Accueil Politique Macron: «l’intérêt est son but, l’intrigue son moyen»

Macron: «l’intérêt est son but, l’intrigue son moyen»


Macron: «l’intérêt est son but, l’intrigue son moyen»
La nouvelle porte parole du gouvernement Olivia Grégoire avec Gabriel Attal, lors de la passation de pouvoir, à Paris, le 20 mai 2022 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Beaumarchais avait tout dit sur le prince qui nous gouverne.


Alors que j’achève la relecture de la Trilogie de Figaro écrite par Beaumarchais : Le Barbier de Séville, ou la Précaution inutile (1775), La Folle journée, ou le Mariage de Figaro (1778) et L’Autre Tartuffe, ou La Mère coupable (1792), Olivia Grégoire, qui succède à Gabriel Attal au poste de porte-parole du gouvernement, rend compte du premier Conseil des ministres du deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron.

J’ai religieusement écouté l’intervention de la dame, une autre Voix de son maître. J’ai alors pu réaliser, une fois de plus, que c’est la littérature qui nous donne les clés de l’actualité et de l’éternelle comédie humaine.

Le « Roman de la famille Almaviva », comme aime à le nommer Beaumarchais, m’a aussitôt permis de porter un regard rétrospectif sur les bientôt six années qui se sont écoulées depuis la première campagne électorale d’Emmanuel Macron, jusqu’à la nomination du gouvernement de son second quinquennat dont Olivia Grégoire est la digne représentante.

Avant d’en revenir à Beaumarchais, évoquons la teneur du mince compte-rendu de la dame. En guise de préambule, celle-ci nous a d’abord assuré que, sans mentir, et en s’attachant à débusquer la fake-news, quelle que soit l’apparence retorse qu’elle oserait prendre, elle rendrait fidèlement compte des agissements du gouvernement. Pour ce qu’elle nous a dit dudit gouvernement, nous sommes rassurés : celui-ci est nouveau, à l’image des Français et à pied d’œuvre, une méthode nouvelle « all inclusive » lui permettra d’amender les destinées de tous les damnés de la terre. Pour nous mettre totalement en confiance et avant de répondre avec un entrain dissimulé aux questions, embarrassantes, il faut bien en convenir, qui lui furent posées sur Damien Abad, Olivia Grégoire répéta, peut-être tâchait-elle de s’en convaincre : « Nous ne devons pas mentir. »

Serait-ce donc déjà arrivé ?

La littérature du XVIIIe, chroniqueuse de la France contemporaine

Il convient maintenant de passer au « Roman de la famille Almaviva ». Commençons par évoquer l’atmosphère qui prévaut dans les deux premières pièces de la trilogie, pour la rapporter à celle de notre France depuis la marche au pouvoir et l’avènement d’Emmanuel Macron. Nous avons d’abord deux comédies, enlevées et tout en verve, écrites par le dramaturge avant la Révolution, dans la pleine effervescence des Lumières. Figaro, le plus fripon des valets, triomphe de tout avec un insolent bagout. Il livre un combat sans merci contre l’injustice non sans paradoxalement veiller sur la maison de son maître, le comte Almaviva.

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La légèreté qui domine les deux comédies était encore celle du peuple de France, il n’y a pas si longtemps. Bien sûr, il n’est pas question d’oublier à quel point les Français furent meurtris par les attentats qui ruinèrent leur insouciance leur rappelant l’éternelle irruption du tragique dans les vies. Toutefois, à cette époque, comme avant 1789, on espérait encore des jours meilleurs. On attendait, pour présider aux destinées de la France, quelqu’un de neuf qui nous ferait oublier François Hollande : « l’Ennemi de la finance », ses pitoyables virées matinales en scooter, le croissant entre les dents. On attendait le rayon de soleil qui suivrait toutes les trombes d’eau qu’un ciel moqueur déversait impitoyablement sur un président de la République tristement « normal », dès qu’il s’avisait de donner de la voix en plein air.

Emmanuel Macron ou les illusions perdues

C’est alors que celui que nous autres naïfs, las de subir la vindicte des nuages, prîmes pour l’astucieux Figaro du Barbier de Séville entra en scène. Emmanuel Macron, c’était évident allait effacer jusqu’au souvenir de notre barbon (François Hollande) qui ridiculisait la France. J’entends encore notre jeune audacieux dont les propos en meeting sonnaient comme ceux du rusé valet (Acte I, scène 6) de notre comédie : « Moi, j’entre ici, où, par la force de mon Art, je vais d’un seul coup de baguette endormir la vigilance, et éveiller l’amour, égarer la jalousie, fourvoyer l’intrigue et renverser tous les obstacles. » Parce que c’est notre projeeeet.

Puis il y eut Benalla, « les gens qui n’étaient rien » et « les injonctions à traverser la rue pour trouver du boulot ». Le roitelet qui nous avait promis des lendemains qui chantent se contenta de nous rejouer  » Le Mépris ». Bientôt les gueux occupèrent les ronds-points et les centres des villes tous les week-ends, protestant d’abord contre la réduction à 80 km/ h. Puis, toujours plus ingrats, et vils quant à leurs préoccupations, ils réclamèrent au prince, qui leur promettait pourtant une orgie de brioche, les moyens de pouvoir faire leur plein de carburant. La suite, on la connaît : le monarque et son équipe de vainqueurs gérèrent la crise sanitaire sur fond de demi-vérité, voire de mensonges éhontés qu’ils préférèrent à tout aveu d’incertitude que les Français auraient pourtant accepté et compris, tant la situation était inédite. Poutine attaqua enfin l’Ukraine et un désenchantement anxieux, mais également poisseux et morne s’abattit sur la France.

L’atmosphère qui règne dans notre pays est désormais semblable à celle qui baigne La Mère coupable, drame moral, dernier volet de notre trilogie. La Révolution attendue n’a pas tenu ses promesses, l’heure est au désenchantement.

Les fourberies de Macron

Bien sûr, le peuple français a donné, faute de mieux une ultime chance au valet de Beaumarchais qu’il s’est pris à espérer mûri par les épreuves. C’est le Figaro du Mariage, à savoir de la deuxième comédie, que les Français ont voulu reconduire. On était pourtant sans illusion quant à sa conception de la politique. Elle nous avait été révélée, sans concessions, justement dans ledit Mariage (Acte III, scène 5) : « (…) feindre d’ignorer ce qu’on sait, de savoir tout ce qu’on ignore ; d’entendre ce qu’on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu’on entend ; (…) paraître profond quand on n’est , comme on dit que vide et creux ; jouer bien ou mal un personnage, répandre des espions et pensionner des traîtres (…),  tâcher d’ennoblir la pauvreté des moyens par l’importance des objets : voilà toute la politique, ou je meure ! »

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Mais, alors que nous nous trouvons dans le dernier volet de notre trilogie, celui qu’on se prenait à espérer envers et contre tout comme un Figaro, vient de se révéler, reconduit sur le trône, un Bégearss, le traître de La Mère coupable, qualifié par Beaumarchais « d’Autre Tartuffe ».

Tartuffe réélu, avions-nous imaginé avec Molière. Avec Beaumarchais, nous y sommes aussi. Emmanuel Macron, en effet, est à la tête de la France qu’il manœuvre tout comme le fait Bégearss dupant la famille Almaviva.

Notre Tartuffe présidentiel, doté d’une colonne vertébrale d’une souplesse peu commune, semble servir un seul intérêt : son ambition personnelle démesurée. On en veut pour seule preuve la composition du nouveau gouvernement, pour le moins très composite et présentant toutes les couleurs politiques, comme pour mieux n’en afficher aucune. Ce qui aura pour résultat de neutraliser plus sûrement toute entreprise constructive.

Tartuffe-Bégearss a réussi à mettre solidement en place en France une nouvelle politique qui n’est plus de la politique, mais un équilibre de forces qui concoure à instaurer l’immobilisme. Voici cette politique telle qu’il l’expose avec un cynisme sans pareil dans L’Autre tartuffe ou La Mère coupable (Acte IV, scène V) :  La politique : « Ah ! c’est l’art de créer des faits, de dominer, en se jouant, les événements et les hommes ; l’intérêt est son but, l’intrigue est son moyen (…), le scrupule seul peut lui nuire (…) »

Qu’on se rassure, Bégearss, à la fin de La Mère coupable, est démasqué et chassé de la famille Almaviva.

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est professeur de Lettres modernes

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