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«En français, ma voix est plus libre!»

Entretien avec Omar Youssef Souleimane , qui publie "Etre Français" (Flammarion, 2023)


«En français, ma voix est plus libre!»
Omar Youssef Souleimane. © Hannah Assouline

L’écrivain Omar Youssef Souleimane a retrouvé en France ce qu’il pensait ne plus voir en fuyant la Syrie : l’islam politique. Son amour de la poésie et de la langue française l’a sauvé de l’obscurantisme. Mais il s’alarme d’observer qu’en France, toute une jeunesse endoctrinée considère que l’islam est sa nationalité.


Causeur. Vous racontez comment vous êtes devenu français par la langue. Y a-t-il une autre manière de le devenir ?

Omar Youssef Souleimane. Être français est basé sur trois piliers. Il y a l’attachement : je suis amoureux de la France. Il y a l’appartenance qui se traduit par l’engagement à défendre ce pays devenu le mien de toutes les manières possibles. Il fait partie de moi et je fais partie de lui. Mais le plus important, la clef pour devenir français, c’est la langue. On ne peut pas découvrir les traditions de ce pays, son histoire, son quotidien, si on ne connaît pas sa langue. Ce n’est pas seulement une manière de communiquer, c’est aussi une partie de notre personnalité. Aujourd’hui, je ne parle quasiment plus l’arabe, mais quand il m’arrive de le parler, ma voix change. En français, ma voix est plus libre et plus puissante.

Vous racontez une scène survenue à l’aéroport de Beyrouth. Voyant que vous êtes né à Damas, le policier vous demande des documents improbables dans l’espoir de vous extorquer un billet. Le Syrien en vous commence à avoir peur et à trembler, mais le Français se rebiffe.

Le Français en moi me protège. C’est toute la valeur d’être français. Ce pays m’a donné la dignité, la citoyenneté. En Syrie, nous naissons comme des exilés ; nous n’avons ni droits ni devoirs. Le paradoxe, c’est qu’à Beyrouth, une fois sorti de l’aéroport, parler arabe a éveillé en moi une nostalgie pour cette terre. Elle fait partie de moi. Je ne veux pas l’enfouir, mais plutôt l’intégrer à ce que je suis aujourd’hui.

Vous rêvez en français ou en arabe ?

En français. Je ne crois pas que l’on puisse rêver dans une langue et écrire dans une autre. Mais l’arabe est ma langue intime, celle de l’enfance. Alors, je pleure en arabe.

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L’acculturation se joue sur des détails. Par exemple, dans le monde arabe, il faut arriver à un dîner les mains vides alors qu’en France, c’est un manque de savoir-vivre. La sociabilité orientale vous manque-t-elle ?

L’individualisme européen a de très bons côtés : on est libre, on vit comme on veut. J’écris, je lis, je dis ce que je pense. Là-bas, on n’est jamais seul. Mais si on a l’ombre d’un problème, on peut compter sur les voisins, la famille, les amis. Cette solidarité peut me manquer en effet. Mais je préfère l’individualisme occidental. J’ai eu la chance d’arriver jeune en France et j’ai pu recommencer à zéro, accéder aux codes sociaux français. Par exemple, je ne savais pas comment draguer ici ! En Syrie, faire un compliment à une femme, c’est déjà une invitation. Si on lui dit qu’elle a de jolis souliers et qu’elle ne réagit pas, c’est un râteau.

Rappelons qu’à 7 ans, dans votre école syrienne, vous criez « Mort à Israël ! » et « Gloire au grand prêtre ! » tous les matins. Plus tard, votre père, qui est passablement fanatique, emmène toute la famille en Arabie saoudite où vous résidez le 11-Septembre. Vous admirez Ben Laden… Tout ça est finalement banal.

Et cela s’explique largement par le fait que, depuis la chute de l’Empire ottoman, le Proche-Orient est dominé par l’islam politique djihadiste financé par les pétrodollars. Cet islam politique s’est imposé par la haine et la peur de l’autre. Cet « autre » peut être un pays arabe, mais c’est avant tout Israël, l’ennemi sioniste. On grandit dans la haine d’Israël et de tous les juifs. Le mot « juif » est une insulte.

Il y a déjà pas mal de versets antijuifs dans le Coran, non ?

Oui, il y a un problème avec le Coran comme avec tous les textes sacrés, mais le fait nouveau, c’est qu’on prétend les appliquer à la lettre.

 Comment vous en êtes-vous sorti avant même d’arriver en France ?

Pour me récompenser de mes bonnes notes au lycée, mon père m’a offert un ordinateur. J’étais motivé : je voulais étudier l’architecture pour bombarder des tours comme les djihadistes du 11-Septembre ! Mais la vie est un miracle. Grâce à cet ordinateur, j’ai pu accéder à internet et lire autre chose que de la propagande intégriste. Par exemple, j’ai lu Descartes et Taha Houssein, un philosophe égyptien qui parle du doute. Ayant appliqué ce doute au Coran, j’ai découvert qu’on n’a pas besoin de religion pour vivre. Que la religion était le problème, pas la solution. J’avais 17 ans. Et j’en avais 25 quand je suis arrivé en France.

En somme, quand tant de jeunes se radicalisent sur internet, vous vous y êtes déradicalisé.

Les jeunes qui suivent mes ateliers d’écriture passent entre trois et quatre heures par jour sur les réseaux. Les comptes TikTok les plus suivis proposent soit des vidéos de danse, soit des vidéos de radicalisation, quelle qu’elle soit. Internet peut aussi aider à la lutte contre l’extrémisme. En Syrie, en 2011, au début du printemps arabe, Facebook était le réseau des jeunes. En dehors des réseaux, il n’y avait pas de médias, neutres et libres.

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N’est-ce pas aussi l’amour de la littérature qui vous a protégé de l’endoctrinement ?

En effet. La joie de la littérature, cette sensibilité au pouvoir des mots, comme dit Paul Éluard, a été essentielle. Les mots d’Éluard ont beaucoup plus de valeur que ceux de Mahomet. Il faut remplacer la parole du prophète par celle du poète. Curieusement, au Proche-Orient, même dans les familles les plus intégristes, la poésie est sacrée, comme vecteur de l’islam et de l’identité arabe. On est obligé d’apprendre des poèmes très anciens. Et cette poésie qu’on m’apprenait comme élément de discours religieux m’a ouvert les yeux sur autre chose que la religion : la liberté.

Comment ont réagi vos proches, sachant que l’islam condamne l’apostasie ?

J’ai annoncé mon athéisme à 18 ans. Je ne voulais pas le cacher à mon entourage. J’ai perdu quasiment tous mes amis. Ma famille m’a renié pendant des années, finalement, certains m’ont accepté comme j’étais. Il faut dire que, pour aggraver mon cas, j’avais commencé à étudier la littérature arabe, une honte dans une famille de scientifiques. Pourtant, je n’avais aucun ami pratiquant, car une partie de ma génération, celle qui a passé le bac dans les années 2000, en a ras le bol de la religion ! Mais si j’avais déclaré mon athéisme publiquement, j’aurais pu être assassiné. En France, des jeunes sont surpris quand je leur dis que je ne suis pas musulman. Pour eux, si on naît musulman, on reste musulman. Pour eux l’islam n’est pas une religion ou une origine, c’est une nationalité. C’est la base du séparatisme et de leur crise identitaire.

La vie de ces jeunes est plus facile que la vôtre à votre arrivée. Et pourtant avec eux, nous avons échoué.

C’est ce qui m’attriste. J’ai vécu un an et demi à Bobigny, et j’ai vu que toutes ces villes de banlieue parisienne avaient leur bibliothèque, leur médiathèque, leur stade… Le budget culturel est énorme. J’aurais rêvé de grandir comme ces jeunes. Par rapport à ce que j’ai connu, ces jeunes ne manquent de rien. Mais ils baignent dans la haine de la France. Ce n’est pas de leur faute, c’est celle des imams radicaux et du discours manipulateur qu’ils suivent sur internet. Ils sont manipulés.

La désaffiliation n’est pas limitée aux jeunes musulmans…

J’ai l’impression qu’être malheureux fait partie de la culture française. À l’époque des gilets jaunes, des manifestants m’ont carrément dit que la France de Macron, c’était la même chose que la Syrie de Bachar el-Assad mais qu’ici, c’était une dictature masquée. Dictature sanitaire, dictature policière, dictature capitaliste, on met ce mot à toutes les sauces. Et c’est dangereux, car face à une dictature, la violence est légitime.

Dans Une chambre en exil, vous racontez comment vous avez retrouvé à Bobigny l’islam politique que vous aviez fui en Syrie.

C’est le cas de beaucoup de jeunes : venus en France pour fuir l’islamisme, ils l’ont retrouvé ici. Mais ici, les islamistes sont plus dangereux, car ils sont libres. En Syrie, en 1982, à Hama, 30 000 personnes ont été massacrées par Rifaat el-Assad (l’oncle de Bachar). En France, on les laisse propager leur discours de haine sur les réseaux sociaux, ils peuvent même vendre des livres interdits en Syrie ! J’ai publié une enquête sur les librairies islamiques. C’est un autre monde qu’on laisse prospérer. Ces imams qui appellent à la haine de la France n’ont pas le courage de mettre les pieds au Maghreb ou dans n’importe quel pays musulman car, là-bas, ils sont tabassés. Ils profitent des faiblesses de notre démocratie. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas appliquer la démocratie, la loi, la justice, mais il faut être prudent et conscient de ce qu’ils font. Il faut le faire pour protéger les musulmans de France, pris en otage par cette idéologie.

Des Algériens nous disent qu’on emprunte la même pente que l’Algérie, des Iraniens, que la France, c’est l’Iran de 1979… Est-il minuit moins le quart ?

Oui ! Car une fois que les islamistes occupent un terrain, ils imposent leurs normes. Les islamistes sont intelligents, ils se préparent. Voyez comment ils étaient infiltrés en Syrie, c’est exactement ce qui se passe en France aujourd’hui. Ma grand-mère n’était pas voilée dans les années 1970, j’ai vu des photos d’elle à la plage, avec ses amis. Pour ma mère, ses parents ne savaient pas ce qu’est la « vraie religion ». C’est seulement après avoir perdu le combat contre Assad, en 1982, que les Frères musulmans ont commencé à noyauter la société, à se construire une base, sans doute une majorité. Ils ont diffusé des poèmes, des discours sur la valeur du voile chez une femme libre, etc. Petit à petit, le voile est devenu la norme sociale. En Syrie comme à Argenteuil.

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La dimension anthropologique centrale, c’est le contrôle du corps des femmes. Shemseddine a été tué parce qu’il échangeait avec une jeune fille ; Samara s’est fait tabasser parce qu’elle était en minijupe…

Ce que l’Église a fait en Europe au Moyen Âge, l’islam radical le fait aujourd’hui au Proche-Orient, et tente de l’imposer ici. Il instrumentalise et manipule le corps des femmes qui serait, en soi, une honte. Une femme qui commence à se découvrir serait le symptôme d’une société corrompue. Actuellement, 80 % des jeunes de moins de 14 ans ont déjà regardé du porno – y compris les jeunes musulmans. Paradoxalement, une prof de collège qui montre à ses élèves un tableau représentant Diane et ses amies nues est menacée de mort ! C’est lié à la frustration sexuelle et à la misogynie de la société patriarcale arabe. Des professeurs de lycée racontent qu’ils donnent des cours techniques sur la reproduction, mais se gardent bien de parler de sexualité par peur des élèves et des parents, alors que des jeunes filles le réclament !

Comment mener le combat aux côtés des musulmans qui veulent être français comme les autres ?

Il faut y aller. Être sur place, remplacer la parole des imams par celle de la laïcité. On dit que la nature a horreur du vide : une fois ces quartiers vides de culture, les imams et les extrémistes prospèrent. Ce sont eux qu’il faut remplacer.

Carte postale représentant la station balnéaire syrienne de Lattaquié au début des 1970. « C’est seulement après avoir perdu le combat contre Assad, en 1982, que les Frères musulmans ont commencé à noyauter la société syrienne… »

Peut-on dire : « colonisons nos quartiers » ?

Je dirai plutôt les réintégrer : il faut d’un côté que notre culture réinvestisse nos établissements scolaires et, de l’autre, il faut inonder les réseaux sociaux d’un discours laïque inspirant. Il faut montrer à ces jeunes que la laïcité est un sujet moderne, un sujet de jeunes. Il faut lui dire : c’est votre pays, vous êtes chez vous.

Allez donc dire ça aux profs qui craignent d’être agressés ou pire…

Vous avez raison. Personnellement, je me sens seul. Ceux et surtout celles qui osent parler mettent leur vie en jeu. Pendant que les néoféministes défendent l’écriture inclusive et le burkini, il y a dans nos banlieues des jeunes femmes courageuses en danger. Je les appelle les « vraies féministes ». Certes, ceux qui osent parler sont minoritaires, mais ceux qui en ont marre sont nombreux. Il faut les réveiller ! Ce qui nous manque, c’est l’union et la représentation. Il nous faut des associations et des politiciens. On a aussi besoin d’imams modernes, capables de réformer l’enseignement de l’islam.

Donc, la France que nous aimons ne va pas disparaître ?

Non ! Jamais ! Notre pays est attentiste, mais un jour il y aura une issue. La France est grande.


Omar Youssef Souleymane est écrivain. Il a notamment publié Une chambre en exil (2023) et Être français (2022), chez Flammarion.

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Article extrait du Magazine Causeur




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Elisabeth Lévy est directrice de la rédaction, Jonathan Siksou rédacteur en chef des pages culture

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