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Macron sur l’Ukraine: en attendant les obus, des mots

L’analyse de Gil Mihaely au lendemain de la conférence de Paris


Macron sur l’Ukraine: en attendant les obus, des mots
Paris, 26 février 2024 © Stephane Lemouton -Pool/SIPA

Au lendemain d’une déclaration très commentée du président français concernant la guerre en Ukraine, l’Élysée annonce un débat avec vote à l’Assemblée nationale. Analyse et perspectives.


Alors qu’il réunissait des alliés de l’Ukraine, hier à Paris, et appelait à un « sursaut » pour « assurer » la défaite de la Russie, le président Macron a étonné tout le monde en affirmant qu’« il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre ». 

Une déclaration qui surprend les Français

Diplomatiquement, comment expliquer cette sortie du président français ? Sur la forme, on peut dire sans prendre de risques que Jacques Chirac n’aurait jamais fait ce genre de déclaration… Et cela rappelle évidemment son idée de créer une coalisation anti-Hamas dans le sillon de celle contre Daech, exprimée lors de sa visite en Israël au mois d’octobre. Emmanuel Macron a une tendance à exprimer des idées « mi-cuites » de manière pas complétement maitrisée. Quant au fond, c’est-à-dire l’intention politique derrière les mots, on peut discerner une réflexion plus large et plus cohérente.

La question qu’il faut poser est d’abord: quel est l’intérêt de la France ? La réponse de Macron est claire : préserver une Ukraine indépendante et donc empêcher une victoire russe. La logique derrière tient aussi : l’objectif de Poutine semble être le rétablissement de l’Empire dans les frontières que lui a données Staline. Ainsi on peut s’attendre à des crises en série avec la Pologne et les pays baltes. La France est bien placée pour savoir que le problème n’est pas l’OTAN car Paris (et Berlin) se sont engagés bien avant 2014 à ne pas laisser l’Ukraine intégrer l’alliance. Il est donc logique de se méfier de Poutine et d’en tirer les conclusions.

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Car, aujourd’hui, alors que les États-Unis sont incapables de soutenir l’effort de guerre ukrainien à un niveau adéquat, la coalition pro-ukrainienne perd son élan et les opinions publiques – notamment en France – se fatiguent, se lassent. Il faut pouvoir tenir. Et à défaut d’envoyer suffisamment d’obus 155mm et de passer une législation pro-ukrainienne à Washington, il faut faire des déclarations, de la communication. Ça ne remplace pas les actes, bien sûr, mais ça les accompagne et en même temps ça encourage des Ukrainiens abreuvés de mauvaises nouvelles ces derniers temps.

Dans le contexte franco-français, la guerre en Ukraine – c’est-à-dire les rapports des Français avec la Russie (réelle et mythique) et donc avec les États-Unis (derrière les positions de certains vis-à-vis de la Russie et de l’Ukraine, on peut parfois discerner une forme d’« américanophobie ») – peut servir de sujet politiquement clivant. Il y a deux ans, l’invasion russe de l’Ukraine a contribué à la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle, et, à quelques mois des européennes, la question du soutien à l’Ukraine pourrait agréger le bloc « grand centre » autour du parti présidentiel.

Par ailleurs, l’Élysée vient d’annoncer avoir « demandé au gouvernement de faire devant le Parlement une déclaration en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative à l’accord bilatéral de sécurité conclu avec l’Ukraine le 16 février 2024 et à la situation en Ukraine, suivie d’un débat et d’un vote ». Chacun devra faire une déclaration dans l’hémicycle comme sur les plateaux des télés et radios et on peut compter sur nos commentateurs pour fournir des petites phrases et envenimer le débat sans pour autant avancer sur les questions importantes : quels devraient être les objectifs de la France. Et proposer de se mettre autour de la table n’est pas une réponse sérieuse.    

En imposant ce débat maintenant, Macron pousse ses adversaires à se positionner clairement sur la question ukrainienne, et il n’est pas exclu que cette manœuvre soit profitable à son camp à l’approche des européennes.

Quels étaient l’ordre du jour et les buts de cette conférence de Paris ?

Autour de la table se sont réunis les chefs d’État et de gouvernement de 17 pays (Allemagne, Belgique, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Grèce, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Tchéquie et Roumanie) ainsi que David Cameron, ministre des Affaires étrangères britannique et l’adjoint au secrétaire d’État des Etats-Unis Antony Blinken, M. Jim O’Brien. Volodymyr Zelensky a introduit la réunion par un discours en visioconférence. 

Emmanuel Macron souhaitait donner une suite européenne à la signature, le 16 février dernier, d’un accord bilatéral de sécurité franco-ukrainien lors de la visite du président Zelensky à Paris. L’objectif du chef de l’État est de « faire douter la Russie, le président Poutine et l’appareil militaire » en montrant que les soutiens de l’Ukraine répondent toujours présents, malgré des doutes croissants concernant la position américaine.  La conférence d’hier a donc eu un objectif technique, discuter de l’aide militaire, et un objectif stratégique, afficher une volonté de continuer à soutenir l’Ukraine avec ou sans les Américains.

Et ensuite ?

Au lendemain des déclarations du président français, l’idée d’envoyer des troupes occidentales en Ukraine est balayée par l’OTAN, Berlin, Londres ou Madrid. Mais le président français n’a pas suggéré de les envoyer. Il a tout simplement prononcé les mots qu’il fallait pour susciter un débat et envoyer un message à ses alliés et adversaires sans pour autant s’engager sur une action concrète. Il est tout simplement passé de « il est hors de question » à « on ne peut pas exclure »…

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Les propos du président français seront-ils commentés à Moscou ? Ne fait-on pas le jeu de Poutine, lequel affirme depuis le début des hostilités que la guerre qu’il a enclenchée en Ukraine est une guerre contre « l’Occident » ? Il n’est pas difficile de deviner les réactions des médias et autorités russes.   

Jusqu’où la France peut-elle encore aller sans être considérée comme « belligérante » ? Et l’OTAN ? Dans le cadre de cette guerre, la Russie a de facto toléré une aide militaire croissante à l’Ukraine sans déclarer les États impliqués – la France par exemple – comme belligérants. Cette aide tolérée consiste essentiellement à fournir du matériel, entrainer et former, prêter et donner de l’argent et partager des renseignements. Le niveau de l’aide a évolué depuis février 2022 avec à chaque fois la crainte de franchir un seuil et d’être considéré par Moscou comme belligérant. Or, la dissuasion marche dans les deux sens et les Russes n’ont évidemment pas souhaité risquer une guerre directe avec un membre de l’OTAN et donc potentiellement avec l’OTAN.

De l’autre côté de l’Atlantique, le débat autour de la guerre en Ukraine n’est pas moins intense. Le débat de bonne foi est mené aujourd’hui autour de la question des perspectives de la guerre. Faut-il la terminer immédiatement en « débranchant » l’Ukraine, ou bien est-il plus judicieux de continuer à soutenir l’Ukraine en attendant un rapport de forces plus favorable ? Mais ce débat ne concerne malheureusement que très peu de personnes. Le vrai débat est entre les pro-Trump et les pro-Biden sur la question du soutien à Kiev : les premiers sont contre car leur candidat est contre, et non pas car c’est l’intérêt des États-Unis. La question ukrainienne n’est que l’otage innocent de cette guerre politique.

Concernant le front, nous avons plus d’informations sur les Ukrainiens et leur état d’esprit parce qu’il est plus facile d’en avoir : les journalistes peuvent s’y rendre et les Ukrainiens peuvent s’exprimer. Ce n’est pas la même situation concernant la Russie. Il est donc difficile de tirer de conclusions dans un sens comme dans l’autre quant à l’état d’esprit des forces belligérantes. Cependant, les Ukrainiens ont démontré depuis les premiers combats dans les environs de Kiev il y a deux ans des capacités surprenantes et notamment un sens du sacrifice.

Et si la définition d’une victoire pour la Russie est la transformation de l’Ukraine en Biélorussie bis, la société ukrainienne pourrait très bien trouver les forces et les moyens nécessaires pour l’empêcher. 



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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