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Maldives : l’impossibilité d’une île


Maldives : l’impossibilité d’une île

« Surtout pas de vagues ! » : telle pourrait être, des Maldives, la devise nationale. Pendant fort longtemps, bien planquée à l’ombre de ses palmiers, l’archipel a été en effet la dictature la plus discrète de la planète. Prétendre y faire de la politique ne pouvait vous conduire, selon le bon mot de son nouveau président, Mohamed Nasheed, qu’à deux endroits : le gouvernement ou la prison.
Soit. Et alors ? Eh bien, s’il est ici question desdites, ce n’est pas pour vous consoler de la météo, ni même pour rappeler à nos annonceurs que les lecteurs de Causeur (tous classés « CSP + », il va sans dire) sont familiers de cette destination édénique. Mais parce que les Maldives sont une des très rares bonnes nouvelles de cette fin d’année : une dictature islamique virant à la démocratie, sans heurt notable ni bombes américaines.

Dictature ? Islamique ? Oui-da. En matière de « »paradis », la carte postale avait un verso. Et méchamment noirci. Les touristes, directement convoyés vers l’île privée de leur club à peine descendus de l’aéronef, n’en voyaient rien. On venait ici pour le soleil, le silence, et des lagons cristallins. Pas pour s’adonner à ce tourisme schizophrène qui fait la fortune de Cuba, où nombre d’altertouristes se précipitent tout à la fois pour goûter les joies du « tourisme inégal » et pour se donner bonne conscience, en collectant des témoignages sur la réalité de l’île du Docteur Castro.

Les Maldives ? Trente ans d’une dictature implacable, celle du « sultan » Abdul Gayoom, grand prévaricateur devant Allah. La charia en loi suprême, tout juste concurrencée par un autre opium du peuple : l’héroïne, à laquelle s’adonne selon l’OMS environ dix pour cent de la population. Un taux d’addiction qui renseigne sur l’indice de bonheur local, et que l’on ne rencontre guère dans le monde, plus même dans le Bronx. Le bikini, inutile de le préciser, y est interdit (pas grave : la baignade, impudique plaisir occidental, est fortement déconseillé aux natives), de même que tout symbole religieux non musulman (hors plages à touristes) ou tout « objet érotique » (hors chambres à touristes). L’archipel connaît un taux effroyable de chômage, dont l’Etat s’accommode fort bien, tout à la multiplication des mosquées. Quant au clergé, sa principale revendication demeure le rétablissement de la peine de mort pour les apostats. Un paradis, on vous dit.

Or, le 28 octobre 2008, quelque chose d’inouï s’est passé : un opposant tout juste sorti de prison, dont le programme était plutôt libéral, a remporté les élections. Et le potentat en place, prenant acte des résultats, a accepté de jouer le jeu de l’alternance en lui cédant la présidence. Quelques journaux asiatiques, bien sûr, ont cru devoir expliquer le fair-play du président sortant par la promesse d’une amnistie post-électorale – et quand on sait qu’il est suspecté d’avoir détourné jusqu’à l’aide internationale après le Tsunami de 2004, on comprend son désir de prendre un peu de recul en Suisse.
Las ! Le nouveau pouvoir reste prisonnier de la devise nationale : pas de vagues ! Mais pour une tout autre raison : selon les scientifiques, le pays risque tout bonnement de disparaître dans les prochaines années. La montée du niveau de l’océan indien est régulière, et les îles comme les îlots sont engloutis les uns après les autres. Culminant à une hauteur de 2,3 mètres, les Maldives ne feront pas de vieux rivages. C’était sans compter sur le pragmatisme du nouveau président, qui a immédiatement proposé un plan de déménagement collectif.

Le peuple des Maldives a dix ans pour se trouver une nouvelle patrie. On a d’abord songé à l’Australie, pays continent fort peu peuplé. Mais les Océaniens viennent de refuser catégoriquement la demande d’asile groupée de douze mille désespérés de Tuvalu, eux aussi menacés par le Déluge. Inutile, donc, de frapper à leur porte. Qu’à cela ne tienne ! Le président Nasheed a évoqué une autre solution, et un autre exemple : acheter des terres, au prix fort, et s’y imposer légalement – « comme les Israéliens », s’est-il enthousiasmé. Les imams en sont restés bouche bée. Qu’il jette son dévolu sur l’Inde, l’Afrique ou la Patagonie, souhaitons-lui donc bonne chance. Car son projet devrait, tôt ou tard, faire tout de même quelques vagues.



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David Martin-Castelnau est grand reporter, auteur des "Francophobes" (Fayard, 2002).

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