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Mélangeons les genres !


Je vous le concède, la ficelle est un peu grosse. Parler sexe pour appâter nos lecteurs et concitoyens au moment où ils s’adonnent à la religion de la mer et du soleil, cela semble assez convenu. Croyez-le ou pas, en choisissant cette « une », nous n’étions pas seulement animés par de basses (mais légitimes) préoccupations mercantiles, mais par le souci de coller à « l’actualité ». N’ayez crainte, nous n’allons pas vous infliger nos dernières divagations sur les rebondissements de l’affaire DSK, aussi fertiles soient-ils pour l’imagination. Que chacun se sente libre d’écrire la fin de la pièce à sa guise, cela fera un épatant devoir de vacances, valable de 7 à 77 ans.

Il s’agit d’autre chose. Les heurs et malheurs (ou l’inverse) de l’ex-patron du FMI ont eu pour effet collatéral de faire ressurgir l’équation la plus énigmatique, la plus compliquée et la plus simple de l’histoire du monde : celle qui définit les relations entre les hommes et les femmes en fonction de lois cachées, erratiques, absurdes et imprévisibles.

Nous n’avions pas conscience, quand le titre de ce numéro est sorti d’un pil-poul collectif, de frapper dans le mille – encore que nous aurions sans doute dû parler de la « Quadrature des sexes ». Et pourtant, par glissements successifs d’une indignation à l’autre, nous sommes passés d’un fait divers shakespearien au procès de l’hétérosexualité, criminelle et violente par nature, et, dans la foulée, à la dénonciation de la différence des sexes, croyance comparée aux élucubrations créationnistes, ce qui est savoureux car ceux qui contestent l’existence de cette différence rejettent en bloc la biologie, finissant généralement par exiger pour tous et toutes le droit d’enfanter à volonté.[access capability= »lire_inedits »]

Au bout du compte, ce qui est en jeu, c’est bien de savoir s’il y a encore une vérité dans le fait de se penser « homme » ou « femme » ou si l’humanité doit enfin se délivrer de ces « constructions sociales » pour enfin « déconstruire l’hétéro-sexisme », dont Carine Favier, présidente du Planning Familial, et Louis-Georges Tin nous rappellent qu’il est « une police des genres destinée à rappeler à l’ordre symbolique les individus. » (Libération, 23 juin). Il est préférable, en effet, de les rappeler à l’ordre idéologique.

Très vite, une escouade de féministes et une escadrille de commentateurs, épaulés par une armée de journalistes unissent donc leurs faibles forces contre les spectres de l’obscurantisme et du patriarcat dont l’affaire DSK a montré qu’ils étaient toujours remuants. Didier Eribon à qui on ne la fait pas comprend toute de suite qu’au-delà des offenses faites aux femmes, on assiste à une nouvelle offensive de la « révolution conservatrice ». L’objectif est de restaurer « un ordre qui repose sur l’inégalité, la hiérarchie et la domination (des hommes sur les femmes, de l’hétérosexualité sur l’homosexualité…) » – où a-t-il la tête, et la domination des patrons sur les ouvriers, des blancs sur les noirs, il en fait quoi ?

Entre le « viol conjugal » et le clitoris, faut-il vraiment choisir ?

Déployant toute la panoplie de la hargne victimaire, ces nouvelles dames-patronnesses dont beaucoup sont des hommes s’emploient à démontrer à quel point le mâle est une malédiction. Il est amusant de voir les journaux les plus respectables, tous dirigés par des hommes blancs, ce que je me garderais de leur reprocher, rallier la croisade contre « La France des machos » avec le zèle de bourgeois tentant de faire oublier par leur fanatisme leurs origines non-prolétariennes.

Il faut dire qu’à écouter les copines, on finit par avoir le cafard. Nos mecs ne font pas la vaisselle, ils ne voient rien quand on a perdu 800 grammes après trois mois de régime à une seule tablette de chocolat par jour – c’est ce qu’on appelle le harcèlement moral -, ils regardent nos lolos avec des airs vicieux, ils nous flanquent des baffes pour un rôti trop cuit et en prime, ils nous violent. Et j’allais oublier, ils ont beau courir le jupon, ils ne savent toujours pas ce qu’est un clitoris et encore moins où ça se trouve.

J’avoue avoir longuement hésité entre le « viol conjugal » et le clitoris – on peut pas avoir les deux ? De toute façon, c’est le même sujet. Le Collectif féministe contre le viol a donc lancé une grande campagne contre le « viol conjugal » – dont on a appris, dans le clip diffusé sur nos chaînes de télévision, qu’il représentait la moitié des viols commis en France. Statistiques réalisées, si j’ose dire, au doigt mouillé, mais néanmoins ânonnées comme des vérités scientifiques. Sachez donc, Mesdames, que quand votre chéri se montre un peu pressant, au lieu de trouver cela charmant, flatteur, voire, in fine fort agréable, ou même de l’envoyer sur les roses, vous pouvez porter plainte : il est passible de la Cour d’Assises. On se demande pourquoi les femmes attendent en moyenne quatre ans pour dénoncer cet odieux forfait – au moment du divorce peut-être ?

Impossible, cependant, de faire l’impasse sur le « clito », puisque c’est en exhibant la photo assez peu engageante de l’intimité féminine que nos pleureuses-vengeresses sont arrivées au deuxième temps de la démonstration : les filles, pas besoin des hommes ! Certes, « Osez le Féminisme » est un groupuscule ridicule dont les outrances embarrassent pas mal de féministes historiques. Mais sa chef, l’aimable Caroline de Haas, responsable de la communication de Benoît Hamon spécialiste mondiale du partage des tâches ménagères, est aussi le nouveau visage du féminisme décomplexé. Aussi a-t-elle inspiré les auteurs de Causeur.

Le happening baptisé « Osez le Clito ! » visait donc à « parler et à faire parler » des plaisirs sexuels des femmes. Apparemment, ses organisatrices ne savent pas que dans ce domaine, plus on parle, moins on fait. Mais revenons-en au scandale : « cet organe essentiel du plaisir sexuel est souvent oublié, nié, voire mutilé ». Résultat, on oublie que « les sexualités des femmes sont multiples, peuvent se vivre en dehors de toute procréation » et surtout, « ne sont pas forcément complémentaires des sexualités masculines ». Nous y voilà ! Lucie Sabau, l’une des responsables de cette dinguerie précise que « le clitoris à 10.000 terminaisons nerveuses…bien plus que le pénis. ». Puisqu’on vous dit qu’on en a une plus grosse que la vôtre.

Tout ce petit monde veut le bien de son prochain et aimerait rééduquer les malheureux qui tiennent à ce quelque chose qui s’appelle la virilité et les malheureuses qui aiment ça. Pour commencer, les hommes doivent apprendre à être des femmes comme les autres. À part l’autocritique publique, déjà pratiquée sur les plateaux, et l’obligation du congé paternel, il faut faire du cas par cas. À moins qu’on opte pour la méthode adoptée par je ne sais quel pays scandinave qui interdit aux hommes de sortir seuls le soir. Avec les femmes qui s’adonnent à la servitude volontaire, c’est plus compliqué. Comment voulez-vous m’empêcher de penser, quand je vois des footballeuses avec shorts et crampons, que « le foot, c’est quand même un truc de mec » ? En attendant, on pourrait toujours obliger Sophie Flamand à quitter sa cuisine, puisqu’elle aime ça, et l’obliger à abîmer ses jolis ongles manucurés sur la tondeuse.

Pour résoudre l’équation des sexes, il existe donc schématiquement deux types de solution – qui vous permettront de savoir, selon celle qui a votre préférence, si vous êtes ou non irrécupérable pour la modernité.

Désormais, chacun est ce qui lui plait

Si on pense que « les hommes et les femmes c’est pareil », on croit aussi que la démocratisation radicale de toutes les dimensions de l’existence de tous les humains est notre horizon indépassable. Pour régler le problème, il y a une formule simple : Tous égaux, tous libres. Non seulement la domination, la possession, l’aliénation et toute forme de pouvoir ont disparu de ce Royaume réalisé de l’harmonie des sexes, mais plus aucun individu ne devra être assujetti au sexe de sa naissance : chacun choisira le genre qui lui convient. Chacun est ce qui lui plait. D’ailleurs, vos ados l’apprendront bientôt en Sciences naturelles puisque le programme de 1ère comporte un nouveau chapitre intitulé « Devenir homme ou femme ». C’est bien ça. On ne naît pas homme ou femme, on le devient – et désormais à volonté, pas comme au temps de Simone de Beauvoir, sous le joug d’une éducation patriarcale et de préjugés réactionnaires. Notons au passage qu’il est en revanche universellement admis qu’on naît victime, c’est-à-dire doté d’une créance morale sur la société.

Jouir de la séduction sans se perdre dans la soumission

Quand on persiste à croire à l’altérité sexuelle, soit parce qu’elle semble reposer sur de solides bases concrètes, soit parce qu’elle fait le charme de l’existence, on a plutôt tendance à penser que l’amour a partie liée avec la guerre parce que les hommes et les femmes ne désirent ni n’aiment de la même façon. « Il n’y a pas de rapport sexuel », comme disait Lacan. Ainsi un homme peut-il amoureusement dire à une femme « Je veux te baiser », alors que si elle le lui dit, la phrase peut prendre un tout autre sens. D’où la recherche permanente, écrit Cyril Bennasar, d’un compromis, d’un « troc entre les cœurs et les sexes pour que les hommes restent relativement libres et les femmes exclusivement aimées. ». Pour autant, nous autres Modernes savons aussi échanger les rôles, jouer avec les stéréotypes, gagner sur un front ce que nous perdons sur l’autre, bref, jouir de la séduction sans se perdre dans la soumission.

Dans la même perspective, David Di Nota observe que « le malentendu homme/femme est la part la plus précieuse de l’hétérosexualité ». Aussi souhaite-t-il aux couples homosexuels « d’explorer les recoins du malentendu matrimonial, et ce jusqu’au vertige. » Il n’est sans doute pas fortuit que tous les auteurs de Causeur, même ceux les plus fermement ancrés à gauche, se soient spontanément rangés de ce côté. Nos détracteurs trouveront-là une preuve supplémentaire de nos indécrottables penchants conservateurs. On peut aussi y voir le signe d’un attachement commun à la division, aux conflits, aux contradictions, aux ambiguïtés de l’existence – en somme à l’Histoire telle que la définit Muray.

En s’attaquant frontalement au dogme de l’égalité, Claude Habib fait dans ces colonnes une arrivée retentissante. Après avoir ferraillé dans Libération avec Joan Scott, féministe américaine qui a l’avantage d’être parfaitement conforme à la caricature qu’on attend, et avec Didier Eribon, l’auteur de Galanterie française frappe droit dans la cible : « La revendication d’égalité dans les choses de l’amour – qu’il s’agisse des plaisirs éphémères ou de l’engagement durable – est un des alcools forts du féminisme », écrit-elle. Or, poursuit-elle, cette revendication est à la fois irrésistible et déplacée. Irrésistible parce que « l’égalité est notre credo démocratique ». Déplacée parce que « le désir se moque entièrement de l’égalité. » Que cette inégalité érotique doive aujourd’hui se concilier avec la recherche de l’égalité dans tous les autres domaines, que la domination ne cesse de changer de camp, on ne peut que s’en réjouir.

Au terme d’un retournement paradoxal, les opinions affichées aboutissent à des options existentielles inattendues. Les amateurs de la guerre amoureuse s’obstinent à trouver avec l’ennemi des accommodements parfois déraisonnables alors que les tenants de l’égalité absolue qui croient à des rapports intégralement pacifiés, finissent par prôner une séparation radicale qui réaliserait la prophétie de Vigny dans La Colère de Samson : et se jetant de loin un regard irrité, les deux sexes mourront, chacun de son côté. Nous, on préfère la paix – armée – entre les sexes, c’est pour ça qu’on prépare la guerre.[/access]

Juillet-août 2011 . N°37 38

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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