situation économique calamiteuse dans laquelle nous a plongés le centre, ni n’effacerait 50 ans de politique migratoire suicidaire. Mais une victoire de la droite accomplirait trois choses absolument fondamentales. D’abord, elle arracherait le pouvoir aux ennemis du demos, à ceux qui vendent le pays à la découpe (rappelons que le gouvernement actuel refuse obstinément de révéler qui détient aujourd’hui la dette de la France) ou veulent le livrer au « Sud global ». Ensuite, elle serait un coup de poing sur la table disant clairement aux ennemis du pays qu’ils ne sont plus en terrain conquis. Enfin et surtout, elle signifierait pour tous les Français qui aiment la France et respectent sa culture et ses mœurs (qu’importe alors qu’ils soient « Français de souche » ou « Français de branche », selon la belle formule de Driss Ghali) qu’ils ont le droit de tenir tête aux racailles, aux censeurs et aux instances non-élues qui piétinent la démocratie, et qu’ils peuvent à nouveau marcher la tête haute.

Et rien n’est plus important que ça.

Flash-back sur une dissolution désinvolte…

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Le président Macron dissout l'Assemblée nationale en direct. Paris, le 9 juin 2024. © Alain ROBERT/SIPA

Les architectes de la Constitution de la Ve ont confié le pouvoir de dissoudre aux mains du président de la République, pour lui permettre de résoudre une crise politique, pas pour en provoquer ! La dissolution de l’Assemblée nationale sera-t-elle la dernière décision « disruptive » d’un président épris de transgression ?


Sur BFMTV, François Hollande reproche à Emmanuel Macron de « n’avoir pas tenu sa place ». Je ne suis pas sûr que lui-même l’ait fait en s’acoquinant avec un Nouveau Front Populaire (NFP) dominé par La France Insoumise, elle-même largement sous la coupe de Jean-Luc Mélenchon dont il avait sans cesse dénoncé la nuisance. Nous avons perdu nos dernières illusions sur l’ancien président. Interrogeons-nous sur la décision de l’actuel de dissoudre l’Assemblée nationale et sur les raisons profondes qui l’ont inspiré.

Le président et les pantins désarticulés

J’ai déjà évoqué le caractère ludique de la complicité unissant un petit cercle ne prenant pas la politique au tragique. Surtout quand elle l’est ou risque de l’être. Le psychanalyste Jean-Pierre Winter nous fournit une autre clé de ce comportement, qui relève de la seule personnalité et responsabilité du président de la République. L’homme public comme l’individu privé seraient, dans l’ensemble de leur histoire, aussi bien dans les choix intimes que dans les options politiques, épris de transgression. Cette volonté permanente de surprendre est facilement vérifiable et a conduit Emmanuel Macron d’une part à fuir l’ordinaire au bénéfice de l’inattendu, jusqu’à l’incongru, et d’autre part à considérer que ce qui surgit de son esprit et de ses desseins les plus secrets est forcément frappé du sceau de l’exceptionnel. Tout ce qui est normal, comme l’expression d’une opinion et d’un bon sens partagés par beaucoup, lui est radicalement étranger. J’étonne et je déroute donc je suis.

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Ainsi cette dissolution survenant comme un bouleversement absolu sur tous les plans et tétanisant même ses soutiens les plus inconditionnels, a-t-elle procuré à Emmanuel Macron ce dont il raffole le plus : stupéfier son entourage, reprendre la main fût-ce par une absurdité tactique. En jouissant de la volupté de son décret solitaire, impérieux et évidemment transgressif.

Larcher et Attal dépassés par les évènements

Il est en effet choquant que la décision de dissoudre, qui imposait au président, pour être prise valablement, une consultation du Premier ministre, du président du Sénat et de la présidente de l’Assemblée nationale, ait été édictée par Emmanuel Macron, Gabriel Attal ayant été laissé de côté, après une information précipitée et de pure forme sans que la moindre contradiction ait pu lui être proposée. La suite a démontré que ces hautes autorités ont très mal vécu cet épisode de totale désinvolture. Gérard Larcher a reproché au président de « ratatiner la démocratie ». Le Conseil constitutionnel a été saisi d’un recours visant cette entorse à l’article 12 de la Constitution. Il a considéré qu’il n’avait pas compétence pour l’apprécier. 

Ces dispositions psychologiques et cette légèreté constitutionnelle sont l’une des explications du climat actuel. Avec ce président mal aimé, peut-être comme aucun avant lui.

Binationalité, un débat politique légitime

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Lors d'un débat sur TF1, le Premier ministre Gabriel Attal a reproché à Jordan Bardella d'avoir une collaboratrice franco-russe au parlement européen, 25 juin 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

La France n’a pas que des amis, rappelle Céline Pina


En France, la proposition d’interdire la binationalité pour l’occupation des postes de représentation politique ou certains postes stratégiques fait scandale. Pourtant cette proposition est tout à fait cohérente et est loin d’être un marqueur de xénophobie. Elle est au contraire liée à une haute idée des exigences de la démocratie et du devoir du citoyen.

D’ailleurs, nombre de démocraties proches de nous interdisent ou limitent la double nationalité. C’est le cas de l’Ukraine, des Pays-Bas, de l’Autriche, de l’Estonie, de la Bulgarie, de l’Espagne, de la Norvège, de la Lettonie et la Lituanie, ou encore de l’Allemagne…

Ces interdictions ou limitations ne sont pas la marque de la xénophobie mais une exigence de clarté dans l’engagement citoyen. Etre français, ce n’est pas une créance permettant de tirer des avantages financiers et sociaux de sa nationalité. La citoyenneté est, en Occident, un engagement civilisationnel.

Nos appartenances ne sont pas basées sur la religion ou l’ethnie mais sur le partage de principes et idéaux qui se traduisent en droit. Ces principes et idéaux sont l’armature de notre société et ils se traduisent très concrètement : c’est l’affirmation de l’égalité en droit au-delà des différences de sexe, race, religion ou philosophie, c’est la défense des libertés publiques, c’est la laïcité. Etre citoyen c’est adhérer à ces principes et travailler à leur effectivité et à leur garantie.

Double fidélité

Le peut-on quand la double nationalité vous amène à appartenir à des sphères politiques dont les valeurs sont frontalement opposées ?

Autre point, que se passe-t-il en cas de guerre quand vous appartenez à deux univers qui s’affrontent. Où va votre loyauté ? À qui et à quoi êtes-vous fidèles ? Quels principes et idéaux allez-vous servir? Qui allez-vous protéger, pour qui irez-vous combattre ?

Dans le premier cas, que défend quelqu’un qui est binational et appartient à un pays européen et à un pays musulman par exemple ? Dans ces pays, l’égalité en droit n’existe pas, elle est refusée à raison du sexe (infériorisation des femmes) et de la religion (statut de sous-citoyen via la dhimmisation). Cette personne croit-elle en l’égalité entre les êtres humains ou est-elle favorable à la domination d’un sexe sur l’autre ? Portera-t-elle haut les libertés publiques ou les sapera-t-elle pour faire prévaloir son dogme religieux ? Que défendra-t-elle si elle arrive au pouvoir ?

La question n’est pas absurde. En Belgique, où les islamistes ont infiltré les partis politiques de gauche, des coups sont portés contre l’État de droit pour favoriser la logique de la charia, ces nouveaux élus n’ayant aucun lien avec la culture démocratique et servant l’idéologie islamiste. Là, l’entrisme est manifeste, mais il n’en reste pas moins qu’une personne ayant fait allégeance à des systèmes contradictoires et opposés ne puisse incarner l’intérêt général : elle n’est pas claire dans son système de valeurs, ambiguë dans ses engagements, en contradiction flagrante dans ses allégeances, elle ne peut donc représenter personne. Dans le cas d’un ministre ou d’un député par exemple, cet aspect de la problématique est déterminant.

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Regardons ce qui se passe concrètement avec le cas Rima Hassan. Cette femme ne représente pas les Français mais est là pour porter la voix de la Palestine, version Hamas. Elle le dit très clairement et se présente elle-même comme l’incarnation d’un lobby étranger. Elle est de surcroit en lien avec des représentants du terrorisme islamiste. En quoi est-elle légitime pour représenter notre pays? Et en cas de tensions avec le Hezbollah, la Syrie, le Hamas, de quel pays, territoire ou idéal défendrait-elle les intérêts ? Certes, tous les élus ne sont pas comme cette personne, mais le doute que cette double fidélité implique et les tensions qu’elles génèrent sont problématiques.

Lorsque les systèmes convergent et que les principes et idéaux organisant les sociétés se rapprochent, la double appartenance est possible. Mais l’évolution du monde va dans le sens inverse: la logique impérialiste se réveille et la conquête territoriale revient. Le totalitarisme islamiste remet au goût du jour les massacres de masse et les tentatives de déstabilisation des démocraties. Guerre, totalitarisme et terrorisme reviennent en Europe. Les démocraties sont attaquées et une partie de la menace est liée à la puissance des islamistes au cœur des pays européens. Cette menace est endogène, comme l’ont montré la nationalité des auteurs d’attentats. L’impossibilité d’appartenir à deux mondes et à deux espaces de références antagonistes a éclaté au grand jour et a été révélée dans le violent rejet que manifestent les jihadistes et partisans du séparatisme pour le pays dont ils ne considèrent pas comme « d’origine ».

La France n’a pas que des amis

Dans ce cadre, on ne voit guère comment continuer à faire semblant de croire que la double nationalité n’est pas un problème. Surtout quand les tensions s’accroissent tandis que les antagonismes montent.

algerie pierre vermeren bouteflika
Supporters de l’équipe d’Algérie de football, Paris, juillet 2019. Auteurs : Bastien Louvet/SIPA.

Prenons un cas très concret : l’Algérie. Le pays cultive la haine de la France chez ses ressortissants. C’est même un mode de gestion de sa vie politique intérieure. La France est accusée de tous les maux afin de faire oublier la corruption et l’incapacité des élites algériennes comme leur échec à développer un pays pourtant plein d’atouts. Le ressentiment à l’égard de la France devient une caractéristique de cette population. Dans le même temps, chez beaucoup de ressortissants maghrébins, la France est dénigrée et « Français » est même devenu une insulte dans les quartiers islamisés ! En parallèle, l’appartenance aux origines est exaltée. À qui ira dans ce cadre la fidélité d’un Franco-algérien en cas de crise ou d’affrontement ? Comment donner un pouvoir de représentation à des personnes qui pourraient très vite se retrouver en conflit de loyauté au mieux, incapables d’incarner les fondamentaux de ce que nous sommes en tant que peuple au pire ?

Ces questions ne sont pas anecdotiques, elles sont au cœur de nos sociétés politiques. Les traiter par le sentimentalisme, en mode « on me demande de choisir, donc je me sens rejetée dans mon être intime » relève de la victimisation simplette. Les évacuer car elles seraient « amorales » ou « racistes » relève de la manipulation pure. Le débat sur la limitation de la double nationalité est un débat de fond, légitime et il mérite d’être posé.


Elisabeth Lévy : « Devenir français est un privilège. Il n’est pas scandaleux qu’il ait un prix »