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Mélange des genres


« Le Sénat interdit le mariage homosexuel. » Ce titre, pêché il y a quelques jours sur Internet, m’a flanqué une petite frayeur. Je venais d’apprendre que deux Taïwanaises préparent la cérémonie bouddhiste qui les déclarera « femme et femme »[1. Bien que Taïwan ne reconnaisse pas le mariage gay.], et qu’en Argentine, n’importe quel citoyen peut modifier légalement son sexe et son prénom de naissance – ainsi Mathilda peut-elle porter la moustache et Roberto le jupon. Et dans notre pays, on continuerait à priver des hommes et des femmes qui s’aiment des douceurs de la conjugalité (donc du droit de divorcer façon Guerre des Rose) ? Désespérant.
Et puis, j’ai découvert avec soulagement que c’est le Sénat libérien qui s’oppose à cette avancée (il faut croire que l’homme libérien n’est pas entré dans l’Histoire). Chez nous, les gentils sont au pouvoir. La preuve, ils sont contre les méchants – riches, machos, dictateurs, chauffards. Mais ce qu’ils aiment par-dessus tout, c’est la justice. Sans aller cependant jusqu’à se demander s’il est juste qu’un délinquant condamné 63 fois soit libre de commettre un 64e forfait[2. À Avignon, un jeune homme de 18 ans déjà « titulaire » de 63 condamnations, a été récemment jugé pour une agression sexuelle.]. Passons.

La justice, pour les « humanistes » qui nous gouvernent, c’est donc l’extension indéfinie de tous les droits à tous. La loi du « C’est mon choix ».[access capability= »lire_inedits »] Puisqu’ils s’aiment comme papa-maman, les homosexuels doivent pouvoir faire tout comme papa-maman. C’est normal, non ? En réalité, les socialistes ne font que suivre le mouvement initié par l’avant-garde éclairée et associative de la société. Najat Vallaud-Belkacem, championne des causes incontestables et porteuse de parole en chef, qui a participé à Lyon à la « Marche des fiertés lesbiennes, gays, bi et trans », les a encouragés à poursuivre la mobilisation : « Il faut que vous continuiez à servir d’aiguillon pour le gouvernement comme pour la société. La société évolue, il faut qu’elle évolue encore davantage. » Oui ! Plus vite ! Plus loin ! Il faut en finir avec le retard français ! Dans l’entretien qu’il a accordé à Gil Mihaely, Jean-François Kahn estime que, sur les questions de mœurs, la France a rompu avec les valeurs de 1968. En ce cas, c’est sans doute la honte qui pousse plus de 60 % des sondés à se déclarer favorables au mariage gay.

Le Premier ministre a donc confirmé que dès 2013, le mariage et l’adoption seront ouverts à tous, tandis que la lutte contre « les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre » sera renforcée. Ce n’est pas rien, mais un porte-parole de l’Inter-LGBT a promptement déploré que Jean-Marc Ayrault n’ait pas annoncé l’ouverture de la procréation médicale assistée aux couples de lesbiennes. Et s’inquiète déjà à l’idée de se voir imposer le mariage bourgeois : « Nous voulons pouvoir fonder une famille sans passer par la case mariage, comme tous les couples. » On peut compter sur les forces obscurantistes pour tenter d’empêcher, par exemple, la reconnaissance par l’état d’un ou plusieurs “parents sociaux” qui s’ajouteraient aux parents biologiques – imaginons le délicieux casse-tête posé par l’organisation du droit de visite après la séparation d’un « trouple »[3. Pour les mal-comprenants, un « trouple » est un couple à trois.] franco-germano-turc…

Il arrive cependant que des droits nouveaux s’épanouissent dans un vide juridique, comme en témoigne la belle histoire de Joanna et Jenny qui convoleront à Auch en septembre, avant même le vote de la nouvelle loi. Il y a quelques années, Joanna était chauffeur-routier et s’appelait Joan – on suppose que le prénom de Jenny était Jeannot. L’un et l’autre ont décidé de se « mettre en conformité avec leur moi profond », ce qui suppose bien sûr une reconnaissance officielle, où irait-on si chacun devait se débrouiller avec son moi ? Seulement, l’administration tracassière n’a pas encore accordé à Joanna son changement d’état-civil. Ces deux hommes devenus femmes (et lesbiennes) pourront donc se marier en toute légalité (et en robes blanches), puisque pour l’état-civil, l’une d’elles est encore un homme. Reste à savoir si ce mariage sera va­lable lorsque Joan sera officiellement Joanna. Bref, le combat ne fait que commencer pour que soit enfin abolie la différence des sexes qui fige les identités (voir l’article de Paul Thibaud sur le dernier livre de Sylviane Agacinski). C’est mon choix, vous dis-je ! Dans le nouveau monde, chacun est ce qui lui plaît.

Tous les adultes consentants du monde peuvent mener la vie sexuelle et sociale qui convient à leur moi profond. Que la loi permette de sécuriser les si­tuations concrètes nées de la vraie vie, fort bien. Mais à répéter que les réformes sociétales n’étaient que des diversions destinées à faire oublier que le logiciel économique de François Hollande ne diffère guère de celui de son prédécesseur, on n’a pas vu que le mélange de morale bourgeoise, de sentimentalisme de dame-patronnesse et de progressisme échevelé qui, sur ces questions, tient lieu de pensée à la gauche, pouvait changer non pas la société ni même la vie, mais l’humanité elle-même. Il paraît que la méthode Hollande, c’est de consulter à tout-va. Alors, j’aimerais bien qu’on me demande mon avis. Parce que semer la pagaille dans la filiation et détruire le socle symbolique sur lequel nous nous tenons depuis quelques millénaires, c’est pas mon choix.[/access]

*Photo : Thomas Locke Hobbs

Juillet-août 2012 . N°49 50

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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