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Label affaire

En soutenant une initiative visant à distinguer les médias qui respecteraient les règles du journalisme des autres, le président Macron s’attire les foudres de la presse conservatrice. Labelliser les informations ou les opinions est toujours une mauvaise idée.


Fidèle à lui-même, le président Macron vient donc de nous concocter une toute nouvelle usine à gaz. Toxique le gaz, en l’occurrence en raison du fort remugle de censure qui accompagne la géniale trouvaille.

La formidable idée qu’il vient de nous sortir de son chapeau de clown consisterait ni plus ni moins à attribuer un label de qualité aux organes d’information, à leurs équipes éditoriales et à leurs productions. Un peu comme pour le calendos des verts pâturages et le plat-de-côtes made in Limousin.

Médiatiquement correct

Subtil, le fin penseur tient cependant à rassurer les foules : ce n’est pas l’État qui estampillerait mais « les professionnels de la profession » eux-mêmes. Donc une sorte de comité de la bien-pensance, du médiatiquement correct. Recrutés sur la base de quels critères, ces beaux esprits, et œuvrant en fonction de quelle grille de lectures ? Voilà ce qu’on ne sait pas encore.

Ce que nous savons pertinemment en revanche, c’est l’aveu de faiblesse, l’aveu de détresse qui se cache derrière ce genre de diablerie, dernier refuge, dernière marotte des pouvoirs en perdition. Ces pouvoirs en faillite n’ont en effet plus guère qu’un seul ennemi à redouter : la vérité. La vérité de ce qu’ils sont, de ce qu’ils font, de leurs échecs, de leurs médiocrités, de leurs compromissions. Alors, on flingue. On flingue la vérité et ceux qui osent prétendre la porter.

Un mot sorti de la bouche du président sonne comme un aveu en la matière. Aveu terrifiant. Il qualifie les médias et les confrères qui le défrisent de « dissidents ». Le mot même qu’employaient les dirigeants communistes de l’URSS et leur valetaille du PCF pour désigner les Soljenitsyne, les Kasparov, les Amalrik, les Lioudmila Alexeïeva et tant d’autres…Oui, quel aveu ! Quel pitoyable aveu !

La patrouille bien-pensante à la rescousse

Volant au secours de cette nouvelle avancée présidentielle, d’aucuns se réfèrent à un label déjà existant, la certification ICJ, en française Initiative pour la confiance dans le journalisme, dont l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF) serait à l’origine. L’idée remonterait à 2018. Ce sont des cabinets d’audit tels que Veritas ou Deloitte qui feraient office d’arbitre, et non l’État, tient-on à préciser. En France, 17 médias sont à ce jour certifiés, cela va, nous révèle Patrick Cohen dans une récente chronique de France Inter, de TF1 au Réveil du Vivarais. On s’en doute, sa propre antenne est du lot.

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La démarche en soi ne manque certes pas d’intérêt, sauf que la question de fond reste entière : selon quels critères précis l’accréditation est accordée ou non, et par qui sont désignés ceux qui les édictent, jugent de leur application, qui est garant de l’indépendance des arbitres ? Questions qui évidemment se posent avec une certaine acuité puisqu’on nous apprend que, à ce jour des médias de cent vingt-sept pays de par le monde ambitionneraient d’obtenir ce label, cent vingt-sept pays dont on ignore bien évidemment si la conception et la législation d’État en matière de liberté de la presse, liberté d’expression, liberté tout court, sont équivalentes aux nôtres. Une ironie facile serait de laisser entendre que le fait que les ondes de M. Cohen brillent particulièrement dans ce classement ne serait pas forcément de nature à rassurer sur la fiabilité « déontologique » de l’entreprise. Passons. 

J’évoquais l’écœurant remugle de censure que le président se plaît à agiter avec ce projet qui ne serait donc pas le sien, mais celui de cette fameuse ONG, RSF, dont, cela soit dit en passant, souligner l’engagement idéologique ne saurait lui faire injure.

Cependant, que le président soit remercié pour une chose au moins, car, car tenant ces propos, il nous permet de nous replonger dans ce que la tradition intellectuelle française a pensé et dit par le passé de cette saloperie politique et mentale qu’est la censure.

Voici deux citations, juste pour la route.

Celle-ci, de mon référent de prédilection, Beaumarchais, dans Le Mariage de Figaro : « Pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. »

Et cette autre, de Gustave Flaubert, tirée de sa correspondance avec Louise Colet : « La censure quelle qu’elle soit me paraît une monstruosité, une chose pire que l’homicide. L’attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme. La mort de Socrate pèse encore sur le genre humain. »

Une confidence pour finir. J’aurais beaucoup aimé livrer sur ce sujet une réflexion de Mme Aya Nakamura, si bien en Cour ces temps-ci (Un long sujet lui était notamment consacré au 20 h de France 2 ce dernier dimanche), mais n’en ayant trouvé aucune, j’ai dû renoncer. J’en suis fort chagrin. Je tiens à préciser les choses afin qu’on n’aille pas m’accuser d’avoir éventuellement, si peu que ce soit, censuré cette grande dame.


Elisabeth Lévy, ce matin au micro de Sud radio : « C’est inutile et dangereux ! »

BBC: service de déni public

L’institution audiovisuelle britannique traverse une crise qui écorne sa réputation. Diffusion de fake news concernant Trump, BBC Arabic relayant la propagande du Hamas, programmes jeunesse promouvant l’idéologie transgenre. Sans surprise, pour la BBC, le problème n’est pas sa partialité éditoriale mais ceux qui osent la dénoncer


« Sorry, not sorry » est une expression anglaise pour désigner des excuses qui sonnent faux. Elle est parfaitement adaptée à celles que la BBC a présentées à Donald Trump, après la révélation, le 3 novembre, par le Daily Telegraph, du contenu d’une note interne du radiodiffuseur de service public. Cette note tirait la sonnette d’alarme concernant certaines des pratiques éditoriales de la Bib, notamment le montage fait par son émission-phare dans le domaine des reportages politiques, « Panorama », du discours prononcé par Trump devant ses partisans le 6 janvier 2021. Juxtaposant des parties très différentes de ce discours, le documentaire intitulé « Donald Trump : une deuxième chance » et diffusé à la veille de l’élection de 2024, donnait l’impression que le président avait fait un appel direct à la violence avant l’assaut du Capitole. Informé de cette manipulation grâce au quotidien britannique, Trump a prétendu y voir une tentative pour influencer le processus démocratique. Il a réclamé des excuses à la BBC et indiqué que, face à cette « diffamation », ses avocats exigeraient des dommages et intérêts s’élevant à un milliard de dollars, chiffre qui est monté depuis à cinq milliards ! Aux États-Unis, Trump a déjà obtenu des sommes considérables par des règlements extrajudiciaires avec les chaînes ABC et CBS, ainsi qu’avec Meta (propriétaire de Facebook et Instagram).

Dans sa réponse, la BBC a dit « regretter » la manière dont « la séquence a été montée ». Le verbe est ambigu (on s’excuse de son acte ou on se désole de l’avoir commis ?), et la voix passive permet de ne pas identifier les responsables. Selon la BBC, l’émission n’était pas diffamatoire, puisqu’elle n’avait pas été diffusée aux États-Unis et n’est plus disponible en ligne. Enfin, ce documentaire n’aurait pas eu d’effet, car Trump a gagné l’élection. Une autre déclaration parle d’une « fausse impression » qui aurait été donnée « accidentellement ». Mais ces manifestations de contrition passent à côté du vrai problème de la BBC : la partialité idéologique de nombre de ses salariés.

En flagrant déni

Prise ainsi en flagrant délit de fake news, la hiérarchie de la BBC est l’auteur de ses propres maux. Depuis longtemps, elle préfère minimiser les avertissements qui lui sont adressés par ses propres systèmes de contrôle. Celui qui est à l’origine de la fameuse note fuitée au Daily Telegraph, Michael Prescott, ancien chef de la rédaction politique au Sunday Times, était un consultant indépendant embauché par la BBC pour renforcer sa commission chargée de surveiller la qualité de l’information. Il a rédigé sa note avant de démissionner en juin, désespéré par l’inaction du conseil d’administration qu’il accuse d’être toujours sur la défensive quand un problème éditorial est soulevé. L’affirmation selon laquelle le montage du discours de Trump était « accidentel » est manifestement fausse : si ce montage date de 2024, un autre très similaire et aussi mensonger avait été fait en 2022 par l’émission d’actualités la plus prestigieuse de la BBC, « Newsnight ». Ainsi, la direction travestit en bévues des choix résultant de ce qu’on peut appeler – en empruntant le jargon wokiste qu’affectionne la BBC – des « biais systémiques ».

Ce refus d’admettre que son personnel puisse être coupable de déformer l’information sous l’influence de ses préjugés politiques est le talon d’Achille de la BBC. Créée en 1922, elle a construit pendant des décennies une réputation d’impartialité relative et de fiabilité. Désormais, ce capital patiemment acquis a été presque entièrement gaspillé. Sa réaction à ce qu’on pourrait surnommer le « Trumpgate » révèle son talent pour le déni. Ses journalistes ont laissé entendre que l’esclandre autour du faux montage serait le résultat d’un complot ourdi par la droite. Une opération de subversion viserait à saper la légitimité d’une BBC vouée au combat contre ces fakes news par lesquelles les réactionnaires populistes manipulent les électeurs. Cette interprétation a été relayée par beaucoup de politiques de gauche, bien que le Premier ministre, sir Keir Starmer, ait préféré rappeler la BBC à l’ordre. Lui, qui s’est démené pour garder des relations cordiales avec Trump, est gêné par l’attaque mensongère d’un média de service public contre un allié surpuissant. Les tenants de la lecture complotiste font valoir que l’un des membres du conseil d’administration est sir Robbie Gibb, un proche du Parti conservateur. S’il a joué un rôle dans la révélation de l’affaire, c’est peut-être parce qu’il pense, non sans raison, que la BBC traverse une crise existentielle. Seulement, pour la BBC, le problème n’est pas sa partialité éditoriale, mais ceux qui osent en parler. Ça ne vous rappelle rien ?

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Cette tendance au déni fait partie intégrante de la culture de l’institution. Elle explique son incapacité à agir dans des affaires comme celle de Jimmy Savile, animateur célèbre qui a abusé d’un millier enfants au cours de sa carrière ; celle de Huw Edwards, présentateur-vedette impliqué dans un commerce de pédopornographie ; ou celle de Martin Bashir qui, en 1995, a manipulé une princesse Diana psychologiquement fragile pour qu’elle lui accorde une interview-choc. Si toutes ces défaillances passées concernaient l’arrière-boutique, celles d’aujourd’hui sont visibles dans le traitement de l’information. Le cas le plus extrême est celui de BBC Arabic qui, avec une audience de 40 millions, diffuse des actualités en arabe – et dans une version très différente de celle qui a cours dans les autres services. Après le 7-Octobre, BBC Arabic a été accusée de promouvoir une propagande pro-Hamas et de faire intervenir des journalistes comme Samer Elzaenen qui aurait déclaré que les juifs « doivent être mis à mort par balles et brûlés comme Hitler l’a fait ». La direction a fini par annoncer une réorganisation complète de ce service. En février cette année, nouveau scandale quand le public a appris que le narrateur d’un documentaire « Gaza : survivre dans une zone de guerre », un garçon de 13 ans qui se présentait comme un assistant médical improvisé, n’était autre que le fils du sous-ministre de l’Agriculture du Hamas. En juin, la retransmission en différé d’un concert au Festival de Glastonbury s’est transformée en un appel à la mort des soldats israéliens. La diffusion en flux n’a pas été interrompue. Pour compléter le tableau islamo-gauchiste, la BBC a été accusée de promouvoir l’idéologie transgenre dans ses émissions pour enfants et de ne pas parler d’actualités qui pourraient montrer les non-binaires sous une lumière défavorable. Ses émissions satiriques seraient très marquées à gauche, tandis que dans ses fictions les méchants et les gentils seraient faciles à distinguer, les premiers étant des Blancs et les autres des personnes de couleur.

Modèle économique et modèle de vertu

Tous ces éléments ont fini par exaspérer une grande partie du public. Selon un argument qui fait son chemin, les citoyens seraient privés de la possibilité de manifester leur désaccord par le fait que la BBC est financée par la redevance. Cette dernière coûte 200 euros, plus que l’abonnement à Netflix et à Disney +. C’est ainsi qu’est né le mouvement Defund BBC – arrêtez de payer ! Dans le passé, il était difficile d’échapper aux inspecteurs qui venaient frapper à la porte des particuliers n’ayant pas payé leur redevance. Aujourd’hui, le nombre de ceux qui refusent de leur ouvrir est si grand que les inspections ne peuvent pas y faire face. C’est ainsi qu’au cours des douze derniers mois, la BBC a perdu presque 1,2 milliard d’euros sous forme de redevances impayées. Son modèle économique est en crise et sa prétention à incarner la vertu est plus un obstacle qu’un atout.

Sous la pression du « Trumpgate », le directeur général et la directrice de l’information ont démissionné, mais cela ne sauvera pas l’institution. Cette dernière est un béhémoth où les dirigeants ont peu d’influence sur la culture qui domine dans ses innombrables services. L’employé typique de la BBC est un jeune bourgeois diplômé qui a gobé toute l’idéologie wokiste et se croit appelé à apporter la bonne nouvelle au reste de la société. Sauf qu’une grande partie de la société n’est pas disposée à l’écouter. Autrefois, le public se divisait politiquement entre la droite et la gauche. La BBC faisait de son mieux pour naviguer entre les deux. Aujourd’hui, le clivage est beaucoup plus générationnel et territorial – Londres contre les régions. Le personnel de la BBC n’est plus en phase avec un grand nombre de Britanniques. Des voix s’élèvent pour mettre fin à la redevance et livrer la BBC à la concurrence du marché libre, mais un dilemme se présente qui s’applique aux services publics dans la plupart des pays occidentaux : comment résister aux fake news qui circulent librement sur les réseaux sociaux, ainsi qu’à la vision du monde promue – souvent en anglais – par des médias d’État de régimes autoritaires comme la Chine ou la Russie ? La secrétaire à la Culture a déclaré à la Chambre des communes que « la BBC est une institution nationale qui nous appartient à nous tous ». À l’heure actuelle, on dirait plutôt qu’elle fait honte à la nation.

Grandeur et décadence de nos musées

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Plus redoutables que les voleurs du Louvre, ce sont l’appauvrissement intellectuel, la politisation de l’art et le relativisme esthétique qui menacent nos musées.


Diamants, rubis, émeraudes, saphirs… En sept minutes à peine, un fric-frac au Louvre suffit pour remplir de larmes les réservoirs d’une fierté culturelle au bord de la sécheresse. Les bijoux de Marie-Louise et d’Eugénie, chants de cygne d’une noblesse éteinte, fourrés dans des sacs et embarqués sur des scooters pétaradants… L’émoi suscité par ce cambriolage pourrait presque nous faire pardonner certains qui pensaient Eugénie reine alors qu’elle fut impératrice, ainsi que d’autres s’exhibant sur les réseaux sociaux, mêlant aux sanglots des menaces jetées aux voleurs. Après tout, ce qu’on arracha à la France, c’est un de ses fruits sacrés.

Mais quel fruit sacré, exactement ? À vrai dire, ce qui furent, jusqu’au 19 octobre, immortelles ambroisies, se firent ensuite Pommes de la discorde. Car outre le chagrin de ces dernières semaines, entièrement louable, la perte des bijoux a révélé un drame plus profond : une indifférence croissante envers les musées eux-mêmes, mourant à petit feu d’année en année.  

Honte de soi et cartels pour bêtas

Depuis trop longtemps, les musées se rendent indignes des œuvres qu’ils affirment préserver. Des plus célèbres palais du monde jusqu’aux galeries de province, l’art, ainsi que tout ce qu’il renferme en son sein – beauté, héritage, transcendance, exigence – sont la cible de mille flèches, dont les plus graves : médiocrité, honte de soi, relativisme, bas-fonds politiques, et laideur morale ; bien entendu, sous des airs d’innovation et d’ouverture.

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D’abord, la médiocrité, jumelle de la tiédeur. À titre d’exemple, moins insignifiant qu’il n’en a l’air, le Louvre et le Carnavalet décidèrent, en 2021, d’abandonner les chiffres romains dans l’écriture des siècles et des titres de rois, au nom d’une prétendue meilleure compréhension du public. L’on pouvait donc lire sur leurs cartels, notamment, « Louis 14 » … Avant que l’on ne crie au faux scandale pour privilégiés délicats, considérez l’aspect symbolique. Voyez-vous, une civilisation ne se résume pas qu’à ses institutions, ses monuments, ses fulgurances. Sa poésie se trouve aussi dans ses plus infimes particularités, banales pour certains, mais qui, pour d’autres, scintillent comme des pierres d’une mosaïque, celles qui, loin du point focal, participent néanmoins à son harmonie et son détail. Ce « je ne sais quoi » dont parlait Jankélévitch : inutile, peut-être, dans l’ordre pratique, mais crucial pour ces veines invisibles où coule l’essence des choses.

Par ailleurs, si les musées s’inquiétaient que les visiteurs étrangers ou locaux ne comprennent rien aux chiffres romains, eh bien, un simple paragraphe explicatif affiché à l’entrée ferait l’affaire. N’est-il pas insultant, quelque part, de considérer un système numérique comme trop compliqué pour le visiteur moyen ? Si des musées de renommée mondiale, comme le Louvre, n’exigent plus le moindre effort de réflexion avant même de présenter leurs œuvres – elles, de plus en plus victimes d’un « retour à la caverne » platonicien, du fait qu’elles soient vues à travers un écran de téléphone et non des yeux – qu’est-ce qui inciterait le visiteur à se surpasser, à se faire violence pour s’élever ? À force de craindre de perdre l’attention du visiteur, les musées ont cessé d’exiger son respect.

Laideur sournoise

En parlant de respect, il serait aujourd’hui bien difficile de visiter le moindre musée sans être confronté au phénomène de « repentance muséale », sorte de mea culpa existentiel dès qu’il est question d’un fragment d’histoire occidentale. Mais qu’on ne confonde pas tout : il ne s’agit pas ici de combattre la nuance, et l’adoption d’une approche holistique de figures historiques aussi complexes qu’ils furent hommes. Ce qui pourrit la transmission historique de l’art, c’est plutôt l’absence de nuance et l’aveuglement idéologique.

En 2021 aussi, le Musée national du Pays de Galles a choisi de retirer le portrait de Sir Thomas Picton – un héros national en Grande-Bretagne, et le soldat le plus haut gradé à avoir été tué pendant la bataille de Waterloo – pour le confiner aux poussières de grenier, citant son implication dans l’esclavagisme. Encore une fois, il n’est pas question de défendre ses actes, mais bien de se demander : pourquoi ne pas illustrer son importance historique sans pour autant occulter sa part d’ombre ? Expliquer, plutôt que cacher ?

Plus tard, le portrait fut réexposé, mais, sous pression de groupes divers, dans une espèce de boîte en bois industriel, avec une vitrine conçue spécialement pour obscurcir le portrait, évoquant davantage raclure de tiroir que héros national. Le tout, accompagné d’un long texte qui ne visait pas à nuancer, mais à abattre le personnage. Ainsi, au lieu de discuter de véritables questions éthiques, de façon mature, l’on choisit l’autoflagellation et la caricature. Celui qui jadis inspirait l’admiration de son peuple fut victime d’un grotesque rituel, aussi humiliant pour lui que pour le visiteur : « Osez le regarder, le bougre ! Pas évident, n’est-ce pas ? » ricanait-on entre les lignes… D’autres exemples de ce genre pullulent. Mais, comme dirait l’autre, « il n’y a qu’à traverser la rue ».

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Et le comble de ce festin de plaies, c’est la laideur – mais pas n’importe laquelle. Celle-ci, voyez-vous, est plus habile, plus sournoise. Il faut croire qu’elle s’est perdue dans un bal vénitien et s’est masquée derrière des fioritures pour se faire aimer des invités, afin de tromper le beau, maintenant vieux et las, de danser avec lui jusqu’à ne plus lâcher son bras, jusqu’à ce que tous crurent en une union, pour ne pas dire un parasitisme, au point où jamais le beau ne parle sans que la laideur ne le coupe, parle plus fort, déforme ses propos, lui mène une guerre d’usure pour bien faire comprendre qu’il appartient à un monde disparu, tandis qu’elle continue d’enchanter les invités, de rire, rire aux éclats, le masque aidant à cacher ses dents pourries…

Oui, un masque scintillant, provocateur, qu’il est devenu chic d’aimer. C’est pourquoi l’on voit toujours apparaître au musée, autour d’installations aussi hideuses que préméditées, « Recontextualiser », « Repenser », « Réinterroger », « Relativiser » … un fatras de mots en « re », dont le plus juste serait « Régresser ».

Aucune œuvre n’est à l’abri, qu’elle soit au musée ou dans la rue. À défaut de les profaner elles-mêmes, il est maintenant coutume de les travestir d’installations censées choquer, désacraliser, et enlaidir. L’on pense bien sûr aux exemples les plus célèbres, comme les Balloon Dogs de Jeff Koons plantés au château de Versailles en 2008, ou à « l’arbre » euphémistique de Paul McCarthy qui souilla la place Vendôme en 2014 dans le cadre de la Foire internationale d’art contemporain – dont l’acronyme n’est sûrement qu’un heureux hasard. Mais cet arbre, comme ces ballons, cachent une forêt à éradiquer par le feu : la multiplication de ces attentats contre la beauté dans les musées petits et grands, de Paris à Montréal, de Los Angeles à Berlin. Des peintures symbolistes occultées par des sculptures vides de sens. Des monuments grandioses recouverts de piaillements ingrats. C’est trahir les artistes qui nous ont laissé des œuvres dignes des siècles, trahir une élégance devenue cacophonie, et symptôme d’une culture qui s’intéresse davantage à réécrire le passé qu’à dessiner l’avenir.

Voici l’état où se trouve l’art à présent, tandis que la foule se tient muette derrière le peloton d’exécution. Mais devant ce saint Sébastien à la chair percée de mille flèches, il est de notre devoir collectif d’agir comme sainte Irène, de le prendre dans nos bras, de soigner ses blessures, de le regarder, l’écouter vraiment, et de le défendre coûte que coûte contre ses faux protecteurs, afin qu’il retrouve sa splendeur réelle, digne de ceux qui nous l’ont transmise.

Kaouther Ben Hania: un dispositif émotionnel ambigu

La Voix de Hind Rajab, actuellement en salles, soulève quand on le visionne une problématique d’ordre moral telle qu’il en résulte un très mauvais film. À éviter.


La Voix de Hind Rajab est, pour certains, un témoignage bouleversant ; pour d’autres, une preuve irréfutable d’un prétendu génocide perpétré par l’armée israélienne ; pour d’autres encore — dont je fais partie — un film qui soulève des questions d’ordre… cinématographique. La Voix de Hind Rajab est en effet une fiction inspirée de faits réels. La cinéaste Kaouther Ben Hania a choisi de réaliser un documentaire-fiction construit sous la forme d’un huis clos étouffant au sein d’un centre d’appel du Croissant-Rouge. Les comédiens qui interprètent les secouristes jouent, en pseudo temps réel, leurs réactions à l’écoute de l’appel authentique de la petite Palestinienne Hind Rajab, coincée dans une voiture et entourée des corps sans vie de membres de sa famille — un crime de guerre ?

Un dispositif discutable

Le film, servi par une mise en scène très cadrée ne montre fort heureusement aucun plan de violence explicite liée à la guerre en cours menée par Israël contre les terroristes du Hamas. Kaouther Ben Hania fonde sa mise en scène sur l’utilisation de la parole véridique de Hind Rajab mélangée aux réponses de ses comédiens. Elle filme la parole, les silences, les bruits de guerre, ainsi que l’impuissance des secours, la tension qui s’installe entre eux et instaure un suspense surdramatisé malaisant et malhonnête sur l’issue de la situation. Tous les spectateurs allant voir ce film connaissent l’histoire vraie et tragique de Hind Rajab. Cette manière de filmer le réel entre retenue apparente et dramatisation jouée pose question. L’horreur n’est pas montrée mais est donnée à entendre — et surtout à ressentir par une médiation théâtralisée.

Kaouther Ben Hania transforme le réel en matière première d’un thriller psychologique dont la force émotionnelle devient paradoxalement une faiblesse. Le matériau utilisé, le réel : l’enregistrement de la voix d’une enfant confrontée à l’horreur de la guerre possède une intensité qui impose compassion et stupeur. Sa charge affective est insoutenable. Dès lors, comme pour la représentation de la Shoah au cinéma la question fondamentale arrive : un film peut-il, et doit-il utiliser cette voix, la mettre au centre d’un documentaire qui devient par sa mise en scène habile une fiction ? Comment l’utiliser sans la dénaturer ?

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Absence de distance critique et primat de l’émotion

Le dispositif retenu repose sur la diffusion de la parole d’une enfant en plein désarroi. Pas de contextualisation, pas de distance ni de travail critique réflexif sur la manière de montrer. Le film démontre et la cinéaste choisit de mettre cette voix brute comme pivot central émotionnel autour duquel elle ordonne le jeu de ses comédiens, les plans sur les visages des opérateurs et secouristes, les lumières crues du centre d’appel, la musique et le montage… Le spectateur doit ressentir viscéralement ce drame. Tout l’enjeu du film est de transformer la douleur authentique en levier dramaturgique, destiné à provoquer une émotion maximale. L’utilisation de cette voix comme moteur narratif semble alors devenir une véritable exploitation émotionnelle, un instrument affectif qui en confisque la dignité.

Une question éthique majeure

Peu importe la légitimité du sujet ; ce qui interroge, ici, c’est la manière dont il est mis en scène. La sidération l’emporte sur la réflexion, l’intensité affective écrase la complexité de la situation. La cinéaste est trop consciente du pouvoir qu’exerce son matériau.

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Sur le plan éthique, la question est cruciale : peut-on mobiliser la voix d’une enfant terrorisée sans la surdéterminer, sans la transformer en instrument moral au service d’une cause ? La cinéaste ne semble pas se poser ces questions. Elle s’appuie sur cette douleur brute, faisant usage d’un témoignage fragile qui aurait exigé une mise en forme d’une rigueur extrême, afin d’éviter toutes scènes spectaculaires ou excessivement dramatisées.

Un rappel théorique : Rivette et la question de l’abjection

À cet égard, la réflexion de Jacques Rivette dans son excellent texte De l’abjection(1) demeure éclairante. Critiquant le fameux “travelling de Kapò”, Rivette écrivait : « Voyez cependant, dans Kapo, le plan où Riva se suicide, en se jetant sur les barbelés électrifiés ; l’homme qui décide à ce moment de faire un travelling-avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris. ». Si la situation diffère — Kaouther Ben Hania évite toute esthétisation visuelle — l’enjeu moral est similaire : comment filmer, comment représenter, comment mettre en scène une détresse réelle sans la transformer, fût-ce involontairement, en spectacle ? Rivette rappelait que la mise en scène impose toujours un regard, et que ce regard peut devenir indécent dès lors qu’il manipule la douleur au lieu de la penser. Le film de Ben Hania ne commet pas une « faute de cadre », comme dans Kapò, mais il opère une mise en émotion qui, elle aussi, soulève une question de légitimité.

Le film de Kaouther Ben Hania me semble donc une œuvre contestable non pour son sujet — tragique, dur et réel — mais par la manière dont elle en dispose. En misant presque exclusivement sur le choc affectif, la cinéaste transforme cette voix enfantine en instrument narratif, substituant l’émotion, le pathos à la compréhension.

Le cinéma peut et doit pouvoir montrer la douleur. Mais pour cela, il doit impérativement résister à la tentation du spectaculaire.


1h29

(1)  De l’abjection de Jacques Rivette, consacré au film Kapo de Gillo Pontecorvo – Cahiers du cinéma, numéro 120 – juin 1961

Réseaux sociaux et crépuscule de la presse officielle

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Labelliser les médias ? Le combat du fameux « cercle de la raison » contre les nouvelles libertés numériques est perdu d’avance, observe Ivan Rioufol. Les médias traditionnels et connivents avec les pouvoirs sont dépassés par les informations que fournissent les réseaux sociaux en prise avec le réel. Ceux-ci, en dépit de défauts qui restent à corriger (anonymat, appels illégaux, fake news) forcent les journalistes à ouvrir les yeux sur des faits naguère occultés.


La révolution numérique est une aubaine pour la démocratie en rade. Cette technologie, utilisée par 94% des ménages, rend vaines les tentatives désespérées d’Emmanuel Macronpour contrôler l’opinion populaire. Une mer qui monte ne s’arrête pas avec des interdits. L’obsession du chef de l’État visant à mettre sous surveillance les réseaux sociaux lui fait commettre des embardées liberticides. Elles dévoilent sa pente manichéenne et sectaire : un anachronisme alors que partout la parole se libère.

Dès son premier mandat, j’avais alerté sur ses initiatives qui, au prétexte de traquer des « fake news » et des « propos haineux », impliquaient le pouvoir politique dans la police de la pensée. Ses derniers projets pour installer une labellisation de l’information par des professionnels et pour prévoir des actions en référé contre des « désinformations », relèvent de cette incapacité du chef de l’Etat, en guerre contre le « populisme », à admettre les critiques non homologuées par l’incestueux système politico-médiatique. Lundi soir, l’Elysée a été jusqu’à publier une vidéo dénonçant des commentaires tenus sur CNews par Pascal Praud et Philippe de Villiers. Mais cette maladresse puérile d’un président esseulé ne fait qu’étaler les failles intimes du Narcisse blessé. « La vraie dictature est là, en Russie », a-t-il lancé ce même jour en recevant Volodimir Zelenski. Or, la macrocrature se rapproche des régimes totalitaires qu’elle sermonne en multipliant les obstacles et les intimidations à la libre expression, sur l’internet et l’audiovisuel, et en mobilisant la presse de cour, singulièrement les médias financés par l’Etat, pour décréter la vérité (pravda, en russe).

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En réalité la macronie laisse voir, dans son appétit pour les censures et les rappels à l’ordre de ses chiens de garde, les ultimes soubresauts d’un pouvoir ébranlé par le nouveau monde qui vient. Les oligarchies politiques et médiatiques sont vouées à disparaître sous la force irrépressible de la démocratie numérique. Elle fait de chaque individu l’acteur potentiel d’une démocratie décentralisée, localisée, horizontale, participative, informée, éduquée. Les médias traditionnels sont dès à présent dépassés par les informations que fournissent les réseaux sociaux en prise avec le réel. Ceux-ci, en dépit de défauts qui restent à corriger (anonymat, appels illégaux) forcent la profession à ouvrir les yeux sur des faits naguère occultés. Le quatrième pouvoir n’est plus dévolu à la presse connivente qui ne joue plus son rôle de contre-pouvoir. Ce dernier est représenté par l’indomptable internet, qui irrite tant Macron. Les succès des pétitions numériques, dernièrement contre l’immigration ou la loi Duplomb, forcent les politiques à penser ce nouveau monde en rupture avec les anciennes pratiques confisquées par les castes et leurs experts cooptés. 

« Tout devient soumis à consultation », admet Robin Rivaton, dans une note de décembre pour la Fondapol[1]. Dans cette conception novatrice de la politique, Macron symbolise le modèle déphasé. Ses combats contre les libertés sont honteux. Surtout, ils sont perdus d’avance.


[1] Contre la bureaucratie, la compétence du peuple, Fondation pour l’Innovation Politique

Quand le Ballet de l’Opéra apprivoise la modernité

Qu’elles soient signées par Merce Cunningham, par Trisha Brown ou, dans un tout autre registre, par Pina Bausch, leurs œuvres, quand elles sont au programme du Ballet de l’Opéra de Paris, révèlent l’extraordinaire évolution de la compagnie.


Il y a quelques lustres à peine, il était quasiment impensable que les danseurs de l’Opéra de Paris puissent se plier à des esthétiques nouvelles, à autre chose que la danse classique. Ce n’était pas seulement un problème de technique et d’adaptation des corps à des formes de danse en absolue contradiction avec les canons du ballet romantique ou de la danse académique ou néo-académique. Mais plus encore sans doute un état d’esprit qui empêchait les ballerines et leurs partenaires masculins, à quelques rares exceptions près, d’adhérer à une philosophie, à des conceptions parfaitement étrangères à leur univers. Un univers d’excellence certes, mais borné et incapable alors de s’ouvrir à d’autres façons d’envisager le monde de l’art.  

Il faut avoir observé le mépris affiché par les danseurs devant les premiers ouvrages et les méthodes de travail de Carolyn Carlson, alors étoile-chorégraphe du temps de Rolf Liebermann ; avoir entendu de petites idiotes en tutu blanc ricaner à l’idée qu’on puisse interpréter Dominique Bagouet sur la scène de l’Opéra ; avoir vu des danseurs pousser des cris d’orfraie devant des pièces maîtresses de Pina Bausch ou avoir découvert Sylvie Guillem, dansant à Londres de sirupeux navets enrubannés, étaler son dédain face aux chefs-d’œuvre de Cunningham, pour mesurer le chemin désormais parcouru jusqu’à aujourd’hui. 

Des pionniers

On se souvient avec d’autant plus d’émerveillement de danseurs-étoiles comme Wilfride Piollet et Jean Guizerix qui furent alors de hardis pionniers lors de la création d’Un Jour ou deux de Cunningham commandé au Ballet de l’Opéra pour le Festival d’Automne de 1973. Ou encore de Laurent Hilaire, magnifique lors de la reprise du même ouvrage en 1985. Mais encore de figures comme Jean-Christophe Paré et ses camarades du Groupe de recherche chorégraphique de l’Opéra de Paris (GRCOP) conduit par Jacques Garnier et voué à la création contemporaine. Il y en eut d’autres, à l’instar de la danseuse Miteki Kudo qui naguère se glissa avec un stupéfiant naturel dans l’esthétique « post modern » de Trisha Brown ou d’Olivia Granville quittant l’Opéra pour explorer des contrées inaccessibles au sein du ballet.

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Alors qu’il y a vingt ans à peine les anciennes générations de danseurs de l’Opéra demeuraient encore raides et empruntées dans le répertoire contemporain, on voit leurs successeurs d’aujourd’hui magnifiques (surtout les femmes) dans Kontakthof ou Blaubart de Pina Bausch. On les découvre désormais prêts à s’adapter, avec plus ou moins de bonheur, mais avec générosité le plus souvent, à toutes sortes d’écritures.

D’une saisissante beauté

C’est précisément le cas avec deux œuvres de la chorégraphe américaine Trisha Brown (1936-2017) qui est à nouveau à l’honneur à l’Opéra de Paris. Deux pièces remontées par d’anciens de ses interprètes, Carolyn Lucas, Todd Stone, Elena Demyanenko et Leah Morrison, dont le trio O Zlozony/O Composite (Ô compliqué, ô complexe), créé en 2004 pour les danseurs de l’Opéra sur un poème en polonais de Czeslaw Milosz et sur une partition (de facture inégale) de Laurie Anderson. Dans ce trio très élaboré qui se profile sur un ciel étoilé (décors de Vija Celmins et lumières de Jennifer Tipton) et dont les premières images sont d’une beauté saisissante, une étoile comme Dorothée Gilbert qui sait être, dans le registre romantique, une Giselle bouleversante, est également ici parfaite, encadrée de deux jeunes hommes à la tenue irréprochable, Marc Moreau et Guillaume Diop.

Conçu pour elle-même par Trisha Brown en 1994 avec la complicité de Robert Rauschenberg, If You Couldn’t See Me (Si tu ne pouvais pas me voir) est un parfait exemple de l’art de la chorégraphe, de cette incomparable alternance entre tension et relâchement, de cette souplesse féline qui la caractérisait. L’interprète, ainsi que le suggère le titre, n’est vue que de dos. Une gageure qui requiert d’ailleurs une puissance d’interprétation décuplée pour les quatre différentes danseuses qui vont assumer cette tâche au fil des représentations. Celle affrontant le rôle le soir de la première, Hannah O’Neill, est remarquable. Mais il lui manque encore quelque chose de cette distance, de cet abandon, de cette souplesse qui étaient la marque unique de Trisha Brown. Toutes choses qu’elle acquerra avec le temps, mais qui est si difficile de saisir quand on a été nourrie de technique académique. C’est justement ce que Miteki Kudo, citée plus haut, avait si miraculeusement capté.

Un aimable néant

Spectaculaire dans son dépouillement, le décor conçu avec un certain esprit Art Déco par le Néo-Zélandais John Otto l’a été pour la pièce de l’Anglais David Dawson, Anima Animus. Lui répondent énergiquement de remarquables costumes très architecturés, dessinés par la Japonaise Yumiko Takeshima. Un concerto pour violon du compositeur italien Ezio Bosso, mort dramatiquement en 2020, à l’âge de 48 ans, nimbe l’ensemble.

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Bondissant, tourbillonnant, virevoltant, tout en jambes tendues et en bras élevés vers le ciel, les dix danseurs du Ballet de l’Opéra sont brillants. Et c’est bien tout. D’un académisme militant, la chorégraphie est surtout d’un vide abyssal. Un inventaire de prouesses de classe de danse qui se reproduisent à satiété, pas du tout laides, mais parfaitement creuses et inutiles. C’est toutefois cette pièce qui a été le plus acclamée. On aurait espéré que c’était uniquement pour saluer la vaillance des danseurs. Eh bien non ! L’auteur de cet aimable néant a été lui aussi ovationné.

Anima Animus n’a pas l’excuse d’être une création. La pièce a vu le jour avec le Ballet de San Francisco en 2018, puis a été reprise en 2023 à la Scala de Milan qui est, dans le domaine de la danse, le repaire de l’académisme le plus ranci et le plus réactionnaire. Comment donc avoir eu l’idée de programmer ce pensum à Paris ? Cela prête à penser.

Et une impitoyable punition    

Caroline Osmont. A l’arriere plan Ida Viikinkoski et Clemence Gross, « Drift Wood » – Imre et Marne van Opstal © Benoite Fanton / OnP

Mais on n’a pas tout vu ! Exécutée par douze courageux interprètes dans une semi-obscurité qui n’arrange rien, Drift Wood (Bois flotté en bon français) porte bien évidemment, selon les critères établis, un titre en anglais. Comment avaler qu’un ouvrage créé par le Ballet de l’Opéra de Paris à l’Académie nationale (ci-devant impériale et royale) de Musique et de Danse, financé par elle et conçu dans la capitale, non par des auteurs anglo-saxons, mais par deux Néerlandais du Limbourg, porte obligatoirement et sans justification aucune un titre en anglais ? Comme si un titre français sur une scène française était une chose définitivement ringarde et déshonorante ! Mais le monde de la danse est souvent si bête, si vain et si moutonnier qu’intituler un ouvrage en anglais pour se donner un genre et une contenance est devenu depuis longtemps un automatisme irrépressible chez nombre de chorégraphes auto-proclamés.

40 minutes à endurer un truc indescriptible et crapoteux créé par Marne et Imre van Opstal. Un frère et une sœur presque jumeaux qui se sont donc mis à deux pour concevoir cette pièce informe et sans vrai caractère, d’un abominable ennui… Ils sont dotés de deux sœurs également artistes chorégraphiques. Et l’on frémit à la seule idée que ces quatre-là auraient pu tout aussi bien accumuler leurs énergies pour faire encore plus assommant.


Contrastes. Ballet de l’Opéra de Paris. Palais Garnier. Jusqu’au 31 décembre.

Causeur: Il était une foi en France

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Monseigneur Rougé, évêque de Nanterre, dialogue avec Éric Zemmour. Découvrez le sommaire de notre numéro de décembre


Le nouveau numéro est diponible aujourd’hui sur le kiosque numérique et demain mercredi 3/12 chez les marchands de journaux.

Le premier a dédié sa vie à Dieu, le second à la France. Monseigneur Matthieu Rougé et Éric Zemmour n’étaient pas faits pour se rencontrer. Mais l’évêque de Nanterre, en pointe dans le combat contre les réformes bioéthiques, enseigne aussi la théologie politique au collège des Bernardins. Et dans son dernier essai, le président de Reconquête ! appelle ses compatriotes à un « sursaut judéo-chrétien ». Dès lors, ces deux-là avaient beaucoup de choses à se dire. Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques, qui ont recueilli les propos de ce dialogue, présentent notre dossier du mois, intitulé : « Sommes-nous judéo-chrétiens ? ». Le nouveau livre d’Éric Zemmour, La Messe n’est pas dite (Fayard) ne cherche pas à faire du catholicisme une religion d’État, mais prône un combat culturel pour rappeler que, en France, le christianisme « reste le socle d’une civilisation » qui « a laissé sa marque partout, dans les bâtiments, les paysages, les institutions, le Code civil ». Le président de Reconquête ! « souhaite juste qu’on apprenne aux enfants de France, quelle que soit leur origine réelle, d’où ils viennent et ce que signifient les tableaux qu’ils voient dans les musées, qu’on n’ait pas honte de célébrer Noël et Pâques ».

Pour la philosophe Chantal Delsol, l’héritage judéo-chrétien est une réalité dont il faut reconnaître les apports majeurs à l’humanité. Mais elle estime que les chrétiens, devenus minoritaires, ne sont plus les prescripteurs moraux de nos sociétés et qu’ils ne doivent pas chercher à le redevenir. Geoffroy Lejeune, dont les propos ont été recueillis par Élisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques, se qualifie lui-même de « catholique identitaire ». Le directeur de la rédaction du Journal du Dimanche plaide pour que les chrétiens français se recentrent sur le cœur du message évangélique et n’aient pas peur de proclamer leur foi. Sans remettre en cause la laïcité. Dans son Dictionnaire amoureux des juifs de France, Denis Olivennes retrace deux mille ans d’une histoire extraordinaire, ou comment les enfants d’Israël se sont retrouvés chez eux sous le ciel gaulois. Se confiant à Élisabeth Lévy, il salue la bienveillance de grands auteurs à l’égard des juifs et le rôle crucial des Lumières qui ont fait rimer émancipation et assimilation. De Renan à Charlie Kirk en passant par Orwell, les penseurs qui se sont référés à des valeurs « judéo-chrétiennes » sont légion dans l’histoire occidentale et singulièrement anglo-saxonne. Je montre que, contrairement à ce qu’affirme la doxa islamo-gauchiste, ce concept ancien n’a pas été forgé pour s’opposer aux musulmans. Pour Frédéric Magellan et Lucien Rabouille, le catholicisme a servi de caution à la monarchie avant d’être l’un des principaux vecteurs de sa contestation. Les Lumières ont hérité des passions, de la rhétorique, des structures mentales et du sens du tragique des dévots jansénistes. 1789 n’a pas aboli le sacré mais l’a remplacé.

Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy commente l’esclandre politico-médiatique déclenché par le discours que le chef d’état-major des armées a tenu devant le Congrès des Maires de France. Les paniquards qui ont réagi n’ont pas compris que le général Fabien Mandon ne parlait pas de tous les enfants des Français, mais « de militaires professionnels qui acceptent par contrat une mission pouvant les mener jusqu’au « sacrifice ultime » ». Plus grave encore, toute idée que la défense de la patrie puisse entraîner des sacrifices est désormais inadmissible car « les générations gâtées que nous sommes n’ont connu que la paix sur leur sol, si bien que nous pensons qu’elle est la norme et surtout qu’elle est un dû »

La libération de Boualem Sansal aurait dû être célébrée par toute la classe politique. Mais pour Amine El-Khatmi, elle laisse un goût amer : celui d’un pays qui ne sait plus défendre un écrivain persécuté par une dictature et qui, perdu dans ses renoncements, confond la prudence et la lâcheté. Le halal ne se cantonne plus aux étals des rayons alimentaires. L’enquête menée par Estelle Farjot et Léonie Trebor montre que le marché des vêtements et des produits cosmétiques conformes aux prescriptions de l’islam est en plein essor. Et tout le monde, des sites made in China aux maisons de haute couture européennes, veut sa part du gâteau. Giorgia Meloni est à la tête du gouvernement italien depuis trois ans. Selon les analyses de Gil Mihaely, ses succès ne reposent pas uniquement sur les lois votées ni les réformes engagées mais sur une stratégie européenne de longue haleine qui lui confère aujourd’hui prestige et sympathie sur la scène internationale. Stéphane Germain interroge la novlangue de notre époque. Des mots comme « vivre-ensemble », « faire société », « inclusion » ou « résilience », devenus courants dans le vocabulaire quotidien, constituent une barrière mentale qui interdit de penser le monde autrement qu’à la lumière du progressisme.

Parmi nos chroniqueurs, Olivier Dartigolles se demande pourquoi, face aux problèmes du narcobanditisme, l’État n’a pas fait pour la consommation de drogue ce qu’il fait pour la sécurité routière, l’alcool et le tabac. À défaut d’une grande politique de santé publique, on ne nous sert que de la com’. Ivan Rioufol salue la fin de l’hégémonie des progressistes et des globalistes dans le domaine de l’info. Plus les médias alternatifs sont hués par le pouvoir, plus ces indésirables s’imposent comme l’authentique quatrième pouvoir. L’internet déverrouille la démocratie. La gauche cloueuse de bec a perdu. Emmanuelle Ménard nous parle des préparatifs de Noël à Béziers, où les chalets, les illuminations et la fontaine musicale de Noël ont été inaugurés dans la bonne humeur. En attendant la crèche, bien sûr ! Jean-Jacques Netter commente le suicide économique de la France sous la gestion de Sébastien Lecornu et Yaël Braun-Pivet, tandis que Gilles-William Goldnadel réagit aux plaintes qui viennent d’être déposées par les groupes France Télévisions et Radio France auprès du tribunal des affaires économiques contre CNews, Europe 1 et le JDD pour « dénigrement ».

Côté culture, Bérénice Levet ouvre le bal en interrogeant Stéphane Guégan sur un des plus grands artistes du XXe siècle. Dans son dernier livre, Matisse sans frontières, l’historien et critique d’art rétablit quelques vérités sur un peintre dont l’œuvre a été instrumentalisée par l’histoire de l’art. Réduire ce génie français au « bonheur de vivre », au « décoratif » et le considérer comme un précurseur de l’art abstrait américain est une erreur. Félix Vallotton est mort il y a cent ans. Le peintre a fait carrière dans le Paris des années 1880-1900, alors capitale de la bourgeoise, des conflits sociaux, des attentats anarchistes et de l’essor de la presse. Pour Georgia Ray, la rétrospective que lui offre Lausanne, sa ville natale, révèle un artiste engagé, héritier des maîtres anciens et audacieux coloriste. Jonathan Siksou a visité « L’Empire du sommeil » au musée Marmottan Monet. Cette exposition, en réunissant des œuvres de l’Antiquité à nos jours, brosse le portrait psychologique de l’humanité occidentale : ses amours, ses textes saints, sa mythologie, ses désirs érotiques, ses ivresses et ses paradis artificiels. Le centre Pompidou ferme ses portes pour au moins cinq ans de travaux. Pierre Lamalattie nous explique que cet énième chantier s’annonce pharaonique tant le bâtiment de Renzo Piano vieillit mal. Derrière ses façades de verre et d’acier se cache une institution mal gérée, boudée par les visiteurs et dont le bilan culturel est discutable.

Parlez-vous le Goldnadel ? Compagnon de route de Causeur, le président d’Avocats sans frontières a du fond mais aussi de la forme. Dans son nouvel essai, Vol au-dessus d’un nid de cocus (Fayard) où il attaque la gauche dévoyée par le racialisme et l’islamisme, il multiplie les formules spirituelles et les fulgurances comiques. Jean-Baptiste Roques nous a préparé un petit florilège des plus fameuses. Julien San Frax a lu la sacrée sommequ’est la Nouvelle histoire de France. Sous la direction d’Éric Anceau, une centaine de contributeurs explorent tous les domaines, toutes les notions qui illustrent la singularité de notre histoire commune. Une brillante riposte à la vision « mondialisée » de Patrick Boucheron. Notre collaborateur et ami François Kasbi signe avec Mes chéries une déclaration d’amour aux femmes écrivains et à la littérature. Pour Alexandra Lemasson, c’est un ouvrage passionné et érudit qui donne forcément envie de lire. Philippe Lacoche a lu – et écouté – l’essai-anthologie et le CD consacrés aux relations étroites entre les musiques caribéennes et américaines par Bruno Blum, ex-journaliste, écrivain, musicien et producteur. C’est rythmé ! Enfin, Jean Chauvet passe en revue trois nouveaux films français. Sa conclusion ? N’en déplaise à ses détracteurs, le cinéma d’auteur français n’est pas à la dérive. Il est tout simplement éclectique et offre par conséquent le pire comme le meilleur. À la différence de Causeur, bien sûr, qui n’offre que le meilleur…

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Le goal s’est fait gauler

Lucas Chevalier, gardien du PSG et international français, a fait l’objet d’attaques sur les réseaux sociaux et dans la presse sportive après avoir mis un « j’aime » sous une publication de Julien Aubert annonçant son vote pour le RN contre le NFP. Retour sur le déroulé précis du drame.


C’est l’histoire d’un chevalier pas bayard mais trouillard, qui a peur de certains reproches, Lucas Chevalier, le goal du PSG, et nouveau membre de l’équipe de France. Se promenant sur le réseau social Instagram, il est tombé en arrêt sur une vidéo, une interview de Julien Aubert, vice-président des Républicains, qui disait tout le bien qu’il pensait du RN, estimant naturel de faire alliance avec Marine Le Pen et Bardella pour mette la gauche hors-jeu. Et notre Chevalier a « liké », comprenez qu’il a posté un petit cœur pour marquer son soutien. Immédiatement les djihadistes du Net lui sont tombés dessus, le traitant de « sale blanc », de « raciste de m… », de « fils de p », bref le lexique habituel des insoumis de la syntaxe.

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Que fit alors notre Chevalier ainsi désarçonné ? Le gardien n’est pas sorti les poings en avant pour boxer ses détracteurs, il s’est couché, déballonné. Il a expliqué qu’il avait liké par erreur, commis en quelque sorte une faute de main… inquiétant pour un gardien de but dont le métier est d’avoir la main ferme. Et, s’étant à l’évidence fait taper sur les doigts par les dirigeants du PSG, il s’est excusé, expliquant qu’il était une personne à qui « les parents avaient inculqué des valeurs lui interdisant de penser ces “choses-là” », c’est-à-dire que le RN était un parti respectable. Les millions de footeux qui votent à droite apprécieront la sortie du gardien…

Pourquoi notre Chevalier blanc est-il soudain devenu bleu de trouille ? Peut-être a-t-il eu peur que l’émir du Qatar, proprio du PSG, voie en lui un croisé qu’il faut rayer des cadres, ou encore d’être blackboulé en équipe de France, où le meneur de jeu, sur le terrain et dans les vestiaires, est un certain Kylian Mbappé, qui lors des législatives de 2024 avait donné ses consignes de vote – « Je suis contre les extrêmes, les idées qui divisent » –, invitant in fine les « jeunes » à voter contre le RN.

Une liste de juifs? Tout à fait Théry!

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Antisionisme. Le professeur d’histoire et journaliste sur la webtélé islamo-gauchiste Le Média Julien Théry se considère comme un simple progressiste radical et un défenseur de la cause palestinienne. Il n’en reste pas moins qu’il établit des listes rappelant des pratiques de l’époque de l’Occupation. « C’est profondément scandaleux (…) J’apporte mon soutien aux personnes qui ont été visées » a déclaré devant les sénateurs le ministre de l’Éducation nationale. Le professeur demeure en poste à l’université.


Il y a dans certains gestes une vieille odeur de nuit. Un exemple parmi d’autres: un enseignant-chercheur de Lyon 2 spécialiste du Moyen Âge (son nom importe peu) a cru bon de publier sur son compte Facebook une liste de vingt personnalités – Arthur, Charlotte Gainsbourg, Joann Sfar ou Philippe Torreton  – qualifiées de « génocidaires à boycotter » pour avoir demandé la libération des otages et le démantèlement du Hamas avant toute reconnaissance officielle par la France d’un État palestinien. Naturellement, les noms juifs y abondent. Qu’on en soit revenu à cela devrait suffire à glacer le sang.

La délation: un procédé moyenâgeux

On invoquera la liberté d’expression, ce paravent derrière lequel se dissimule si souvent le droit à la bêtise. Mais la liberté d’expression n’a jamais autorisé qu’on livre des individus à la vindicte ni qu’on transforme une réprobation politique en mise au pilori de personnes réelles, avec une cible collée dans le dos. Dresser une liste, aujourd’hui, équivaut à dénoncer, exclure, mettre des gens en danger. Il n’y a qu’un Mélenchon, toujours prompt à tweeter une provocation, pour feindre de ne pas le voir, ainsi que tous ceux qui confondent délibérément soutien à la Palestine et soutien au Hamas, parmi lesquels les inévitables Insoumis.  

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On croyait ces réflexes de délation relégués aux zones grises de notre histoire : proscriptions, affichages infamants, noms blacklistés. La Libération n’a manifestement pas vacciné ce pays contre ce type d’abjection. Contester une pétition est le droit de chacun. Mais qu’un historien fasse une liste de personnes à « boycotter » en les assignant à une identité supposée et en les accusant de crimes imaginaires, quitte à faire planer sur elles une menace physique, relève d’un autre registre. Combattre une idée n’exige pas qu’on joue avec la peur comme on joue avec des mots.

La Licra consternée

Le plus consternant est que cette infamie soit le fait d’un universitaire, profession censée instruire au discernement, apaiser les passions, élever la pensée et défendre la nuance. À la place, on a un tribunal de fortune, un procès fantasmé, et ce geste impardonnable : trier des noms. La trahison des clercs, derechef… Critiquer Netanyahou appartient au débat démocratique. Accuser collectivement les amis d’Israël d’un « génocide », c’est renouer avec une tradition européenne multiséculaire : l’accusation délirante, du meurtre rituel aux Protocoles des Sages de Sion. Sous le masque gratifiant de l’antisionisme, c’est la forme la plus chimiquement pure de l’antisémitisme moderne.

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La Licra, notamment, ne s’y est pas trompée, qui a soulevé le lièvre et déposé plainte. La liberté d’expression n’est pas faite pour protéger les émules islamo-gauchistes de Gringoire ou de Je suis partout qui pullulent aujourd’hui dans certains milieux universitaires et artistiques. Elle protège ceux que d’aucuns voudraient, drapés dans leur bonne conscience, livrer aux flammes.

Il serait peut-être temps de s’en souvenir. Avant qu’il ne soit, une fois de plus, trop tard.

Général, nous voilà !

Menace russe. Après le discours du Chef d’état-major des armées Mandon devant les maires de France, on a vu un pays qui préférait s’indigner que se préparer


Le mot « enfant » empêche de penser. Mais en l’accolant au mot « guerre », le chef d’état-major des armées a déclenché une belle chorale de paniquards, pleurnichards et capitulards[1]. Au cœur d’un discours charpenté sur la menace russe et la nécessité de « dissuader Vladimir Poutine d’aller plus loin » (plus loin que l’Ukraine), donc de nous réarmer, le général Fabien Mandon a évoqué les jeunes gens appelés à se battre pour la France : « Ils tiendront dans leur mission s’ils sentent que le pays tient avec eux. Si notre pays flanche, parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, de souffrir économiquement, alors on est en risque. » Le braillomètre a chauffé à hauteur de la transgression. « On ne veut pas mourir pour Kiev ! », « Nos enfants ne sont pas de la chair à canon ! », « Du fric pour les retraites, pas pour les mitraillettes ! » (celle-là, je l’invente).

Si ça se trouve, je n’ai pas de cœur parce que je n’ai pas d’enfant. Je jure que je veux du bien à ceux des autres – faut quand même qu’ils la payent, ma fichue retraite. En tout cas, cette infirmité sentimentale m’a permis d’entendre les véritables propos du général Mandon. Calmez-vous, il ne parle pas de vos gosses ni de ceux de Madame Michu, mais de militaires professionnels qui acceptent par contrat une mission pouvant les mener jusqu’au « sacrifice ultime » et pourraient donc, selon Mandon, être amenés à intervenir aux frontières de l’OTAN (à laquelle sauf erreur nous appartenons toujours et qu’il est question d’européaniser). Notez que les 57 morts pour la France en OPEX au Mali et ailleurs n’étaient pas les enfants de personne. Aucun de leur père n’a déclaré face caméra que son fils n’aurait jamais dû mourir dans une guerre lointaine – et perdue depuis.

Juste avant de lâcher le fatal « enfant », le CEMA s’était demandé si nous avions « la force d’âme de nous faire mal pour protéger ce que l’on est ». Il a eu sa réponse. Évidemment qu’on est prêts, si on admet que ce qu’on est se définit par ce qu’on a. Pour défendre le modèle social que le monde nous envie et dont on répète qu’il est notre ADN, alors oui, on est prêts à souffrir, et surtout à faire souffrir le voisin, le commerçant du coin ou le policier en service. Au pays de l’État-Roi, chacun est encouragé à se demander obsessionnellement ce que son pays doit faire pour lui. L’État, c’est moi, sauf pour payer : là, c’est les autres.

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Qu’on ne veuille pas mourir pour Kiev parce que nos intérêts nationaux n’y sont pas engagés, c’est légitime même s’il n’y a pas de quoi être particulièrement fier. Ça tombe bien, le général Mandon n’en demande pas tant. Il n’a fait que développer le vieil adage : si tu veux la paix prépare la guerre. Pas de quoi détaler en criant maman ! La France a perdu plusieurs guerres, pas parce que ses soldats manquaient de bravoure, mais parce qu’elle n’était pas prête. Ça fait réfléchir. Ça devrait.

On peut évidemment, comme d’excellents esprits de ma connaissance, tels que Pierre Lellouche ou Vincent Hervouët, s’émouvoir qu’un militaire soit autorisé à présenter une stratégie politique. On peut contester son appréciation de la menace russe, trouver qu’on n’y répondra pas en affolant les populations et en montrant des muscles qu’on n’a pas (et qu’on n’est pas prêt d’avoir si on hurle à la mort à chaque fois qu’on propose de couper une dépense sociale). On peut estimer qu’on a encouragé l’Ukraine à mener une guerre qui lui a coûté des dizaines de milliers de vies humaines et, à nous, des dizaines de milliards, pour qu’elle finisse par la perdre (encore que Poutine n’a pas réussi à installer à Kiev un pouvoir à sa botte). Peut-être que s’ils avaient connu l’issue, les Ukrainiens auraient tout de même choisi de mener une guerre perdue plutôt que de léguer à leurs enfants l’histoire d’un peuple qui s’est rendu sans combattre. Allez savoir.

Il est possible que le général Mandon se trompe sur Poutine. Et peut-être que ce sont ses contradicteurs qui se fourrent le doigt dans l’œil. Alors que l’Oncle Sam finira par nous laisser nous débrouiller, on s’attendait à ce que tous les patriotes s’accordent sur la nécessité de faire des sacrifices pour notre défense. Au risque de me répéter, on ne déclenche pas les guerres en s’armant, mais en se désarmant. Surtout quand toutes les puissances se remilitarisent. D’innombrables experts et souverainistes professionnels ont pourtant expliqué à la chaîne que le général Mandon disait n’importe quoi, ou pire encore, comme l’impayable et inoxydable Ségolène Royal, qu’il était en service commandé pour permettre au président de déclencher une guerre contre la Russie et rester à l’Élysée. Ils auraient pu jurer qu’ils étaient prêts à se sacrifier pour la France quand elle serait menacée par des ennemis plus crédibles à leurs yeux que Poutine. Derrière ce festival de protestations dont il ressort que nos intérêts nationaux s’arrêtent aux frontières de l’Hexagone et aux sacro-saintes « préoccupations quotidiennes des Français », on entend que rien ne vaut qu’on sacrifie sa vie et son pouvoir d’achat. On ne sait si le spectacle de patriotes invoquant les mânes du gaullisme pour justifier leur renoncement à la force est comique ou désespérant. Les générations gâtées que nous sommes n’ont connu que la paix sur leur sol, si bien que nous pensons qu’elle est la norme et surtout qu’elle est un dû. « La guerre est toujours la plus mauvaise des solutions », affirmait Chirac. Traduction en bon français : même la soumission est préférable.

Il est possible que j’exagère parce que je rentre d’Israël, où la majorité des citoyens, en dépit de leurs différences radicales, acceptent que leurs enfants meurent pour le pays. N’empêche, quand on n’a aucune raison de mourir, c’est peut-être qu’on n’a pas beaucoup de raisons de vivre.


[1] Ne vous énervez pas, je ne mets pas dans ce vilain sac tous ceux qui ont critiqué le discours.

Label affaire

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DR.

En soutenant une initiative visant à distinguer les médias qui respecteraient les règles du journalisme des autres, le président Macron s’attire les foudres de la presse conservatrice. Labelliser les informations ou les opinions est toujours une mauvaise idée.


Fidèle à lui-même, le président Macron vient donc de nous concocter une toute nouvelle usine à gaz. Toxique le gaz, en l’occurrence en raison du fort remugle de censure qui accompagne la géniale trouvaille.

La formidable idée qu’il vient de nous sortir de son chapeau de clown consisterait ni plus ni moins à attribuer un label de qualité aux organes d’information, à leurs équipes éditoriales et à leurs productions. Un peu comme pour le calendos des verts pâturages et le plat-de-côtes made in Limousin.

Médiatiquement correct

Subtil, le fin penseur tient cependant à rassurer les foules : ce n’est pas l’État qui estampillerait mais « les professionnels de la profession » eux-mêmes. Donc une sorte de comité de la bien-pensance, du médiatiquement correct. Recrutés sur la base de quels critères, ces beaux esprits, et œuvrant en fonction de quelle grille de lectures ? Voilà ce qu’on ne sait pas encore.

Ce que nous savons pertinemment en revanche, c’est l’aveu de faiblesse, l’aveu de détresse qui se cache derrière ce genre de diablerie, dernier refuge, dernière marotte des pouvoirs en perdition. Ces pouvoirs en faillite n’ont en effet plus guère qu’un seul ennemi à redouter : la vérité. La vérité de ce qu’ils sont, de ce qu’ils font, de leurs échecs, de leurs médiocrités, de leurs compromissions. Alors, on flingue. On flingue la vérité et ceux qui osent prétendre la porter.

Un mot sorti de la bouche du président sonne comme un aveu en la matière. Aveu terrifiant. Il qualifie les médias et les confrères qui le défrisent de « dissidents ». Le mot même qu’employaient les dirigeants communistes de l’URSS et leur valetaille du PCF pour désigner les Soljenitsyne, les Kasparov, les Amalrik, les Lioudmila Alexeïeva et tant d’autres…Oui, quel aveu ! Quel pitoyable aveu !

La patrouille bien-pensante à la rescousse

Volant au secours de cette nouvelle avancée présidentielle, d’aucuns se réfèrent à un label déjà existant, la certification ICJ, en française Initiative pour la confiance dans le journalisme, dont l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF) serait à l’origine. L’idée remonterait à 2018. Ce sont des cabinets d’audit tels que Veritas ou Deloitte qui feraient office d’arbitre, et non l’État, tient-on à préciser. En France, 17 médias sont à ce jour certifiés, cela va, nous révèle Patrick Cohen dans une récente chronique de France Inter, de TF1 au Réveil du Vivarais. On s’en doute, sa propre antenne est du lot.

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La démarche en soi ne manque certes pas d’intérêt, sauf que la question de fond reste entière : selon quels critères précis l’accréditation est accordée ou non, et par qui sont désignés ceux qui les édictent, jugent de leur application, qui est garant de l’indépendance des arbitres ? Questions qui évidemment se posent avec une certaine acuité puisqu’on nous apprend que, à ce jour des médias de cent vingt-sept pays de par le monde ambitionneraient d’obtenir ce label, cent vingt-sept pays dont on ignore bien évidemment si la conception et la législation d’État en matière de liberté de la presse, liberté d’expression, liberté tout court, sont équivalentes aux nôtres. Une ironie facile serait de laisser entendre que le fait que les ondes de M. Cohen brillent particulièrement dans ce classement ne serait pas forcément de nature à rassurer sur la fiabilité « déontologique » de l’entreprise. Passons. 

J’évoquais l’écœurant remugle de censure que le président se plaît à agiter avec ce projet qui ne serait donc pas le sien, mais celui de cette fameuse ONG, RSF, dont, cela soit dit en passant, souligner l’engagement idéologique ne saurait lui faire injure.

Cependant, que le président soit remercié pour une chose au moins, car, car tenant ces propos, il nous permet de nous replonger dans ce que la tradition intellectuelle française a pensé et dit par le passé de cette saloperie politique et mentale qu’est la censure.

Voici deux citations, juste pour la route.

Celle-ci, de mon référent de prédilection, Beaumarchais, dans Le Mariage de Figaro : « Pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. »

Et cette autre, de Gustave Flaubert, tirée de sa correspondance avec Louise Colet : « La censure quelle qu’elle soit me paraît une monstruosité, une chose pire que l’homicide. L’attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme. La mort de Socrate pèse encore sur le genre humain. »

Une confidence pour finir. J’aurais beaucoup aimé livrer sur ce sujet une réflexion de Mme Aya Nakamura, si bien en Cour ces temps-ci (Un long sujet lui était notamment consacré au 20 h de France 2 ce dernier dimanche), mais n’en ayant trouvé aucune, j’ai dû renoncer. J’en suis fort chagrin. Je tiens à préciser les choses afin qu’on n’aille pas m’accuser d’avoir éventuellement, si peu que ce soit, censuré cette grande dame.


Elisabeth Lévy, ce matin au micro de Sud radio : « C’est inutile et dangereux ! »

BBC: service de déni public

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Londres, 6 mars 2025 : manifestation devant la BBC contre le documentaire « Gaza: How to Survive a Warzone », accusé de liens avec le Hamas © SOPA Images/SIPA

L’institution audiovisuelle britannique traverse une crise qui écorne sa réputation. Diffusion de fake news concernant Trump, BBC Arabic relayant la propagande du Hamas, programmes jeunesse promouvant l’idéologie transgenre. Sans surprise, pour la BBC, le problème n’est pas sa partialité éditoriale mais ceux qui osent la dénoncer


« Sorry, not sorry » est une expression anglaise pour désigner des excuses qui sonnent faux. Elle est parfaitement adaptée à celles que la BBC a présentées à Donald Trump, après la révélation, le 3 novembre, par le Daily Telegraph, du contenu d’une note interne du radiodiffuseur de service public. Cette note tirait la sonnette d’alarme concernant certaines des pratiques éditoriales de la Bib, notamment le montage fait par son émission-phare dans le domaine des reportages politiques, « Panorama », du discours prononcé par Trump devant ses partisans le 6 janvier 2021. Juxtaposant des parties très différentes de ce discours, le documentaire intitulé « Donald Trump : une deuxième chance » et diffusé à la veille de l’élection de 2024, donnait l’impression que le président avait fait un appel direct à la violence avant l’assaut du Capitole. Informé de cette manipulation grâce au quotidien britannique, Trump a prétendu y voir une tentative pour influencer le processus démocratique. Il a réclamé des excuses à la BBC et indiqué que, face à cette « diffamation », ses avocats exigeraient des dommages et intérêts s’élevant à un milliard de dollars, chiffre qui est monté depuis à cinq milliards ! Aux États-Unis, Trump a déjà obtenu des sommes considérables par des règlements extrajudiciaires avec les chaînes ABC et CBS, ainsi qu’avec Meta (propriétaire de Facebook et Instagram).

Dans sa réponse, la BBC a dit « regretter » la manière dont « la séquence a été montée ». Le verbe est ambigu (on s’excuse de son acte ou on se désole de l’avoir commis ?), et la voix passive permet de ne pas identifier les responsables. Selon la BBC, l’émission n’était pas diffamatoire, puisqu’elle n’avait pas été diffusée aux États-Unis et n’est plus disponible en ligne. Enfin, ce documentaire n’aurait pas eu d’effet, car Trump a gagné l’élection. Une autre déclaration parle d’une « fausse impression » qui aurait été donnée « accidentellement ». Mais ces manifestations de contrition passent à côté du vrai problème de la BBC : la partialité idéologique de nombre de ses salariés.

En flagrant déni

Prise ainsi en flagrant délit de fake news, la hiérarchie de la BBC est l’auteur de ses propres maux. Depuis longtemps, elle préfère minimiser les avertissements qui lui sont adressés par ses propres systèmes de contrôle. Celui qui est à l’origine de la fameuse note fuitée au Daily Telegraph, Michael Prescott, ancien chef de la rédaction politique au Sunday Times, était un consultant indépendant embauché par la BBC pour renforcer sa commission chargée de surveiller la qualité de l’information. Il a rédigé sa note avant de démissionner en juin, désespéré par l’inaction du conseil d’administration qu’il accuse d’être toujours sur la défensive quand un problème éditorial est soulevé. L’affirmation selon laquelle le montage du discours de Trump était « accidentel » est manifestement fausse : si ce montage date de 2024, un autre très similaire et aussi mensonger avait été fait en 2022 par l’émission d’actualités la plus prestigieuse de la BBC, « Newsnight ». Ainsi, la direction travestit en bévues des choix résultant de ce qu’on peut appeler – en empruntant le jargon wokiste qu’affectionne la BBC – des « biais systémiques ».

Ce refus d’admettre que son personnel puisse être coupable de déformer l’information sous l’influence de ses préjugés politiques est le talon d’Achille de la BBC. Créée en 1922, elle a construit pendant des décennies une réputation d’impartialité relative et de fiabilité. Désormais, ce capital patiemment acquis a été presque entièrement gaspillé. Sa réaction à ce qu’on pourrait surnommer le « Trumpgate » révèle son talent pour le déni. Ses journalistes ont laissé entendre que l’esclandre autour du faux montage serait le résultat d’un complot ourdi par la droite. Une opération de subversion viserait à saper la légitimité d’une BBC vouée au combat contre ces fakes news par lesquelles les réactionnaires populistes manipulent les électeurs. Cette interprétation a été relayée par beaucoup de politiques de gauche, bien que le Premier ministre, sir Keir Starmer, ait préféré rappeler la BBC à l’ordre. Lui, qui s’est démené pour garder des relations cordiales avec Trump, est gêné par l’attaque mensongère d’un média de service public contre un allié surpuissant. Les tenants de la lecture complotiste font valoir que l’un des membres du conseil d’administration est sir Robbie Gibb, un proche du Parti conservateur. S’il a joué un rôle dans la révélation de l’affaire, c’est peut-être parce qu’il pense, non sans raison, que la BBC traverse une crise existentielle. Seulement, pour la BBC, le problème n’est pas sa partialité éditoriale, mais ceux qui osent en parler. Ça ne vous rappelle rien ?

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Cette tendance au déni fait partie intégrante de la culture de l’institution. Elle explique son incapacité à agir dans des affaires comme celle de Jimmy Savile, animateur célèbre qui a abusé d’un millier enfants au cours de sa carrière ; celle de Huw Edwards, présentateur-vedette impliqué dans un commerce de pédopornographie ; ou celle de Martin Bashir qui, en 1995, a manipulé une princesse Diana psychologiquement fragile pour qu’elle lui accorde une interview-choc. Si toutes ces défaillances passées concernaient l’arrière-boutique, celles d’aujourd’hui sont visibles dans le traitement de l’information. Le cas le plus extrême est celui de BBC Arabic qui, avec une audience de 40 millions, diffuse des actualités en arabe – et dans une version très différente de celle qui a cours dans les autres services. Après le 7-Octobre, BBC Arabic a été accusée de promouvoir une propagande pro-Hamas et de faire intervenir des journalistes comme Samer Elzaenen qui aurait déclaré que les juifs « doivent être mis à mort par balles et brûlés comme Hitler l’a fait ». La direction a fini par annoncer une réorganisation complète de ce service. En février cette année, nouveau scandale quand le public a appris que le narrateur d’un documentaire « Gaza : survivre dans une zone de guerre », un garçon de 13 ans qui se présentait comme un assistant médical improvisé, n’était autre que le fils du sous-ministre de l’Agriculture du Hamas. En juin, la retransmission en différé d’un concert au Festival de Glastonbury s’est transformée en un appel à la mort des soldats israéliens. La diffusion en flux n’a pas été interrompue. Pour compléter le tableau islamo-gauchiste, la BBC a été accusée de promouvoir l’idéologie transgenre dans ses émissions pour enfants et de ne pas parler d’actualités qui pourraient montrer les non-binaires sous une lumière défavorable. Ses émissions satiriques seraient très marquées à gauche, tandis que dans ses fictions les méchants et les gentils seraient faciles à distinguer, les premiers étant des Blancs et les autres des personnes de couleur.

Modèle économique et modèle de vertu

Tous ces éléments ont fini par exaspérer une grande partie du public. Selon un argument qui fait son chemin, les citoyens seraient privés de la possibilité de manifester leur désaccord par le fait que la BBC est financée par la redevance. Cette dernière coûte 200 euros, plus que l’abonnement à Netflix et à Disney +. C’est ainsi qu’est né le mouvement Defund BBC – arrêtez de payer ! Dans le passé, il était difficile d’échapper aux inspecteurs qui venaient frapper à la porte des particuliers n’ayant pas payé leur redevance. Aujourd’hui, le nombre de ceux qui refusent de leur ouvrir est si grand que les inspections ne peuvent pas y faire face. C’est ainsi qu’au cours des douze derniers mois, la BBC a perdu presque 1,2 milliard d’euros sous forme de redevances impayées. Son modèle économique est en crise et sa prétention à incarner la vertu est plus un obstacle qu’un atout.

Sous la pression du « Trumpgate », le directeur général et la directrice de l’information ont démissionné, mais cela ne sauvera pas l’institution. Cette dernière est un béhémoth où les dirigeants ont peu d’influence sur la culture qui domine dans ses innombrables services. L’employé typique de la BBC est un jeune bourgeois diplômé qui a gobé toute l’idéologie wokiste et se croit appelé à apporter la bonne nouvelle au reste de la société. Sauf qu’une grande partie de la société n’est pas disposée à l’écouter. Autrefois, le public se divisait politiquement entre la droite et la gauche. La BBC faisait de son mieux pour naviguer entre les deux. Aujourd’hui, le clivage est beaucoup plus générationnel et territorial – Londres contre les régions. Le personnel de la BBC n’est plus en phase avec un grand nombre de Britanniques. Des voix s’élèvent pour mettre fin à la redevance et livrer la BBC à la concurrence du marché libre, mais un dilemme se présente qui s’applique aux services publics dans la plupart des pays occidentaux : comment résister aux fake news qui circulent librement sur les réseaux sociaux, ainsi qu’à la vision du monde promue – souvent en anglais – par des médias d’État de régimes autoritaires comme la Chine ou la Russie ? La secrétaire à la Culture a déclaré à la Chambre des communes que « la BBC est une institution nationale qui nous appartient à nous tous ». À l’heure actuelle, on dirait plutôt qu’elle fait honte à la nation.

Grandeur et décadence de nos musées

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Tableau de Sir Thomas Picton, 2021, Musée de Cardiff

Plus redoutables que les voleurs du Louvre, ce sont l’appauvrissement intellectuel, la politisation de l’art et le relativisme esthétique qui menacent nos musées.


Diamants, rubis, émeraudes, saphirs… En sept minutes à peine, un fric-frac au Louvre suffit pour remplir de larmes les réservoirs d’une fierté culturelle au bord de la sécheresse. Les bijoux de Marie-Louise et d’Eugénie, chants de cygne d’une noblesse éteinte, fourrés dans des sacs et embarqués sur des scooters pétaradants… L’émoi suscité par ce cambriolage pourrait presque nous faire pardonner certains qui pensaient Eugénie reine alors qu’elle fut impératrice, ainsi que d’autres s’exhibant sur les réseaux sociaux, mêlant aux sanglots des menaces jetées aux voleurs. Après tout, ce qu’on arracha à la France, c’est un de ses fruits sacrés.

Mais quel fruit sacré, exactement ? À vrai dire, ce qui furent, jusqu’au 19 octobre, immortelles ambroisies, se firent ensuite Pommes de la discorde. Car outre le chagrin de ces dernières semaines, entièrement louable, la perte des bijoux a révélé un drame plus profond : une indifférence croissante envers les musées eux-mêmes, mourant à petit feu d’année en année.  

Honte de soi et cartels pour bêtas

Depuis trop longtemps, les musées se rendent indignes des œuvres qu’ils affirment préserver. Des plus célèbres palais du monde jusqu’aux galeries de province, l’art, ainsi que tout ce qu’il renferme en son sein – beauté, héritage, transcendance, exigence – sont la cible de mille flèches, dont les plus graves : médiocrité, honte de soi, relativisme, bas-fonds politiques, et laideur morale ; bien entendu, sous des airs d’innovation et d’ouverture.

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D’abord, la médiocrité, jumelle de la tiédeur. À titre d’exemple, moins insignifiant qu’il n’en a l’air, le Louvre et le Carnavalet décidèrent, en 2021, d’abandonner les chiffres romains dans l’écriture des siècles et des titres de rois, au nom d’une prétendue meilleure compréhension du public. L’on pouvait donc lire sur leurs cartels, notamment, « Louis 14 » … Avant que l’on ne crie au faux scandale pour privilégiés délicats, considérez l’aspect symbolique. Voyez-vous, une civilisation ne se résume pas qu’à ses institutions, ses monuments, ses fulgurances. Sa poésie se trouve aussi dans ses plus infimes particularités, banales pour certains, mais qui, pour d’autres, scintillent comme des pierres d’une mosaïque, celles qui, loin du point focal, participent néanmoins à son harmonie et son détail. Ce « je ne sais quoi » dont parlait Jankélévitch : inutile, peut-être, dans l’ordre pratique, mais crucial pour ces veines invisibles où coule l’essence des choses.

Par ailleurs, si les musées s’inquiétaient que les visiteurs étrangers ou locaux ne comprennent rien aux chiffres romains, eh bien, un simple paragraphe explicatif affiché à l’entrée ferait l’affaire. N’est-il pas insultant, quelque part, de considérer un système numérique comme trop compliqué pour le visiteur moyen ? Si des musées de renommée mondiale, comme le Louvre, n’exigent plus le moindre effort de réflexion avant même de présenter leurs œuvres – elles, de plus en plus victimes d’un « retour à la caverne » platonicien, du fait qu’elles soient vues à travers un écran de téléphone et non des yeux – qu’est-ce qui inciterait le visiteur à se surpasser, à se faire violence pour s’élever ? À force de craindre de perdre l’attention du visiteur, les musées ont cessé d’exiger son respect.

Laideur sournoise

En parlant de respect, il serait aujourd’hui bien difficile de visiter le moindre musée sans être confronté au phénomène de « repentance muséale », sorte de mea culpa existentiel dès qu’il est question d’un fragment d’histoire occidentale. Mais qu’on ne confonde pas tout : il ne s’agit pas ici de combattre la nuance, et l’adoption d’une approche holistique de figures historiques aussi complexes qu’ils furent hommes. Ce qui pourrit la transmission historique de l’art, c’est plutôt l’absence de nuance et l’aveuglement idéologique.

En 2021 aussi, le Musée national du Pays de Galles a choisi de retirer le portrait de Sir Thomas Picton – un héros national en Grande-Bretagne, et le soldat le plus haut gradé à avoir été tué pendant la bataille de Waterloo – pour le confiner aux poussières de grenier, citant son implication dans l’esclavagisme. Encore une fois, il n’est pas question de défendre ses actes, mais bien de se demander : pourquoi ne pas illustrer son importance historique sans pour autant occulter sa part d’ombre ? Expliquer, plutôt que cacher ?

Plus tard, le portrait fut réexposé, mais, sous pression de groupes divers, dans une espèce de boîte en bois industriel, avec une vitrine conçue spécialement pour obscurcir le portrait, évoquant davantage raclure de tiroir que héros national. Le tout, accompagné d’un long texte qui ne visait pas à nuancer, mais à abattre le personnage. Ainsi, au lieu de discuter de véritables questions éthiques, de façon mature, l’on choisit l’autoflagellation et la caricature. Celui qui jadis inspirait l’admiration de son peuple fut victime d’un grotesque rituel, aussi humiliant pour lui que pour le visiteur : « Osez le regarder, le bougre ! Pas évident, n’est-ce pas ? » ricanait-on entre les lignes… D’autres exemples de ce genre pullulent. Mais, comme dirait l’autre, « il n’y a qu’à traverser la rue ».

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Et le comble de ce festin de plaies, c’est la laideur – mais pas n’importe laquelle. Celle-ci, voyez-vous, est plus habile, plus sournoise. Il faut croire qu’elle s’est perdue dans un bal vénitien et s’est masquée derrière des fioritures pour se faire aimer des invités, afin de tromper le beau, maintenant vieux et las, de danser avec lui jusqu’à ne plus lâcher son bras, jusqu’à ce que tous crurent en une union, pour ne pas dire un parasitisme, au point où jamais le beau ne parle sans que la laideur ne le coupe, parle plus fort, déforme ses propos, lui mène une guerre d’usure pour bien faire comprendre qu’il appartient à un monde disparu, tandis qu’elle continue d’enchanter les invités, de rire, rire aux éclats, le masque aidant à cacher ses dents pourries…

Oui, un masque scintillant, provocateur, qu’il est devenu chic d’aimer. C’est pourquoi l’on voit toujours apparaître au musée, autour d’installations aussi hideuses que préméditées, « Recontextualiser », « Repenser », « Réinterroger », « Relativiser » … un fatras de mots en « re », dont le plus juste serait « Régresser ».

Aucune œuvre n’est à l’abri, qu’elle soit au musée ou dans la rue. À défaut de les profaner elles-mêmes, il est maintenant coutume de les travestir d’installations censées choquer, désacraliser, et enlaidir. L’on pense bien sûr aux exemples les plus célèbres, comme les Balloon Dogs de Jeff Koons plantés au château de Versailles en 2008, ou à « l’arbre » euphémistique de Paul McCarthy qui souilla la place Vendôme en 2014 dans le cadre de la Foire internationale d’art contemporain – dont l’acronyme n’est sûrement qu’un heureux hasard. Mais cet arbre, comme ces ballons, cachent une forêt à éradiquer par le feu : la multiplication de ces attentats contre la beauté dans les musées petits et grands, de Paris à Montréal, de Los Angeles à Berlin. Des peintures symbolistes occultées par des sculptures vides de sens. Des monuments grandioses recouverts de piaillements ingrats. C’est trahir les artistes qui nous ont laissé des œuvres dignes des siècles, trahir une élégance devenue cacophonie, et symptôme d’une culture qui s’intéresse davantage à réécrire le passé qu’à dessiner l’avenir.

Voici l’état où se trouve l’art à présent, tandis que la foule se tient muette derrière le peloton d’exécution. Mais devant ce saint Sébastien à la chair percée de mille flèches, il est de notre devoir collectif d’agir comme sainte Irène, de le prendre dans nos bras, de soigner ses blessures, de le regarder, l’écouter vraiment, et de le défendre coûte que coûte contre ses faux protecteurs, afin qu’il retrouve sa splendeur réelle, digne de ceux qui nous l’ont transmise.

Kaouther Ben Hania: un dispositif émotionnel ambigu

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© Jour de fête

La Voix de Hind Rajab, actuellement en salles, soulève quand on le visionne une problématique d’ordre moral telle qu’il en résulte un très mauvais film. À éviter.


La Voix de Hind Rajab est, pour certains, un témoignage bouleversant ; pour d’autres, une preuve irréfutable d’un prétendu génocide perpétré par l’armée israélienne ; pour d’autres encore — dont je fais partie — un film qui soulève des questions d’ordre… cinématographique. La Voix de Hind Rajab est en effet une fiction inspirée de faits réels. La cinéaste Kaouther Ben Hania a choisi de réaliser un documentaire-fiction construit sous la forme d’un huis clos étouffant au sein d’un centre d’appel du Croissant-Rouge. Les comédiens qui interprètent les secouristes jouent, en pseudo temps réel, leurs réactions à l’écoute de l’appel authentique de la petite Palestinienne Hind Rajab, coincée dans une voiture et entourée des corps sans vie de membres de sa famille — un crime de guerre ?

Un dispositif discutable

Le film, servi par une mise en scène très cadrée ne montre fort heureusement aucun plan de violence explicite liée à la guerre en cours menée par Israël contre les terroristes du Hamas. Kaouther Ben Hania fonde sa mise en scène sur l’utilisation de la parole véridique de Hind Rajab mélangée aux réponses de ses comédiens. Elle filme la parole, les silences, les bruits de guerre, ainsi que l’impuissance des secours, la tension qui s’installe entre eux et instaure un suspense surdramatisé malaisant et malhonnête sur l’issue de la situation. Tous les spectateurs allant voir ce film connaissent l’histoire vraie et tragique de Hind Rajab. Cette manière de filmer le réel entre retenue apparente et dramatisation jouée pose question. L’horreur n’est pas montrée mais est donnée à entendre — et surtout à ressentir par une médiation théâtralisée.

Kaouther Ben Hania transforme le réel en matière première d’un thriller psychologique dont la force émotionnelle devient paradoxalement une faiblesse. Le matériau utilisé, le réel : l’enregistrement de la voix d’une enfant confrontée à l’horreur de la guerre possède une intensité qui impose compassion et stupeur. Sa charge affective est insoutenable. Dès lors, comme pour la représentation de la Shoah au cinéma la question fondamentale arrive : un film peut-il, et doit-il utiliser cette voix, la mettre au centre d’un documentaire qui devient par sa mise en scène habile une fiction ? Comment l’utiliser sans la dénaturer ?

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Absence de distance critique et primat de l’émotion

Le dispositif retenu repose sur la diffusion de la parole d’une enfant en plein désarroi. Pas de contextualisation, pas de distance ni de travail critique réflexif sur la manière de montrer. Le film démontre et la cinéaste choisit de mettre cette voix brute comme pivot central émotionnel autour duquel elle ordonne le jeu de ses comédiens, les plans sur les visages des opérateurs et secouristes, les lumières crues du centre d’appel, la musique et le montage… Le spectateur doit ressentir viscéralement ce drame. Tout l’enjeu du film est de transformer la douleur authentique en levier dramaturgique, destiné à provoquer une émotion maximale. L’utilisation de cette voix comme moteur narratif semble alors devenir une véritable exploitation émotionnelle, un instrument affectif qui en confisque la dignité.

Une question éthique majeure

Peu importe la légitimité du sujet ; ce qui interroge, ici, c’est la manière dont il est mis en scène. La sidération l’emporte sur la réflexion, l’intensité affective écrase la complexité de la situation. La cinéaste est trop consciente du pouvoir qu’exerce son matériau.

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Sur le plan éthique, la question est cruciale : peut-on mobiliser la voix d’une enfant terrorisée sans la surdéterminer, sans la transformer en instrument moral au service d’une cause ? La cinéaste ne semble pas se poser ces questions. Elle s’appuie sur cette douleur brute, faisant usage d’un témoignage fragile qui aurait exigé une mise en forme d’une rigueur extrême, afin d’éviter toutes scènes spectaculaires ou excessivement dramatisées.

Un rappel théorique : Rivette et la question de l’abjection

À cet égard, la réflexion de Jacques Rivette dans son excellent texte De l’abjection(1) demeure éclairante. Critiquant le fameux “travelling de Kapò”, Rivette écrivait : « Voyez cependant, dans Kapo, le plan où Riva se suicide, en se jetant sur les barbelés électrifiés ; l’homme qui décide à ce moment de faire un travelling-avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris. ». Si la situation diffère — Kaouther Ben Hania évite toute esthétisation visuelle — l’enjeu moral est similaire : comment filmer, comment représenter, comment mettre en scène une détresse réelle sans la transformer, fût-ce involontairement, en spectacle ? Rivette rappelait que la mise en scène impose toujours un regard, et que ce regard peut devenir indécent dès lors qu’il manipule la douleur au lieu de la penser. Le film de Ben Hania ne commet pas une « faute de cadre », comme dans Kapò, mais il opère une mise en émotion qui, elle aussi, soulève une question de légitimité.

Le film de Kaouther Ben Hania me semble donc une œuvre contestable non pour son sujet — tragique, dur et réel — mais par la manière dont elle en dispose. En misant presque exclusivement sur le choc affectif, la cinéaste transforme cette voix enfantine en instrument narratif, substituant l’émotion, le pathos à la compréhension.

Le cinéma peut et doit pouvoir montrer la douleur. Mais pour cela, il doit impérativement résister à la tentation du spectaculaire.


1h29

(1)  De l’abjection de Jacques Rivette, consacré au film Kapo de Gillo Pontecorvo – Cahiers du cinéma, numéro 120 – juin 1961

Réseaux sociaux et crépuscule de la presse officielle

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Le journaliste et polémiste Ivan Rioufol © Hannah Assouline

Labelliser les médias ? Le combat du fameux « cercle de la raison » contre les nouvelles libertés numériques est perdu d’avance, observe Ivan Rioufol. Les médias traditionnels et connivents avec les pouvoirs sont dépassés par les informations que fournissent les réseaux sociaux en prise avec le réel. Ceux-ci, en dépit de défauts qui restent à corriger (anonymat, appels illégaux, fake news) forcent les journalistes à ouvrir les yeux sur des faits naguère occultés.


La révolution numérique est une aubaine pour la démocratie en rade. Cette technologie, utilisée par 94% des ménages, rend vaines les tentatives désespérées d’Emmanuel Macronpour contrôler l’opinion populaire. Une mer qui monte ne s’arrête pas avec des interdits. L’obsession du chef de l’État visant à mettre sous surveillance les réseaux sociaux lui fait commettre des embardées liberticides. Elles dévoilent sa pente manichéenne et sectaire : un anachronisme alors que partout la parole se libère.

Dès son premier mandat, j’avais alerté sur ses initiatives qui, au prétexte de traquer des « fake news » et des « propos haineux », impliquaient le pouvoir politique dans la police de la pensée. Ses derniers projets pour installer une labellisation de l’information par des professionnels et pour prévoir des actions en référé contre des « désinformations », relèvent de cette incapacité du chef de l’Etat, en guerre contre le « populisme », à admettre les critiques non homologuées par l’incestueux système politico-médiatique. Lundi soir, l’Elysée a été jusqu’à publier une vidéo dénonçant des commentaires tenus sur CNews par Pascal Praud et Philippe de Villiers. Mais cette maladresse puérile d’un président esseulé ne fait qu’étaler les failles intimes du Narcisse blessé. « La vraie dictature est là, en Russie », a-t-il lancé ce même jour en recevant Volodimir Zelenski. Or, la macrocrature se rapproche des régimes totalitaires qu’elle sermonne en multipliant les obstacles et les intimidations à la libre expression, sur l’internet et l’audiovisuel, et en mobilisant la presse de cour, singulièrement les médias financés par l’Etat, pour décréter la vérité (pravda, en russe).

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En réalité la macronie laisse voir, dans son appétit pour les censures et les rappels à l’ordre de ses chiens de garde, les ultimes soubresauts d’un pouvoir ébranlé par le nouveau monde qui vient. Les oligarchies politiques et médiatiques sont vouées à disparaître sous la force irrépressible de la démocratie numérique. Elle fait de chaque individu l’acteur potentiel d’une démocratie décentralisée, localisée, horizontale, participative, informée, éduquée. Les médias traditionnels sont dès à présent dépassés par les informations que fournissent les réseaux sociaux en prise avec le réel. Ceux-ci, en dépit de défauts qui restent à corriger (anonymat, appels illégaux) forcent la profession à ouvrir les yeux sur des faits naguère occultés. Le quatrième pouvoir n’est plus dévolu à la presse connivente qui ne joue plus son rôle de contre-pouvoir. Ce dernier est représenté par l’indomptable internet, qui irrite tant Macron. Les succès des pétitions numériques, dernièrement contre l’immigration ou la loi Duplomb, forcent les politiques à penser ce nouveau monde en rupture avec les anciennes pratiques confisquées par les castes et leurs experts cooptés. 

« Tout devient soumis à consultation », admet Robin Rivaton, dans une note de décembre pour la Fondapol[1]. Dans cette conception novatrice de la politique, Macron symbolise le modèle déphasé. Ses combats contre les libertés sont honteux. Surtout, ils sont perdus d’avance.


[1] Contre la bureaucratie, la compétence du peuple, Fondation pour l’Innovation Politique

Quand le Ballet de l’Opéra apprivoise la modernité

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Marc Moreau, Dorothee Gilbert et Guillaume Diop, "O złożony, O composite" © Benoite Fanton / OnP

Qu’elles soient signées par Merce Cunningham, par Trisha Brown ou, dans un tout autre registre, par Pina Bausch, leurs œuvres, quand elles sont au programme du Ballet de l’Opéra de Paris, révèlent l’extraordinaire évolution de la compagnie.


Il y a quelques lustres à peine, il était quasiment impensable que les danseurs de l’Opéra de Paris puissent se plier à des esthétiques nouvelles, à autre chose que la danse classique. Ce n’était pas seulement un problème de technique et d’adaptation des corps à des formes de danse en absolue contradiction avec les canons du ballet romantique ou de la danse académique ou néo-académique. Mais plus encore sans doute un état d’esprit qui empêchait les ballerines et leurs partenaires masculins, à quelques rares exceptions près, d’adhérer à une philosophie, à des conceptions parfaitement étrangères à leur univers. Un univers d’excellence certes, mais borné et incapable alors de s’ouvrir à d’autres façons d’envisager le monde de l’art.  

Il faut avoir observé le mépris affiché par les danseurs devant les premiers ouvrages et les méthodes de travail de Carolyn Carlson, alors étoile-chorégraphe du temps de Rolf Liebermann ; avoir entendu de petites idiotes en tutu blanc ricaner à l’idée qu’on puisse interpréter Dominique Bagouet sur la scène de l’Opéra ; avoir vu des danseurs pousser des cris d’orfraie devant des pièces maîtresses de Pina Bausch ou avoir découvert Sylvie Guillem, dansant à Londres de sirupeux navets enrubannés, étaler son dédain face aux chefs-d’œuvre de Cunningham, pour mesurer le chemin désormais parcouru jusqu’à aujourd’hui. 

Des pionniers

On se souvient avec d’autant plus d’émerveillement de danseurs-étoiles comme Wilfride Piollet et Jean Guizerix qui furent alors de hardis pionniers lors de la création d’Un Jour ou deux de Cunningham commandé au Ballet de l’Opéra pour le Festival d’Automne de 1973. Ou encore de Laurent Hilaire, magnifique lors de la reprise du même ouvrage en 1985. Mais encore de figures comme Jean-Christophe Paré et ses camarades du Groupe de recherche chorégraphique de l’Opéra de Paris (GRCOP) conduit par Jacques Garnier et voué à la création contemporaine. Il y en eut d’autres, à l’instar de la danseuse Miteki Kudo qui naguère se glissa avec un stupéfiant naturel dans l’esthétique « post modern » de Trisha Brown ou d’Olivia Granville quittant l’Opéra pour explorer des contrées inaccessibles au sein du ballet.

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Alors qu’il y a vingt ans à peine les anciennes générations de danseurs de l’Opéra demeuraient encore raides et empruntées dans le répertoire contemporain, on voit leurs successeurs d’aujourd’hui magnifiques (surtout les femmes) dans Kontakthof ou Blaubart de Pina Bausch. On les découvre désormais prêts à s’adapter, avec plus ou moins de bonheur, mais avec générosité le plus souvent, à toutes sortes d’écritures.

D’une saisissante beauté

C’est précisément le cas avec deux œuvres de la chorégraphe américaine Trisha Brown (1936-2017) qui est à nouveau à l’honneur à l’Opéra de Paris. Deux pièces remontées par d’anciens de ses interprètes, Carolyn Lucas, Todd Stone, Elena Demyanenko et Leah Morrison, dont le trio O Zlozony/O Composite (Ô compliqué, ô complexe), créé en 2004 pour les danseurs de l’Opéra sur un poème en polonais de Czeslaw Milosz et sur une partition (de facture inégale) de Laurie Anderson. Dans ce trio très élaboré qui se profile sur un ciel étoilé (décors de Vija Celmins et lumières de Jennifer Tipton) et dont les premières images sont d’une beauté saisissante, une étoile comme Dorothée Gilbert qui sait être, dans le registre romantique, une Giselle bouleversante, est également ici parfaite, encadrée de deux jeunes hommes à la tenue irréprochable, Marc Moreau et Guillaume Diop.

Conçu pour elle-même par Trisha Brown en 1994 avec la complicité de Robert Rauschenberg, If You Couldn’t See Me (Si tu ne pouvais pas me voir) est un parfait exemple de l’art de la chorégraphe, de cette incomparable alternance entre tension et relâchement, de cette souplesse féline qui la caractérisait. L’interprète, ainsi que le suggère le titre, n’est vue que de dos. Une gageure qui requiert d’ailleurs une puissance d’interprétation décuplée pour les quatre différentes danseuses qui vont assumer cette tâche au fil des représentations. Celle affrontant le rôle le soir de la première, Hannah O’Neill, est remarquable. Mais il lui manque encore quelque chose de cette distance, de cet abandon, de cette souplesse qui étaient la marque unique de Trisha Brown. Toutes choses qu’elle acquerra avec le temps, mais qui est si difficile de saisir quand on a été nourrie de technique académique. C’est justement ce que Miteki Kudo, citée plus haut, avait si miraculeusement capté.

Un aimable néant

Spectaculaire dans son dépouillement, le décor conçu avec un certain esprit Art Déco par le Néo-Zélandais John Otto l’a été pour la pièce de l’Anglais David Dawson, Anima Animus. Lui répondent énergiquement de remarquables costumes très architecturés, dessinés par la Japonaise Yumiko Takeshima. Un concerto pour violon du compositeur italien Ezio Bosso, mort dramatiquement en 2020, à l’âge de 48 ans, nimbe l’ensemble.

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Bondissant, tourbillonnant, virevoltant, tout en jambes tendues et en bras élevés vers le ciel, les dix danseurs du Ballet de l’Opéra sont brillants. Et c’est bien tout. D’un académisme militant, la chorégraphie est surtout d’un vide abyssal. Un inventaire de prouesses de classe de danse qui se reproduisent à satiété, pas du tout laides, mais parfaitement creuses et inutiles. C’est toutefois cette pièce qui a été le plus acclamée. On aurait espéré que c’était uniquement pour saluer la vaillance des danseurs. Eh bien non ! L’auteur de cet aimable néant a été lui aussi ovationné.

Anima Animus n’a pas l’excuse d’être une création. La pièce a vu le jour avec le Ballet de San Francisco en 2018, puis a été reprise en 2023 à la Scala de Milan qui est, dans le domaine de la danse, le repaire de l’académisme le plus ranci et le plus réactionnaire. Comment donc avoir eu l’idée de programmer ce pensum à Paris ? Cela prête à penser.

Et une impitoyable punition    

Caroline Osmont. A l’arriere plan Ida Viikinkoski et Clemence Gross, « Drift Wood » – Imre et Marne van Opstal © Benoite Fanton / OnP

Mais on n’a pas tout vu ! Exécutée par douze courageux interprètes dans une semi-obscurité qui n’arrange rien, Drift Wood (Bois flotté en bon français) porte bien évidemment, selon les critères établis, un titre en anglais. Comment avaler qu’un ouvrage créé par le Ballet de l’Opéra de Paris à l’Académie nationale (ci-devant impériale et royale) de Musique et de Danse, financé par elle et conçu dans la capitale, non par des auteurs anglo-saxons, mais par deux Néerlandais du Limbourg, porte obligatoirement et sans justification aucune un titre en anglais ? Comme si un titre français sur une scène française était une chose définitivement ringarde et déshonorante ! Mais le monde de la danse est souvent si bête, si vain et si moutonnier qu’intituler un ouvrage en anglais pour se donner un genre et une contenance est devenu depuis longtemps un automatisme irrépressible chez nombre de chorégraphes auto-proclamés.

40 minutes à endurer un truc indescriptible et crapoteux créé par Marne et Imre van Opstal. Un frère et une sœur presque jumeaux qui se sont donc mis à deux pour concevoir cette pièce informe et sans vrai caractère, d’un abominable ennui… Ils sont dotés de deux sœurs également artistes chorégraphiques. Et l’on frémit à la seule idée que ces quatre-là auraient pu tout aussi bien accumuler leurs énergies pour faire encore plus assommant.


Contrastes. Ballet de l’Opéra de Paris. Palais Garnier. Jusqu’au 31 décembre.

Causeur: Il était une foi en France

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© Causeur

Monseigneur Rougé, évêque de Nanterre, dialogue avec Éric Zemmour. Découvrez le sommaire de notre numéro de décembre


Le nouveau numéro est diponible aujourd’hui sur le kiosque numérique et demain mercredi 3/12 chez les marchands de journaux.

Le premier a dédié sa vie à Dieu, le second à la France. Monseigneur Matthieu Rougé et Éric Zemmour n’étaient pas faits pour se rencontrer. Mais l’évêque de Nanterre, en pointe dans le combat contre les réformes bioéthiques, enseigne aussi la théologie politique au collège des Bernardins. Et dans son dernier essai, le président de Reconquête ! appelle ses compatriotes à un « sursaut judéo-chrétien ». Dès lors, ces deux-là avaient beaucoup de choses à se dire. Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques, qui ont recueilli les propos de ce dialogue, présentent notre dossier du mois, intitulé : « Sommes-nous judéo-chrétiens ? ». Le nouveau livre d’Éric Zemmour, La Messe n’est pas dite (Fayard) ne cherche pas à faire du catholicisme une religion d’État, mais prône un combat culturel pour rappeler que, en France, le christianisme « reste le socle d’une civilisation » qui « a laissé sa marque partout, dans les bâtiments, les paysages, les institutions, le Code civil ». Le président de Reconquête ! « souhaite juste qu’on apprenne aux enfants de France, quelle que soit leur origine réelle, d’où ils viennent et ce que signifient les tableaux qu’ils voient dans les musées, qu’on n’ait pas honte de célébrer Noël et Pâques ».

Pour la philosophe Chantal Delsol, l’héritage judéo-chrétien est une réalité dont il faut reconnaître les apports majeurs à l’humanité. Mais elle estime que les chrétiens, devenus minoritaires, ne sont plus les prescripteurs moraux de nos sociétés et qu’ils ne doivent pas chercher à le redevenir. Geoffroy Lejeune, dont les propos ont été recueillis par Élisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques, se qualifie lui-même de « catholique identitaire ». Le directeur de la rédaction du Journal du Dimanche plaide pour que les chrétiens français se recentrent sur le cœur du message évangélique et n’aient pas peur de proclamer leur foi. Sans remettre en cause la laïcité. Dans son Dictionnaire amoureux des juifs de France, Denis Olivennes retrace deux mille ans d’une histoire extraordinaire, ou comment les enfants d’Israël se sont retrouvés chez eux sous le ciel gaulois. Se confiant à Élisabeth Lévy, il salue la bienveillance de grands auteurs à l’égard des juifs et le rôle crucial des Lumières qui ont fait rimer émancipation et assimilation. De Renan à Charlie Kirk en passant par Orwell, les penseurs qui se sont référés à des valeurs « judéo-chrétiennes » sont légion dans l’histoire occidentale et singulièrement anglo-saxonne. Je montre que, contrairement à ce qu’affirme la doxa islamo-gauchiste, ce concept ancien n’a pas été forgé pour s’opposer aux musulmans. Pour Frédéric Magellan et Lucien Rabouille, le catholicisme a servi de caution à la monarchie avant d’être l’un des principaux vecteurs de sa contestation. Les Lumières ont hérité des passions, de la rhétorique, des structures mentales et du sens du tragique des dévots jansénistes. 1789 n’a pas aboli le sacré mais l’a remplacé.

Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy commente l’esclandre politico-médiatique déclenché par le discours que le chef d’état-major des armées a tenu devant le Congrès des Maires de France. Les paniquards qui ont réagi n’ont pas compris que le général Fabien Mandon ne parlait pas de tous les enfants des Français, mais « de militaires professionnels qui acceptent par contrat une mission pouvant les mener jusqu’au « sacrifice ultime » ». Plus grave encore, toute idée que la défense de la patrie puisse entraîner des sacrifices est désormais inadmissible car « les générations gâtées que nous sommes n’ont connu que la paix sur leur sol, si bien que nous pensons qu’elle est la norme et surtout qu’elle est un dû »

La libération de Boualem Sansal aurait dû être célébrée par toute la classe politique. Mais pour Amine El-Khatmi, elle laisse un goût amer : celui d’un pays qui ne sait plus défendre un écrivain persécuté par une dictature et qui, perdu dans ses renoncements, confond la prudence et la lâcheté. Le halal ne se cantonne plus aux étals des rayons alimentaires. L’enquête menée par Estelle Farjot et Léonie Trebor montre que le marché des vêtements et des produits cosmétiques conformes aux prescriptions de l’islam est en plein essor. Et tout le monde, des sites made in China aux maisons de haute couture européennes, veut sa part du gâteau. Giorgia Meloni est à la tête du gouvernement italien depuis trois ans. Selon les analyses de Gil Mihaely, ses succès ne reposent pas uniquement sur les lois votées ni les réformes engagées mais sur une stratégie européenne de longue haleine qui lui confère aujourd’hui prestige et sympathie sur la scène internationale. Stéphane Germain interroge la novlangue de notre époque. Des mots comme « vivre-ensemble », « faire société », « inclusion » ou « résilience », devenus courants dans le vocabulaire quotidien, constituent une barrière mentale qui interdit de penser le monde autrement qu’à la lumière du progressisme.

Parmi nos chroniqueurs, Olivier Dartigolles se demande pourquoi, face aux problèmes du narcobanditisme, l’État n’a pas fait pour la consommation de drogue ce qu’il fait pour la sécurité routière, l’alcool et le tabac. À défaut d’une grande politique de santé publique, on ne nous sert que de la com’. Ivan Rioufol salue la fin de l’hégémonie des progressistes et des globalistes dans le domaine de l’info. Plus les médias alternatifs sont hués par le pouvoir, plus ces indésirables s’imposent comme l’authentique quatrième pouvoir. L’internet déverrouille la démocratie. La gauche cloueuse de bec a perdu. Emmanuelle Ménard nous parle des préparatifs de Noël à Béziers, où les chalets, les illuminations et la fontaine musicale de Noël ont été inaugurés dans la bonne humeur. En attendant la crèche, bien sûr ! Jean-Jacques Netter commente le suicide économique de la France sous la gestion de Sébastien Lecornu et Yaël Braun-Pivet, tandis que Gilles-William Goldnadel réagit aux plaintes qui viennent d’être déposées par les groupes France Télévisions et Radio France auprès du tribunal des affaires économiques contre CNews, Europe 1 et le JDD pour « dénigrement ».

Côté culture, Bérénice Levet ouvre le bal en interrogeant Stéphane Guégan sur un des plus grands artistes du XXe siècle. Dans son dernier livre, Matisse sans frontières, l’historien et critique d’art rétablit quelques vérités sur un peintre dont l’œuvre a été instrumentalisée par l’histoire de l’art. Réduire ce génie français au « bonheur de vivre », au « décoratif » et le considérer comme un précurseur de l’art abstrait américain est une erreur. Félix Vallotton est mort il y a cent ans. Le peintre a fait carrière dans le Paris des années 1880-1900, alors capitale de la bourgeoise, des conflits sociaux, des attentats anarchistes et de l’essor de la presse. Pour Georgia Ray, la rétrospective que lui offre Lausanne, sa ville natale, révèle un artiste engagé, héritier des maîtres anciens et audacieux coloriste. Jonathan Siksou a visité « L’Empire du sommeil » au musée Marmottan Monet. Cette exposition, en réunissant des œuvres de l’Antiquité à nos jours, brosse le portrait psychologique de l’humanité occidentale : ses amours, ses textes saints, sa mythologie, ses désirs érotiques, ses ivresses et ses paradis artificiels. Le centre Pompidou ferme ses portes pour au moins cinq ans de travaux. Pierre Lamalattie nous explique que cet énième chantier s’annonce pharaonique tant le bâtiment de Renzo Piano vieillit mal. Derrière ses façades de verre et d’acier se cache une institution mal gérée, boudée par les visiteurs et dont le bilan culturel est discutable.

Parlez-vous le Goldnadel ? Compagnon de route de Causeur, le président d’Avocats sans frontières a du fond mais aussi de la forme. Dans son nouvel essai, Vol au-dessus d’un nid de cocus (Fayard) où il attaque la gauche dévoyée par le racialisme et l’islamisme, il multiplie les formules spirituelles et les fulgurances comiques. Jean-Baptiste Roques nous a préparé un petit florilège des plus fameuses. Julien San Frax a lu la sacrée sommequ’est la Nouvelle histoire de France. Sous la direction d’Éric Anceau, une centaine de contributeurs explorent tous les domaines, toutes les notions qui illustrent la singularité de notre histoire commune. Une brillante riposte à la vision « mondialisée » de Patrick Boucheron. Notre collaborateur et ami François Kasbi signe avec Mes chéries une déclaration d’amour aux femmes écrivains et à la littérature. Pour Alexandra Lemasson, c’est un ouvrage passionné et érudit qui donne forcément envie de lire. Philippe Lacoche a lu – et écouté – l’essai-anthologie et le CD consacrés aux relations étroites entre les musiques caribéennes et américaines par Bruno Blum, ex-journaliste, écrivain, musicien et producteur. C’est rythmé ! Enfin, Jean Chauvet passe en revue trois nouveaux films français. Sa conclusion ? N’en déplaise à ses détracteurs, le cinéma d’auteur français n’est pas à la dérive. Il est tout simplement éclectique et offre par conséquent le pire comme le meilleur. À la différence de Causeur, bien sûr, qui n’offre que le meilleur…

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Le goal s’est fait gauler

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DR.

Lucas Chevalier, gardien du PSG et international français, a fait l’objet d’attaques sur les réseaux sociaux et dans la presse sportive après avoir mis un « j’aime » sous une publication de Julien Aubert annonçant son vote pour le RN contre le NFP. Retour sur le déroulé précis du drame.


C’est l’histoire d’un chevalier pas bayard mais trouillard, qui a peur de certains reproches, Lucas Chevalier, le goal du PSG, et nouveau membre de l’équipe de France. Se promenant sur le réseau social Instagram, il est tombé en arrêt sur une vidéo, une interview de Julien Aubert, vice-président des Républicains, qui disait tout le bien qu’il pensait du RN, estimant naturel de faire alliance avec Marine Le Pen et Bardella pour mette la gauche hors-jeu. Et notre Chevalier a « liké », comprenez qu’il a posté un petit cœur pour marquer son soutien. Immédiatement les djihadistes du Net lui sont tombés dessus, le traitant de « sale blanc », de « raciste de m… », de « fils de p », bref le lexique habituel des insoumis de la syntaxe.

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Que fit alors notre Chevalier ainsi désarçonné ? Le gardien n’est pas sorti les poings en avant pour boxer ses détracteurs, il s’est couché, déballonné. Il a expliqué qu’il avait liké par erreur, commis en quelque sorte une faute de main… inquiétant pour un gardien de but dont le métier est d’avoir la main ferme. Et, s’étant à l’évidence fait taper sur les doigts par les dirigeants du PSG, il s’est excusé, expliquant qu’il était une personne à qui « les parents avaient inculqué des valeurs lui interdisant de penser ces “choses-là” », c’est-à-dire que le RN était un parti respectable. Les millions de footeux qui votent à droite apprécieront la sortie du gardien…

Pourquoi notre Chevalier blanc est-il soudain devenu bleu de trouille ? Peut-être a-t-il eu peur que l’émir du Qatar, proprio du PSG, voie en lui un croisé qu’il faut rayer des cadres, ou encore d’être blackboulé en équipe de France, où le meneur de jeu, sur le terrain et dans les vestiaires, est un certain Kylian Mbappé, qui lors des législatives de 2024 avait donné ses consignes de vote – « Je suis contre les extrêmes, les idées qui divisent » –, invitant in fine les « jeunes » à voter contre le RN.

Une liste de juifs? Tout à fait Théry!

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Le professeur d'histoire Julien Théry. DR.

Antisionisme. Le professeur d’histoire et journaliste sur la webtélé islamo-gauchiste Le Média Julien Théry se considère comme un simple progressiste radical et un défenseur de la cause palestinienne. Il n’en reste pas moins qu’il établit des listes rappelant des pratiques de l’époque de l’Occupation. « C’est profondément scandaleux (…) J’apporte mon soutien aux personnes qui ont été visées » a déclaré devant les sénateurs le ministre de l’Éducation nationale. Le professeur demeure en poste à l’université.


Il y a dans certains gestes une vieille odeur de nuit. Un exemple parmi d’autres: un enseignant-chercheur de Lyon 2 spécialiste du Moyen Âge (son nom importe peu) a cru bon de publier sur son compte Facebook une liste de vingt personnalités – Arthur, Charlotte Gainsbourg, Joann Sfar ou Philippe Torreton  – qualifiées de « génocidaires à boycotter » pour avoir demandé la libération des otages et le démantèlement du Hamas avant toute reconnaissance officielle par la France d’un État palestinien. Naturellement, les noms juifs y abondent. Qu’on en soit revenu à cela devrait suffire à glacer le sang.

La délation: un procédé moyenâgeux

On invoquera la liberté d’expression, ce paravent derrière lequel se dissimule si souvent le droit à la bêtise. Mais la liberté d’expression n’a jamais autorisé qu’on livre des individus à la vindicte ni qu’on transforme une réprobation politique en mise au pilori de personnes réelles, avec une cible collée dans le dos. Dresser une liste, aujourd’hui, équivaut à dénoncer, exclure, mettre des gens en danger. Il n’y a qu’un Mélenchon, toujours prompt à tweeter une provocation, pour feindre de ne pas le voir, ainsi que tous ceux qui confondent délibérément soutien à la Palestine et soutien au Hamas, parmi lesquels les inévitables Insoumis.  

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On croyait ces réflexes de délation relégués aux zones grises de notre histoire : proscriptions, affichages infamants, noms blacklistés. La Libération n’a manifestement pas vacciné ce pays contre ce type d’abjection. Contester une pétition est le droit de chacun. Mais qu’un historien fasse une liste de personnes à « boycotter » en les assignant à une identité supposée et en les accusant de crimes imaginaires, quitte à faire planer sur elles une menace physique, relève d’un autre registre. Combattre une idée n’exige pas qu’on joue avec la peur comme on joue avec des mots.

La Licra consternée

Le plus consternant est que cette infamie soit le fait d’un universitaire, profession censée instruire au discernement, apaiser les passions, élever la pensée et défendre la nuance. À la place, on a un tribunal de fortune, un procès fantasmé, et ce geste impardonnable : trier des noms. La trahison des clercs, derechef… Critiquer Netanyahou appartient au débat démocratique. Accuser collectivement les amis d’Israël d’un « génocide », c’est renouer avec une tradition européenne multiséculaire : l’accusation délirante, du meurtre rituel aux Protocoles des Sages de Sion. Sous le masque gratifiant de l’antisionisme, c’est la forme la plus chimiquement pure de l’antisémitisme moderne.

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La Licra, notamment, ne s’y est pas trompée, qui a soulevé le lièvre et déposé plainte. La liberté d’expression n’est pas faite pour protéger les émules islamo-gauchistes de Gringoire ou de Je suis partout qui pullulent aujourd’hui dans certains milieux universitaires et artistiques. Elle protège ceux que d’aucuns voudraient, drapés dans leur bonne conscience, livrer aux flammes.

Il serait peut-être temps de s’en souvenir. Avant qu’il ne soit, une fois de plus, trop tard.

Général, nous voilà !

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Paris, 18 novembre 2025 © Franck Derouda/SIPA

Menace russe. Après le discours du Chef d’état-major des armées Mandon devant les maires de France, on a vu un pays qui préférait s’indigner que se préparer


Le mot « enfant » empêche de penser. Mais en l’accolant au mot « guerre », le chef d’état-major des armées a déclenché une belle chorale de paniquards, pleurnichards et capitulards[1]. Au cœur d’un discours charpenté sur la menace russe et la nécessité de « dissuader Vladimir Poutine d’aller plus loin » (plus loin que l’Ukraine), donc de nous réarmer, le général Fabien Mandon a évoqué les jeunes gens appelés à se battre pour la France : « Ils tiendront dans leur mission s’ils sentent que le pays tient avec eux. Si notre pays flanche, parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, de souffrir économiquement, alors on est en risque. » Le braillomètre a chauffé à hauteur de la transgression. « On ne veut pas mourir pour Kiev ! », « Nos enfants ne sont pas de la chair à canon ! », « Du fric pour les retraites, pas pour les mitraillettes ! » (celle-là, je l’invente).

Si ça se trouve, je n’ai pas de cœur parce que je n’ai pas d’enfant. Je jure que je veux du bien à ceux des autres – faut quand même qu’ils la payent, ma fichue retraite. En tout cas, cette infirmité sentimentale m’a permis d’entendre les véritables propos du général Mandon. Calmez-vous, il ne parle pas de vos gosses ni de ceux de Madame Michu, mais de militaires professionnels qui acceptent par contrat une mission pouvant les mener jusqu’au « sacrifice ultime » et pourraient donc, selon Mandon, être amenés à intervenir aux frontières de l’OTAN (à laquelle sauf erreur nous appartenons toujours et qu’il est question d’européaniser). Notez que les 57 morts pour la France en OPEX au Mali et ailleurs n’étaient pas les enfants de personne. Aucun de leur père n’a déclaré face caméra que son fils n’aurait jamais dû mourir dans une guerre lointaine – et perdue depuis.

Juste avant de lâcher le fatal « enfant », le CEMA s’était demandé si nous avions « la force d’âme de nous faire mal pour protéger ce que l’on est ». Il a eu sa réponse. Évidemment qu’on est prêts, si on admet que ce qu’on est se définit par ce qu’on a. Pour défendre le modèle social que le monde nous envie et dont on répète qu’il est notre ADN, alors oui, on est prêts à souffrir, et surtout à faire souffrir le voisin, le commerçant du coin ou le policier en service. Au pays de l’État-Roi, chacun est encouragé à se demander obsessionnellement ce que son pays doit faire pour lui. L’État, c’est moi, sauf pour payer : là, c’est les autres.

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Qu’on ne veuille pas mourir pour Kiev parce que nos intérêts nationaux n’y sont pas engagés, c’est légitime même s’il n’y a pas de quoi être particulièrement fier. Ça tombe bien, le général Mandon n’en demande pas tant. Il n’a fait que développer le vieil adage : si tu veux la paix prépare la guerre. Pas de quoi détaler en criant maman ! La France a perdu plusieurs guerres, pas parce que ses soldats manquaient de bravoure, mais parce qu’elle n’était pas prête. Ça fait réfléchir. Ça devrait.

On peut évidemment, comme d’excellents esprits de ma connaissance, tels que Pierre Lellouche ou Vincent Hervouët, s’émouvoir qu’un militaire soit autorisé à présenter une stratégie politique. On peut contester son appréciation de la menace russe, trouver qu’on n’y répondra pas en affolant les populations et en montrant des muscles qu’on n’a pas (et qu’on n’est pas prêt d’avoir si on hurle à la mort à chaque fois qu’on propose de couper une dépense sociale). On peut estimer qu’on a encouragé l’Ukraine à mener une guerre qui lui a coûté des dizaines de milliers de vies humaines et, à nous, des dizaines de milliards, pour qu’elle finisse par la perdre (encore que Poutine n’a pas réussi à installer à Kiev un pouvoir à sa botte). Peut-être que s’ils avaient connu l’issue, les Ukrainiens auraient tout de même choisi de mener une guerre perdue plutôt que de léguer à leurs enfants l’histoire d’un peuple qui s’est rendu sans combattre. Allez savoir.

Il est possible que le général Mandon se trompe sur Poutine. Et peut-être que ce sont ses contradicteurs qui se fourrent le doigt dans l’œil. Alors que l’Oncle Sam finira par nous laisser nous débrouiller, on s’attendait à ce que tous les patriotes s’accordent sur la nécessité de faire des sacrifices pour notre défense. Au risque de me répéter, on ne déclenche pas les guerres en s’armant, mais en se désarmant. Surtout quand toutes les puissances se remilitarisent. D’innombrables experts et souverainistes professionnels ont pourtant expliqué à la chaîne que le général Mandon disait n’importe quoi, ou pire encore, comme l’impayable et inoxydable Ségolène Royal, qu’il était en service commandé pour permettre au président de déclencher une guerre contre la Russie et rester à l’Élysée. Ils auraient pu jurer qu’ils étaient prêts à se sacrifier pour la France quand elle serait menacée par des ennemis plus crédibles à leurs yeux que Poutine. Derrière ce festival de protestations dont il ressort que nos intérêts nationaux s’arrêtent aux frontières de l’Hexagone et aux sacro-saintes « préoccupations quotidiennes des Français », on entend que rien ne vaut qu’on sacrifie sa vie et son pouvoir d’achat. On ne sait si le spectacle de patriotes invoquant les mânes du gaullisme pour justifier leur renoncement à la force est comique ou désespérant. Les générations gâtées que nous sommes n’ont connu que la paix sur leur sol, si bien que nous pensons qu’elle est la norme et surtout qu’elle est un dû. « La guerre est toujours la plus mauvaise des solutions », affirmait Chirac. Traduction en bon français : même la soumission est préférable.

Il est possible que j’exagère parce que je rentre d’Israël, où la majorité des citoyens, en dépit de leurs différences radicales, acceptent que leurs enfants meurent pour le pays. N’empêche, quand on n’a aucune raison de mourir, c’est peut-être qu’on n’a pas beaucoup de raisons de vivre.


[1] Ne vous énervez pas, je ne mets pas dans ce vilain sac tous ceux qui ont critiqué le discours.