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McCarthy en Série Noire


McCarthy en Série Noire
Alan H. Posner, The argyle secrets, 1948.
Alan H. Posner, The argyle secrets, 1948
Alan H. Posner, The argyle secrets, 1948.

Il est difficile d’imaginer la terreur tranquille que fait régner Didier Daeninckx dans le roman noir français. Celui qui fut l’un des grands du polars dans les années 1980, s’attachant, non sans talent, à ressusciter des épisodes oubliés, et même refoulés, d’une histoire récente comme la grande ratonnade d’octobre 1961, dans Meurtres pour mémoires, est devenu le McCarthy d’un milieu où l’on ne peut se passer de son onction quand on veut être invité dans les festivals ou convié à animer des ateliers d’écriture, ces derniers étant le pain quotidien ou presque des forçats de l’Underwood ou plutôt du MacBook.

Dans le milieu du polar où l’antifascisme, sans doute sincère au début, est vite devenu une niche commerciale bien pratique, qualifiant automatiquement ses porte-drapeaux pour jouer les reines de beauté dans le camp du Bien, Didier Daeninckx pratique périodiquement, lui, l’attaque disqualifiante. Untel est un facho, untel est ami d’un facho, untel est l’ami de l’ami d’un facho et untel a édité, préfacé un facho ou correspondu avec lui.

[access capability= »lire_inedits »]Le problème, c’est que les adversaires de Daeninckx ne sont pas d’extrême droite. Pas plus que les généraux fusillés par Staline n’étaient vendus aux nazis.

Il voudrait qu’ils le soient, nuance. Il procède donc régulièrement à des purges dans son propre camp, politique et littéraire. Il a accusé les uns d’être rouge-brun à l’époque de L’Idiot international de Jean-Edern Hallier puis, au milieu des années 1990, s’en est pris aux autres, soupçonnés d’être révisionnistes et même négationnistes au prétexte qu’ils avaient côtoyé, avant de s’en séparer très vite, un libraire, ancien autonome, ayant sombré dans un délire putride sur les camps de la mort. Pour se laver des accusations de Daeninckx, les accusés ont dû alors faire appel à Pierre Vidal-Naquet − rien que ça.

Ces accusations, évidemment infondées, ont parfois même conduit à des affrontements physiques (oh, rien de bien sérieux, nous sommes en France) comme lors du salon de la Bastille, en 2001, et à un certain nombre de procès en diffamation (nous sommes en France, aussi, sur ce point-là, il n’y a pas de doute).

Ceux qui ont résisté à Didier Daeninckx sont ceux qui peuvent ou pouvaient espérer une survie alimentaire et professionnelle hors du milieu du polar. Thierry Jonquet, paix à son âme, était de ceux-là. Mais aussi, par exemple, Serge Quadruppani, qui ne se contente pas d’être un bon écrivain mais aussi un remarquable directeur de collection, traducteur de l’italien qui fait passer le meilleur de la production noire transalpine chez Anne-Marie Métaillé. Il faut savoir qu’un salon du Polar sur deux est parrainé à un moment ou à un autre par Didier Daeninckx, qui ne retrouve rien à redire au fait qu’on le nomme à tout bout de chant « pape » du polar. Pourtant, en suivant sa logique, pape fait référence à Benoît XVI, Benoît XVI aux Jeunesses hitlériennes, donc toute personne l’appelant « pape du polar » est probablement lui-même un jeune hitlérien cherchant à le déstabiliser.

Il faut savoir aussi qu’il peut encore arriver, plus de quinze ans après les accusations de Daeninckx, que Quadruppani se retrouve interdit de salon comme ce fut le cas, encore récemment, pour une de ces manifestations, qui va se tenir dans le Sud-Ouest de la France, où l’éditrice elle-même a renoncé à venir, par solidarité avec son directeur de collection, devant une mystérieuse fin de non-recevoir des organisateurs.

La dernière affaire en date est née de la réédition, par Baleine, d’un roman de François Brigneau. Ce qui a suscité l’ire de notre purificateur. Il est certain que l’exhumation de ce polar de 1947, écrit par l’un des noms les plus connus de l’extrême droite française, quand bien même il s’agirait d’un document plutôt bien vu sur l’argot et l’atmosphère d’une époque, y compris dans le racisme vintage, relevait largement de la provoc, surtout si l’on songe que cette maison d’édition fut celle du Poulpe, ce héros récurrent de polars libertaires, que Daeninckx et Pouy portèrent sur les fonts baptismaux.

Le moins qu’on puisse dire – quand on est poli −, c’est que Daeninckx a sur-réagi : indignation pétitionnaire partout sur le Net, invention d’un droit de retrait des auteurs de Baleine pour ne pas figurer à côté d’un ancien milicien au catalogue. Il est vrai qu’à 86 ans, Brigneau représente une vraie menace pour la démocratie : c’est sûrement de sa faute si le Front a fait des scores à deux chiffres dans les régions où il a pu se maintenir.

La pétition a été plutôt moyennement suivie par les auteurs de Baleine. C’est qu’ils ne peuvent pas tous, comme Daeninckx, se replier fièrement chez Gallimard et sa collection Folio/Policier.

Gallimard, vous savez : l’éditeur de Rebatet, Céline, Drieu, Nimier, ADG, ces grands antifascistes.[/access]

Avril 2010 · N° 22

Article extrait du Magazine Causeur



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