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Marine, allons voir si la rose…


Marine, allons voir si la rose…
photo : Ernest Morales
photo : Ernest Morales

Marine Le Pen fait peur. À la droite, qui l’accuse de siphonner le vote méridional, traditionnellement acquis aux tenants de l’ordre et de la sécurité. Preuve de cette trouille aiguë, le collectif parlementaire Droite populaire souffre d’incontinence électoraliste. Obsédés par leur réélection, les Vanneste, Mariani et Luca durcissent toutes les lois comportant les mots « immigration », « étranger » et « sécurité », sans s’embarrasser de détails sur le sens de l’intérêt général ou l’efficacité de l’inflation législative.[access capability= »lire_inedits »]

La Le Pen 2.0 affole aussi la gauche, qui assiste médusée à la captation de son ancien électorat populaire par la nouvelle capitaine du paquebot frontiste. Croyant détenir le monopole du cœur, les sociaux-libéraux à l’âme immaculée rappellent le credo reagano-thatchérien et les outrances verbales du Jean-Marie Le Pen des années 1980. Ils espèrent ainsi se rassurer à bon compte et se refaire une santé sur le dos des CSP +, pariant sur l’effet de balancier électoral censé suivre la faillite idéologique du sarkozysme. Un clou chassant l’autre, le « Tout sauf Sarkozy » assurerait la victoire de la gauche comme, jadis, le bilan inexistant de Chirac devait garantir un succès annoncé à Jospin. Qui se souvient du 21 avril 2002 ? Au PS, l’ancienne clique des jospiniens et la cohorte des battus. En ont-ils pour autant tiré les leçons ? Rien n’est moins sûr. En culpabilisant les électeurs de Chevènement ou Taubira, les socialeux démontrent à qui en doutait encore qu’ils n’ont rien compris. Marine, quant à elle, n’a pas oublié les vieux chiffres cruels : seuls 9 % des ouvriers avaient voté Jospin et 1 % soutenu leur ancien tuteur communiste !

Spéculer sur la médiocrité ambiante

Quelques Cassandre gardent en mémoire le colloque sur le vote Le Pen qui s’était tenu il y a plus de quinze ans à l’initiative du Mouvement des citoyens. Jean-Yves Autexier, ex-député chevènementiste, situait alors la montée du Front national à la confluence de trois phénomènes. En marge, les 0,5 % d’authentiques racistes cohabitaient avec 4 ou 5 % d’ « obsédés de l’ordre » − cible ostensible de la Droite populaire − alors que le gros de l’électorat frontiste exprimait un ras-le-bol populiste non dénué de fondements. Dans son explication, les déclassés creusois partageaient avec les derniers prolétaires du 20e arrondissement un même sentiment de lassitude et d’exclusion. L’impression d’être une classe-pour-soi ignorée, voire dénigrée par la masse des politiques, droite et gauche confondues, et que seul Le Pen semblait considérer comme une classe-en-soi, fût-ce à coups d’antifiscalisme poujadiste. En face, la gauche peinait à construire une réelle alternative au post-gaullisme libéral, laissant les ouvriers dans les oubliettes de l’histoire pour épouser le mythe de la « troisième voie » travailliste. Déjà, Autexier prédisait d’un air sibyllin : « Si, demain, la gauche devait se résumer à l’Europe plus les droits de l’homme, eh bien craignons que, pour les couches populaires, l’exode vers l’extrême droite ne s’interrompe pas. »

Quinze ans après, rien n’a changé ou si peu. Le devoir d’inventaire jospinien s’est résumé à un approfondissement du mondialisme mitterrandien. L’euro, passé par là, a sonné le glas de notre souveraineté monétaire au prix d’un million d’emplois. Hollande et Sapin n’ont pas de mots assez durs pour fustiger le manque d’orthodoxie financière du dispendieux Sarkozy. L’abolition du bouclier fiscal, la création d’une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu et l’approfondissement d’une Union Européenne bourreau des peuples tiennent lieu de viatique à un Parti postsocialiste qui ne veut plus « changer la vie ». À peu de choses près, Borloo, Bayrou, Villepin et Aubry poursuivent les mêmes fins : l’intégration de la France à la mondialisation euro-libérale, badigeonnée de vivrensemble sirupeux pour mieux faire passer la pilule. Des différences de degré, et non de nature, comme se plaît à le répéter la pasionaria du FN. Du pain bénit pour Marine Le Pen, qui a enterré médiatiquement tous ses concurrents populistes. Mélenchon, le républicain grande gueule qui garde un combat laïque de retard, paraît condamné à incarner la caution sociale du PS. Malgré toutes ses dénégations, le Front de gauche ressuscite la propension popereniste de jouer les éternels cocus gauchistes de la sociale-médiocratie. Quant aux miettes du trotskisme, empêtrées ou non dans la démagogie communautariste, leurs porte-voix n’ont plus que les yeux pour pleurer.

Arithmétiquement, la grammaire des chiffres fait craindre le pire à un PS sclérosé par sa tiédeur réformiste inaugurée par le virage de 1983. Contrairement à Nicolas Sarkozy, les socialistes ne disposent pas d’un réservoir de voix les qualifiant mécaniquement pour le second tour. À moins de contester la doxa libre-échangiste des patrons de l’OMC et du FMI, le candidat néo-socialiste pourra dire adieu au vote des exclus de la mondialisation tant chouchoutés par Marine Le Pen. Gageons que la gauche de la gauche annexera une nouvelle fois la clientèle des petits fonctionnaires et des banlieues, dernier réduit d’un sociétalisme moral qui confond socialisme et bons sentiments.

Le multiculturalisme, ambroisie des élites, cauchemar des couches populaires

Forte de son prénom, l’héritière souhaiterait surfer sur les renoncements de la gauche pour recomposer le paysage politique autour du clivage « nationaux » vs « mondialistes ». Que le logiciel mariniste ne tienne pas encore debout n’a pas grande importance. L’essentiel réside dans la justesse des constats. Parfois à traits grossiers, Marine pose les bonnes questions là où ses rivaux rivalisent de lâcheté. Certes, son acharnement à considérer les allocataires d’aides sociales comme majoritairement étrangers ainsi que son anti-syndicalisme primaire laissent percer l’insincérité de sa mue gaucho-assimilationniste. Prétendre s’opposer au capitalisme mondialisé sous le seul prisme des mouvements de personnes et de capitaux confine à l’imposture. Quid du partage de la valeur ajoutée et de l’exploitation des travailleurs en régime national-libéral ? Il est un peu facile de faire porter le chapeau à Gollnisch pour toute réponse à qui passe le programme frontiste au tamis de la politique sociale. Le pauvre Bruno a assez de chats (noirs) à fouetter, emmêlé dans ses saillies révisionnistes. Qu’importe, la médiocrité morale des papes de l’antifascisme − devenus aussi insupportables que leurs défunts ennemis fascistes − suffit à dissimuler les plaies béantes du marinisme.

Partant, tout concourt à faire du bulletin Le Pen le premier réceptacle des voix populaires, ce qui la ferait culminer à 25-30 %, seuil critique qu’elle s’est assigné pour peser dans le débat public et préparer l’avenir. L’aveuglement coupable sur des sujets aussi cruciaux que l’insécurité, l’immigration et le multiculturalisme (ambroisie des élites, cauchemar des couches populaires) laisse présager un score phénoménal. Marine excellant dans l’art de la communication, un second tour Le Pen-Sarkozy reste plus que jamais de l’ordre des possibles. Dans cette hypothèse, le carnaval antifasciste apparaîtra pour ce qu’il est : un cri de haine appelant à l’extermination des « fachos ».

1995, 2002, 2007, 2012 : Sarkozy réélu sur le terrain du réel, nous repartirons pour cinq ans de néolibéralisme mâtiné de vaseline sociale (merci Borloo !). Avant que le PS remporte toutes les élections locales, pour le plus grand bonheur de ses barons provinciaux.

2017. Marine, face à son destin, devra composer une coalition sociale majoritaire, hésitant entre deux électorats difficilement cumulables : la foule des néo-prolos et la nouvelle classe mondialisée à l’hédonisme contrarié. Qu’à cela ne tienne, une habile campagne axée sur la défense des valeurs occidentales gommera les contradictions de son programme économique. Le clocher villageois et le bar d’Oberkampf au secours du bobo victime du puritanisme de ses voisins barbus. La rue Jean-Pierre Timbaud en guise d’affiche de campagne : bars à vins et librairies islamiques ne feront désormais plus bon ménage. Comme de bien entendu, Sarkozy battra des records d’impopularité tandis que la promesse d’un triomphe présidentiel tendra de nouveau les bras aux socialistes.

Nihil novi sub sole.[/access]

Janvier 2011 · N° 31

Article extrait du Magazine Causeur



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