Nord: La chute de l’empire socialiste


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Leur sort était en principe scellé dès le soir du premier tour des élections régionales. Avec le retrait de la liste PS arrivée loin derrière celle de Marine Le Pen et de Xavier Bertrand, les six collaborateurs du groupe socialiste au conseil régional Nord-Pas-de-Calais perdaient du même coup une bataille électorale et leur emploi. Ainsi va l’alternance. Mais c’était compter sans Daniel Percheron, le président sortant, qui avant de tirer sa révérence leur a offert un généreux sursis en prolongeant leur CDD de six mois. Les contrats ont été signés entre les deux tours. La liste de ceux auxquels Daniel Percheron a tenu à laisser un bon souvenir, au frais du contribuable d’une des régions les plus pauvres de France, ne s’arrête pas là. Ainsi ce « conseiller technique » qui, après un long séjour au cabinet des maires PS de Tourcoing, fut l’éphémère directeur de cabinet de Martine Aubry avant d’être secouru par le « président » comme on a pris l’habitude de l’appeler dans son fief du Nord (voir encadré). Lui aussi jouera les prolongations durant six mois en conservant son salaire qui avoisinerait les 4 500 €. À quels postes seront affectés ces purs produits de l’appareil socialiste alors que la nouvelle assemblée régionale ne compte désormais que des élus de droite et d’extrême droite ?[access capability= »lire_inedits »] Nul ne le sait pour le moment, pas même les intéressés. On peut toutefois parier qu’ils sauront se fondre parmi les quelque 2 000 agents (hors techniciens et ouvriers de services) que comptait l’exécutif régional avant sa fusion avec la région Picardie.

Christelle faisait partie des collaborateurs du groupe socialiste au conseil régional Nord-Pas-de-Calais. Avant même la déroute électorale de son parti, sa décision était prise de tourner la page. « J’ai été naïve en pensant pouvoir faire bouger les choses» Elle est sur le point de partir étudier en Angleterre et se verrait bien ensuite travailler au sein d’une association humanitaire. À 36 ans, cette diplômée en sciences politiques, ex-secrétaire de section PS, élue municipale, est passée successivement au conseil départemental du Nord, au cabinet de l’ancien maire de Tourcoing, à l’union départementale des CCAS. Un parcours d’apparatchik somme toute assez banal dans le Nord, bastion d’un PS longtemps tout-puissant et qui procurait du travail à d’innombrables petites mains en les employant dans les collectivités locales. « Tous les partis fonctionnent comme ça », se défend Christelle. Reste que la campagne pour les régionales l’a convaincue de prendre ses distances avec le gratin socialiste local. Selon elle, ces régionales étaient pratiquement perdues d’avance. Elle déplore d’abord, comme beaucoup de militants, une grossière erreur de casting : le choix, pour conduire la liste, du fidèle parmi les fidèles de Martine Aubry, adjoint à la mairie de Lille et vice-président du conseil régional. « En voyant que c’était Pierre de Saintignon, les militants se sont posé des questions. Face à deux personnalités nationales comme Xavier Bertrand et Marine Le Pen, il ne faisait pas le poids. Franchement, qui connaît Pierre de Saintignon ? C’est avant tout un homme de dossier, qui, en plus, n’est pas toujours à l’aise lorsqu’il est au contact du public. » Christelle, qui ne pardonne pas à Martine Aubry de s’être dérobée à ses responsabilités en renonçant à mener la bataille des régionales, poursuit : « Ensuite, quand on a vu les quinze premiers noms sur la liste, on s’est rendu compte que les places d’éligibles étaient accaparées par des cumulards, députés-maires, et même un François Lamy parachuté de Paris qui doit avoir un appartement à Lille depuis 3 ou 4 mois… En fait, on a systématiquement barré la route à des jeunes pourtant prometteurs» Les barons locaux ont usé de leur influence et pesé de tout leur poids pour se tailler la part du lion. « Ça a créé d’énormes frustrations à l’interne. Les gens qu’on place, les promotions, les recommandations de certains élus en faveur de tel ou tel, les recyclages, les femmes des uns, les maris des autres… On est d’ailleurs nombreux à faire les mêmes constats. Mais ça reste entre nous. Devant les têtes d’affiche du parti, le discours doit toujours rester policé. »

Elle aussi est en rupture de ban avec le PS. Cette fonctionnaire de 50 ans, ancienne élue notamment au conseil régional préférant ne pas déroger au devoir de réserve en restant anonyme, est « toujours socialiste de cœur », mais elle a rendu sa carte car elle ne se reconnaît pas dans le PS d’aujourd’hui. Elle a été partisane d’Arnaud Montebourg et croit toujours en sa VIe République. « Moi j’arrête et je regrette que d’autres ne soient pas capables d’arrêter la politique. Ceux qui ont aujourd’hui 60, 70 ans ont pris le pouvoir dans les années 1980 et, depuis, ils ne veulent plus le lâcher. Ils ont éliminé tous ceux qui pouvaient les menacer, ils ont phagocyté les postes, ils ont su jouer de la carotte et du bâton. C’est ça aussi le socialisme municipal» Au lendemain du second tour des régionales, Dominique Baert, député-maire PS de Wattrelos, lui a répondu à distance en estimant que le renouvellement politique n’est pas l’urgence et qu’il ne fallait pas succomber au « jeunisme ».

La perte du conseil régional constitue le dernier épisode d’une série noire comme le PS n’en a jamais connu ici. En moins de deux ans, la plupart des grandes villes du Nord-Pas-de-Calais (Lille et Douai étant les notables exceptions), la communauté urbaine de Lille, le conseil départemental du Nord sont tombés dans l’escarcelle de la droite. Et il y a péril en la demeure. Car sans parler de la portée symbolique de ces échecs successifs sur ces terres du Nord, longtemps regardées comme des bastions socialistes inexpugnables, le PS se retrouve confronté à un double problème qui menace ni plus ni moins que son existence. Première conséquence concrète, la chute des revenus des fédérations départementales, notamment celles du Nord et du Pas-de-Calais, jusque-là parmi les plus puissantes du PS. Un élu reversant au moins 10 % de ses indemnités à son parti, les fédérations voient leur budget, au fil des défaites, se réduire comme peau de chagrin, ce qui limite leur marge de manœuvre pour remobiliser les troupes, ou ce qu’il en reste. La « fédé » du Nord, dont les effectifs ont longtemps tourné autour de 10 000 adhérents, en affiche à peine 3 500 aujourd’hui.

Bien sûr, tout n’est pas encore perdu. Des décennies à la tête des exécutifs territoriaux ont permis d’installer solidement des hommes dévoués à des postes clés, et surtout de veiller à ce que les leviers de commande restent entre de bonnes mains. Et notamment le logement social, véritable chasse gardée. Ce secteur en pénurie chronique, habilement géré, peut en effet fournir une clientèle reconnaissante à ceux qui en détiennent les clés. Personne ne s’est étonné, il y a quelques mois, lorsque Alain Cacheux, ancien député, ancien adjoint à la mairie de Lille, a cédé son fauteuil de président de LMH – premier bailleur social de la métropole lilloise – à Didier Mannier, ancien président du conseil départemental du Nord, aujourd’hui conseiller municipal et conseiller à la métropole lilloise. En dehors de ce contrôle direct, les élus ont su, du temps où ils étaient aux affaires, cultiver des relations avec des partenaires habituels des collectivités locales et enrichir un carnet d’adresses devenu particulièrement précieux en période de vaches maigres. Après la déroute aux dernières municipales, le maire socialiste de Tourcoing, battu, a pu ainsi retrouver un avenir professionnel comme chargé de mission à la Caisse des dépôts.

Si certains ont su se mettre à l’abri avant le naufrage, les mois qui viennent s’annoncent très rudes. Il sera maintenant extrêmement difficile pour les élus socialistes sans mandat et leurs équipes de collaborateurs – souvent pléthoriques – de trouver une branche à laquelle se raccrocher, alors que les grosses collectivités locales penchent à droite. Dans ces conditions, on ne voit pas ce qui pourrait stopper la spirale du déclin du PS. Sa force d’attraction dans le Nord tenait pour beaucoup à sa capacité à distribuer avantages et récompenses aux « militants » qui se confondaient souvent avec des clients, sachant se rendre utiles en échanges de facilités et avantages divers : logement, emplois, honneurs, subventions… Ces adhérents dits « alimentaires » ont été les premiers à déserter un parti en perte de vitesse et ils laissent un grand vide. Ceux-là commencent à aller voir en face ce qu’on a à leur proposer. Quant aux socialistes de conviction, exaspérés par les combinaisons des caciques locaux et déboussolés par le libéral-socialisme de François Hollande, ils veulent croire que la nouvelle percée de Marine Le Pen dans leur région provoquera un sursaut moral. Le FN comme électrochoc salutaire au PS. Probablement le traitement de la dernière chance.

 

Quelque chose de Mitterrand (encadré)

Durant ses trois mandats à la tête de la région Nord-Pas-de-Calais, le sénateur Daniel Percheron aura incarné jusqu’à la caricature la confusion des genres. Un mélange trouble fait de fidélités claniques, d’intérêt personnel et de dévouement aux intérêts supérieurs du Parti. Il faut reconnaître à cet ancien professeur d’histoire-géographie une éloquence charmeuse et un sens politique hors du commun, en tout cas à plusieurs coudées de ses rivaux locaux. On raconte que François Mitterrand le tenait en grande estime. Peut-être avait-il reconnu en lui un alter ego. Et c’est vrai que les points communs ne manquent pas entre les deux hommes. Daniel Percheron appartient lui aussi à la catégorie des insubmersibles. Et si quelques affaires ont émaillé son parcours politique, il a toujours su s’en tirer indemne, choisissant de prendre des libertés avec la morale plutôt que de renier ses amis. N’a-t-il pas défendu bec et ongles, son compagnon de quarante ans, Jean-Pierre Kucheida, le député-maire corrompu de Liévin condamné par la justice?

Daniel Percheron a largement ouvert le conseil régional aux recrutements en n’oubliant jamais sa famille socialiste. Ni sa famille tout court. C’est ainsi qu’il y a quelques mois le très informé site indépendant DailyNord, contrepoint indispensable au conformisme de la presse quotidienne régionale, révélait que sa fille Elvire avait été embauchée comme numéro 3 du musée du Louvre-Lens, un établissement culturel de grande envergure financé notamment par la Région.[/access]

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00730818_000006.

Janvier 2016 #31

Article extrait du Magazine Causeur



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