La désintégration par l’école


La désintégration par l’école
Wikipedia. Photo: Aieman Khimji.
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Wikipedia. Photo: Aieman Khimji.

Il y a quelques mois, une petite fille de ma connaissance a vu entrer dans sa classe de CP un monsieur très poli qui passait demander combien d’enfants, parmi les présents, étaient d’origine étrangère — spécifiquement, turcs (ils forment dans la région en question l’essentiel de l’immigration récente).

« Bonne idée », lui dis-je. « Ils viennent d’arriver en France, ils ont besoin d’apprendre le français — ils ont besoin de bien plus de cours de français que toi. »
– Pff, me répondit-elle avec le mépris instinctif des gosses intelligents pour les adultes imbéciles. Pas du tout. Le monsieur passait pour leur faire donner des cours de turc.
– Bon sang, mais c’est bien sûr ! m’écriai-je alors. L’ELCO !
– L’aile quoi ? s’enquit-elle.

Remigration giscardienne

L’ELCO (Enseignements de Langue et de Culture d’Origine) est un organisme dépendant du Ministère de l’Education qui le présente sur son site. Il a pour mission, comme son nom l’indique, d’ancrer les enfants étrangers (qui ont l’un ou l’autre de leurs parents d’origine étrangère) dans leurs langue et culture d’origine. Pas de leur apprendre la langue du pays où ils sont, non : celles du pays où ils ne sont plus.

J’entends déjà les réactionnaires, nombreux parmi mes lecteurs, s’écrier : « Encore un truc inventé par les socialos ! » Pas du tout : l’initiative en revient à Lionel Stoléru, l’un des dangereux gauchistes qui grenouillaient dans l’entourage de Valéry Giscard d’Estaing en 1974 — René Haby, l’homme du « collège unique », en était un autre. Qu’il fût lui-même d’origine roumaine n’avait rien à voir avec cette initiative : il s’agissait à l’époque de préparer lesdits enfants à un retour dans leur pays d’origine. Stoléru fut d’ailleurs à l’initiative du « million » (10 000 francs) offert à tout immigré consentant à rentrer « chez lui ». C’est à ce titre que cet enseignement reçut l’adoubement des autorités européennes en 1977.

Mais voilà : les choses ont légèrement changé depuis la fin des Trente Glorieuses. D’ailleurs, au moment même où Stoléru rêvait d’inciter les immigrés à rentrer chez eux, Giscard, Chirac et Durafour (autres dangereux agitateurs) instituaient le regroupement familial (décret du 29 avril 1976). L’idée que les travailleurs étrangers rentreraient dans leurs mères patries respectives prenait l’eau — bientôt on allait inventer le mot « beur », (1982) puis de jolies expressions comme « immigré de seconde génération », comme s’il s’agissait d’un stigmate à se transmettre (auquel cas je suis un « immigré quatrième génération », quelque chose comme un octavon).

Apprenons le français aux immigrés

Bref, les immigrants d’aujourd’hui ont vocation à rester ici — on le leur reproche assez, et les élections partielles allemandes n’ont pas manqué de le faire savoir à Angela Merkel. Savoir si c’est ou non une bonne chose n’est pas mon propos — et j’ai dans l’idée que l’analyse serait complexe. Mais au moins, qu’on leur donne les moyens de s’intégrer ! Qu’on leur apprenne le français — à marches forcées s’il le faut ! Qu’on leur explique que la culture française se fonde sur le respect des femmes — qui ne sont pas uniquement destinées par Allah à faire des enfants, comme a bien voulu le rappeler le Pacha ces jours-ci en expliquant que la femme n’est décidément pas l’égale de l’homme ! Qu’on leur enseigne la culture française — Montaigne et l’Humanisme, Voltaire et les Lumières, Maupassant et le scepticisme, Camus et Sartre, Jean Passe et Desmeilleures.

La Révolution en 1791 voulait isoler les enfants de leurs parents, pour leur apprendre plus vite les mœurs républicaines. Ma foi, c’est une idée que l’on pourrait creuser, si l’on veut intégrer les petits immigrants récemment arrivés — et à ceux arrivés depuis lurette, vu l’état de l’Ecole et de l’ELCO : tout le monde avait remarqué, bien sûr, que cet acronyme ressemble beaucoup à un anagramme, même si l’action de cet organisme ressemble fort, aujourd’hui, à de l’intoxication culturelle.

Le défunt Haut Conseil à l’Intégration (qui a été si opportunément été remplacé par l’Observatoire de la laïcité de notre bon ami Jean-Louis Bianco) avait dans ses ultimes soubresauts, avant de succomber aux coups redoublés de Jean Baubérot, l’homme qui aime les congrès de l’UOIF, et de Jean-Loup Salzmann, l’homme qui ne déteste pas les salafistes de Paris-XIII, émis de fortes réserves sur l’activité réelle des enseignants mandatés par l’ELCO. Le JDD, qui s’était procuré la dernière étude du HCI, racontait en mars 2015 que les 92 500 élèves concernés (dont 87 000 dans le Primaire) recevaient, en même temps que des cours d’arabe et de turc, un enseignement fondamentaliste peu en accord avec la laïcité française (ni d’ailleurs avec la laïcité turque, celle sur laquelle s’assoit présentement Erdogan avec la bénédiction des autorités européenne — j’y reviendrai dans une prochaine Chronique). « Susceptibles de renforcer les références communautaires, les Elco peuvent conduire au communautarisme. Certains interlocuteurs craignent même que les Elco deviennent des « catéchismes islamiques » », écrivent les rapporteurs. Les auteurs se sont en effet étonnés du contenu du guide de l’enseignant édité en 2010 par le ministère de l’Éducation turc et en usage auprès de certains enseignants de langue et culture d’origine. « Ainsi le chapitre V de cet ouvrage intitulé « Foi, islam et morale » insiste sur l’importance de croire en Allah, un des principes de la foi, et sur la nécessaire acquisition par les élèves d’une bonne connaissance de la vie du prophète Mahomet dont l’importance doit être mise en valeur. »

Les enseignants de l’ELCO sont sous la responsabilité des instances académiques, mais pays par les ambassades des pays d’origine : vu ce que sont aujourd’hui les gouvernements algériens ou turcs, on se doute que ce n’est pas Kamel Daoud qui est chargé de cours pour l’ELCO.

Assignés à identité

Autant être clair. Je suis absolument favorable à des cours supplémentaires de français pour les migrants — de toutes origines. Langue et culture — Ronsard et les rillons de Tours, Pagnol et la bouillabaisse, Maupassant et les huîtres, « mignonnes et grasses, semblables à de petites oreilles enfermées en des coquilles, et fondant entre le palais et la langue ainsi que des bonbons salés », Vigny et le cognac (il en produisait), Montaigne et le foie gras, Dumas et le reste. Mais pas à ce repliement sur soi que constitue cet enseignement de l’ELCO — cette incitation à l’identité communautaire et communautariste, qui a donné si aisément du grain à moudre à des maires FN qui sans ça n’auraient su quoi dire. Ainsi David Rachline s’est déclaré hostile à la mise en place de cours d’arabe dans une école primaire de sa ville pour les enfants issus de l’immigration — une belle occasion pour lui de surfer sur les « principes républicains ». Bruno Le Maire de son côté a demandé la suppression de l’ELCO — sans résultat jusqu’à aujourd’hui : on continue à trier dans les écoles les petits migrants auxquels on va donner tous les moyens d’en rester là — à leur place.



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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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