Accueil Politique Macron: un bilan plein de bonnes intentions…

Macron: un bilan plein de bonnes intentions…


Macron: un bilan plein de bonnes intentions…
Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l'Elysée, aux côtés de Manuel Valls, Premier ministre, Paris, 7 mai 2014.
Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l'Elysée, aux côtés de Manuel Valls, Premier ministre, Paris, 7 mai 2014.

Pour comprendre la ligne politique d’Emmanuel Macron, on peut choisir de se contenter du programme, annoncé le 2 mars. Il n’est pas inutile de revenir sur sa pratique du pouvoir. Car l’homme qui se présente comme un OVNI a été secrétaire général adjoint de l’Élysée de 2012 à 2014, puis ministre de l’Économie pendant deux ans, d’août 2014 à août 2016. Son principal fait d’armes est l’adoption de la « loi Macron »[1. Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, promulguée le 7 août 2015.], un vaste fourre-tout de 308 articles, liés par l’intention affichée de faire sauter des verrous, afin de relancer l’économie. Le texte porte son nom, mais porte t-il sa marque ? D’une certaine façon, oui : il est, pour l’essentiel, l’assemblage de propositions qui dormaient depuis longtemps dans des tiroirs, dont beaucoup figuraient notamment dans les préconisations de la commission Attali de 2008. Commission dont le rapporteur général était un jeune énarque nommé… Emmanuel Macron. Passage en revue.

Autocars Macron

Ils pourraient s’appeler les cars Lasserre, du nom de Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, voire les cars Umberto Berkani, rapporteur général adjoint de celle-ci, en charge du dossier sur la libéralisation du transport par autocar. En 2009, l’Autorité s’autosaisit du dossier de la concurrence dans le ferroviaire. Elle conclut rapidement à une hégémonie irrémédiable de la SNCF sur le rail. Reste la route. En février 2014, elle rend un avis qui trace le schéma de la libéralisation. C’est la source d’inspiration de la loi Macron. Tout est détaillé, jusqu’à la nécessité de réorganiser les gares routières pour accueillir les nouveaux venus. « On sait très bien que la SNCF, laissée à elle-même, va reléguer ses concurrents le plus loin possible des trains, au fin fond des zones industrielles », commente à l’époque un auditeur de la Cour des comptes. « Aberrant », dénonce immédiatement Jacques Auxiette, président de la région Pays de la Loire. La concurrence des autocars va creuser les déficits déjà colossaux des trains express régionaux ! Les recettes des TER couvrent 27 % des frais de fonctionnement, chaque abonné coûte en moyenne 7 800 € par an aux régions ! L’Autorité de la concurrence le sait très bien, mais quel gouvernement aura le courage de remettre à plat la gestion de la SNCF ? En accord avec la Cour des comptes, que le gaspillage des TER exaspère également, l’Autorité charge en fait l’autocar du sale boulot : tuer les trains trop déficitaires. Bilan, cinq millions de passagers en 2016 pour les cars Macron et un rail de plus en plus déficitaire. Selon la SNCF, les coûts des TER pour les régions vont augmenter de 23 % d’ici 2020…

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Par Alain Finkielkraut

Réforme des prud’hommes

La procédure a été entièrement remaniée afin de raccourcir les délais de jugement, devenus une honte pour la République (quinze mois en première instance !). L’État français avait été condamné par le tribunal de grande instance de Paris, le 18 janvier 2012, à indemniser 16 plaignants, qui avaient patienté des années aux prud’hommes. Rédigée à la suite de cette condamnation, la réforme visant à[access capability= »lire_inedits »] accélérer les procédures était prête. Un rapport avait été remis à la chancellerie en juillet 2014. Le Conseil d’État avait examiné le projet de loi à l’automne 2014. Il a dormi un an dans les tiroirs. La CGT soutenait, non sans arguments, que les prud’hommes manquent cruellement de moyens et qu’une nouvelle procédure n’y changera pas grand-chose. La loi Macron leur alloue une rallonge de quelques millions d’euros, bien faible au regard des enjeux. Le 18 janvier 2017, le procureur de Lille, Philippe Peyroux, a encore dénoncé la misère des prud’hommes, lors de son audience de rentrée. La CGT, solidaire, tractait sur le même thème à l’entrée du bâtiment…

Révolution, un ouvrage collectif signé Emmanuel Macron

À la sortie de Révolution, le 24 novembre 2016, Le Parisien a parlé d’un « livre très personnel ». En réalité, à part le premier chapitre, où Emmanuel Macron évoque son enfance, son épouse et sa formation, Révolution évoque plutôt un travail collectif. Le candidat, assisté par son équipe, a synthétisé diverses contributions. C’est la règle de l’exercice. Il serait paradoxal de reprocher à Emmanuel Macron d’être à l’écoute des spécialistes, que l’on partage ou non leurs analyses, mais en aucun cas Révolution n’est la voix originale d’une personnalité politique habitée par une vision de la France. Dans le livre, on retrouve quasiment telles quelles des phrases entières extraites d’une dépêche AFP (« La Syrie a connu entre 2006 et 2011 la pire sécheresse de son histoire. Attribuée au changement climatique… »), d’un rapport du WWF (« Les populations de vertébrés – poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles – ont chuté de 58 % entre 1970 et 2012 »), ou de la leçon inaugurale au Collège de France de l’économiste Philippe Aghion (« Aussi devons-nous passer d’une économie de rattrapage à une économie de l’innovation »). C’est un livre en forme de costume d’Arlequin, riche d’enseignements sur les experts qu’Emmanuel Macron a écoutés, pas sur ce qu’il ferait s’il arrivait au pouvoir.

Révolution, Emmanuel Macron, XO éditions, novembre 2016.

Ouverture des magasins le dimanche

Des semaines de polémiques pour une réforme bien timide. L’ouverture le dimanche était une réalité en zone touristique depuis la loi Mallié de 2009. La loi Macron apporte seulement des aménagements à la marge. On passe de cinq à douze dimanches, si le maire est d’accord. En pratique, la loi régularise des ouvertures sauvages devenues fréquentes.

Réforme des professions réglementées du droit

L’essentiel date de 2012 et d’un rapport commandé à l’inspection générale des Finances par Pierre Moscovici, ministre de l’Économie. Ce dossier hyper-technique, touchant à la liberté d’installation et aux tarifs des notaires, greffiers de tribunaux de commerce et huissiers de justice, a fait l’objet d’années de tractations avec les intéressés. Intervenu dans la dernière ligne droite, Emmanuel Macron s’est appuyé, une fois encore, sur l’Autorité de la concurrence, dont le rapport de janvier 2015 appelait à battre en brèche les monopoles de justice. Facile à dire. La loi Macron prévoyait un millier d’études notariales en plus (elles sont 8 625 aujourd’hui), attribuées par tirage au sort. La procédure a été bloquée en décembre 2016 par un recours en référé devant le Conseil d’État ! Le dossier rebondira sûrement. Les revenus des notaires (230 000 € nets en moyenne en 2015) font trop d’envieux. Les grands cabinets d’avocats rêvent de casser leur monopole sur les actes immobiliers. Une vaste partie de lobbying et de contre-lobbying est en cours. La loi Macron en était seulement l’écho.

Ce que le ministre Macron n’a pas fait

Les omissions sont parfois aussi révélatrices que les actes. Deux reproches reviennent régulièrement à propos du ministère des Finances. Il cultive l’opacité et il tolère trop d’allers-retours de hauts fonctionnaires entre les banques et le service de l’État. Côté opacité, Emmanuel Macron a été intraitable. Depuis des années, par exemple, le ministère de l’Économie refuse de publier le détail des contrats conclus avec les concessions d’autoroute. Un rapport de la Cour des comptes datant de 2013 les jugeaient trop favorables aux concessionnaires. En juillet 2015, le tribunal administratif de Paris, saisi par le militant écologiste grenoblois Raymond Avrillier, a jugé la position du ministère illégale. Ce dernier, qui avait déjà ignoré les injonctions de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) et celles de quelques parlementaires, a fait appel devant le Conseil d’État. Question conflit d’intérêt, Emmanuel Macron a également respecté les traditions de la maison. Il était ministre au moment de la nomination du numéro deux de la BNP, François Villeroy de Galhau, à la tête de la Banque de France, en novembre 2015. La décision a sidéré les économistes. 150 d’entre eux, universitaires ou chercheurs, ont signé une pétition de protestation, dénonçant « un grave conflit d’intérêts ». Sans succès. La nomination du gouverneur de la Banque de France est une prérogative du chef de l’État, mais le ministre de l’Économie est évidemment consulté. Inspecteur des Finances passé par la banque d’affaire, Emmanuel Macron n’était probablement pas le mieux placé pour entendre les mises en garde de nos économistes : « Il est totalement illusoire d’affirmer qu’on peut avoir servi l’industrie bancaire puis, quelques mois plus tard, en assurer le contrôle avec impartialité et en toute indépendance… »

La lutte contre les recours abusifs visant les permis de construire

La loi Macron restreint les possibilités d’action en démolition visant à faire raser un bâtiment, suite à l’annulation du permis de construire. C’est une mesure de lutte contre les recours abusifs, comme ceux qui ont ralenti des années la réfection de la Samaritaine, à Paris. Vive colère chez France nature environnement : « Le message adressé est catastrophique : pour construire en violant les règles d’urbanisme, privilégiez le passage en force ! » Champagne, en revanche, à la Fédération des promoteurs constructeurs (FCP). Son président, Marc Pigeon, réclamait une telle mesure depuis une décennie…

Le programme Macron, flou, mais déjà contesté

Conclusion ? Emmanuel Macron a écouté des groupes de pression. Rien de répréhensible, tous les gouvernements le font. Par ailleurs, il a repris un texte déjà largement ficelé. Si Arnaud Montebourg n’avait pas démissionné de Bercy, la loi Macron s’appellerait la loi Montebourg. Emmanuel Macron, au moins, a-t-il bien défendu le texte ? Difficile de trancher. Le jeune ministre a mouillé la chemise, mais sans convaincre sa majorité. La loi Macron a été adoptée en vote bloqué, par la procédure du 49.3.

« Finalement, s’est-il énervé à la tribune de l’Assemblée le 17 février, vous retrouvez de part et d’autre une forme d’union : ceux qui ne veulent pas changer le pays, ceux qui préfèrent dire que tout va bien. » Macron, homme neuf, aurait été le recours d’un système à bout de souffle ? En réalité, toutes les grandes démocraties sont devenues des tuyauteries complexes, où la volonté politique se heurte à des obstacles insoupçonnés. Jusqu’au bout de ses deux mandats, Barack Obama a vu des recours juridiques et des votes du Congrès freiner la mise en œuvre de son programme[2. Le patronat américain a attaqué sa loi anti-évasion fiscale, une compagnie pétrolière canadienne a attaqué une décision environnementale, l’Obamacare a fait l’objet de plusieurs recours, etc. ]. Il n’a même pas essayé de limiter le port d’armes, jugeant le combat perdu d’avance.

Une des rares mesures détaillées du candidat Macron, d’ailleurs, est déjà contestée par des juristes. Il s’agit du basculement des cotisations d’assurance maladie et d’assurance chômage vers la contribution sociale généralisée (CSG). Le but est d’alléger les charges qui pèsent sur les salaires, en répartissant plus largement le poids de la protection sociale. Seul problème, mais de taille, le Conseil constitutionnel retoquerait probablement cette réforme qui transformerait des cotisations en impôts[3. Du moins s’il suit sa propre jurisprudence, décision n° 2014-698 DC du 6 août 2014. ]. On voit mal le président s’affranchir du strict respect des règles constitutionnelles.

Les silences d’Emmanuel Macron suscitent un doute, sur ses intentions, et sur sa capacité d’action. En juin 2005, Nicolas Sarkozy apostrophait Dominique de Villepin : « Il faut leur raconter une histoire, aux Français. Qu’est-ce que vous allez leur raconter, comme histoire, en juillet, en août, en septembre, l’année prochaine ? »[4. Rapporté par Bruno Le Maire dans Des hommes d’État, éditions Grasset, 2008.] Aujourd’hui, c’est exactement la question qu’on a envie de poser à Emmanuel Macron.[/access]

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