
Il ne faut pas croire que nous soyons les seuls, en France, à bénéficier d’une police de la pensée et de la parole fonctionnant à la satisfaction générale. Dans ce domaine, c’est vrai que nous ne sommes pas trop mauvais : Georges Frêche, Eric Zemmour, Philippe Bilger, comme auparavant Alain Finkielkraut, ont été cloués au pilori numérique et médiatique pour quelques propos incorrects ou supposés tels. Peu importe qu’ils aient été, souvent, sortis de leur contexte ou rapportés bien longtemps après leur émission, ils vouent leurs auteurs au quart d’heure d’infamie, l’inverse du quart d’heure de célébrité warholien.
Ce que disent ces gens-là de la surreprésentation de certaines catégories de la population dans les établissements pénitentiaires ou les équipes de football en fait des traîtres à leur classe, celle des élites intellectuelles et médiatiques, car ils parlent comme le peuple au lieu de lui faire la leçon. Peu importe si leur constat présente quelques analogies avec la réalité, ils n’ont même pas le temps de tirer les conséquences politiques, philosophiques ou sportives de leur perception du réel.
[access capability= »lire_inedits »]Ils sont immédiatement convoqués devant le tribunal de la pensée correcte, sommés de s’expliquer, de s’excuser, de faire amende honorable et de promettre qu’ils ne recommenceront plus. Le simulacre devient la règle pour donner à cette mise au pli le caractère spectaculaire propre à inspirer la crainte aux éventuels émules des délinquants du verbe et de l’écrit. La convocation de Zemmour par la direction du Figaro ressemble, pour de faux, bien sûr, aux simulacres d’exécution auxquels on procédait jadis.
Ceux qui gémissent sur le déclin du rayonnement de la France en Europe et dans le monde trouveront un motif de satisfaction en prenant connaissance de la mésaventure dont vient d’être victime le chef de la droite tchèque, Mirek Topolanek, descendu en flammes en pleine campagne législative au pays du Brave soldat Chvéïk. Ayant consenti à poser pour une série de photos pour le magazine Lui, équivalent tchèque de Têtu, il s’est laissé allé à échanger quelques propos avec ses hôtes pendant qu’il se faisait shooter sous toutes les coutures. Il s’en est pris en ces termes à l’Église catholique : « Dans le christianisme primitif, il n’y avait pas d’Église. L’Église a pris le pouvoir par l’abêtissement des masses, par le brainwashing [lavage de cerveau]. C’est de cette façon que l’Église a pris le pouvoir sur les gens et sur leurs cerveaux. Elle a utilisé le christianisme comme un instrument de pouvoir. Mais le christianisme lui-même n’est pas nocif. » Bon d’accord, c’est un peu court comme interprétation de deux mille ans d’histoire politique et religieuse, mais cela mérite-t-il le bûcher ? Il s’est également lâché contre le premier ministre, Jan Fischer, en faisant allusion à ses origines juives, et au ministre des transports en évoquant son homosexualité. Ce n’est pas bien du tout, mais comme on n’a pas le verbatim exact de ces paroles colportées de taverne en taverne par les gens de Lui, il est bien difficile de faire la part des choses et de prononcer sur le champ l’excommunication morale de Topolanek pour crime d’antisémitisme et d’homophobie.
Tout cela, bien sûr était en parfait « off » mais, dans l’heure qui a suivi, tout Prague bruissait des dérapages de « Topo », qui a été alors prestement débarqué de la tête de liste de son parti pour les élections législatives de mai. Ce même Topolanek avait survécu politiquement à la publication de photos volées le montrant en train de se doucher, nu, en compagnie de demoiselles fort dévêtues dans l’une des propriétés de son ami Silvio Berlusconi. Ainsi se dessine en creux la morale de notre XXIe siècle.[/access]
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