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La SNCF manque de « care »


La SNCF manque de « care »
Paris, gare Saint-Lazare.
Paris, gare Saint-Lazare.
Paris, gare Saint-Lazare.

Martine Aubry ne devrait pas se soucier pour la société du care, ni même se fatiguer à convaincre l’opinion : elle est à l’œuvre sans elle, voire malgré elle, dans une forme maximaliste qui inquiète un peu. « La société du bien-être et du respect qui prend soin de chacun et prépare l’avenir », chère à la première secrétaire du Parti socialiste, est déjà dépassée et démodée.

Nous vivons l’avènement du droit au bien-être pour chacun devenu un impératif politique. À bien y réfléchir, on peut se demander si le bien-être de chaque individu dont les exigences vont croissant ne va pas irrémédiablement entrer en conflit avec le bien-être d’un autre, tout aussi légitime que le précédent.

Mais bon ! ne jouons pas l’oiseau de mauvais augure et volons sans réticence vers l’horizon radieux où chacun sera protégé de telle sorte que rien jamais ne l’atteigne et que tout toujours mis en œuvre pour le soigner.

Cet objectif est dorénavant d’ordre public. Parce qu’un train a mis plus d’un jour pour arriver à destination au lieu de la nuit prévue, nous avons eu droit à un déferlement médiatique de descriptions apocalyptiques évoquant le cauchemar subi par les passagers, le désastre de la SNCF. On a pu lire des titres comme « Le train de l’enfer » ou « Le train du bout de la nuit ».

Il est apparu qu’outre une obligation de résultat, en particulier en matière d’horaires, le transporteur est aussi soumis à une obligation de care, de dorlotage, à laquelle il a failli en n’offrant, dans un premier temps, que de malheureux chocolats chauds aux passagers qui ont dû attendre quelques heures des plateaux repas dans des wagons chauffés. Bref un régime quasi carcéral.

On pouvait cependant espérer que la lettre d’excuse de M. Guillaume Pépy, PDG de la SNCF, le remboursement des billets et l’offre d’un autre arrêt/retour (dans des conditions normales bien entendu) mettrait un terme à l’affaire. Que nenni ! Dans la société du care, on doit, une fois les problèmes concret réglés, communier dans le « Plus jamais ça ! ».

Toutes les parties concernées rivalisent d’activité pour qu’une telle tragédie ne puisse jamais se reproduire.

Les voyageurs d’abord, dont on ne sait plus s’ils sont des usagers ou des clients, qui ont décidé d’engager une action collective. Ne me demandez pas ce qu’un juge pourra faire, je n’en sais foutre rien, mais il est bien connu que la saisine de la justice a des vertus incantatoires et mystérieuses. Nous assisterons sans doute à une avancée jurisprudentielle dont le droit actuel a le secret, créant un droit opposable à être secouru sur les rails….

La SNCF, pour ne pas être en reste, bat sa coulpe et prend la mesure la plus populaire de notre époque après la cellule de soutien psychologique, la création d’une commission d’enquête qui vient de remettre un rapport dont les conclusions sont ébouriffantes : oui, il y a bien eu des dysfonctionnements et le froid ce grand empêcheur de rouler en rond aurait dû conduire à annuler le départ plutôt que de vouloir acheminer coûte que coûte les passagers. Il est vrai qu’en ne circulant plus on ne prend plus de risques. Mais la SNCF pense-t-elle s’exonérer de sa responsabilité en annulant des trains, laissant des passagers en plan, livrés à eux-mêmes sur les quais et qui pourront légitimement porter plainte contre l’absence de prise en charge. Les règles du care sont drastiques – avec le bien-être, on ne transige pas. Bref, dans cette spirale folle (je n’ose dire givrée pour ne pas aggraver la douleur des naufragés du rail) la SNCF, à défaut des trains, accélère le mouvement…

Enfin, l’État y va de sa partition. Il faut qu’il soit dit qu’il est attentif au sort imposé à certains de ses citoyens livrés à un retard injuste et perturbateur dans leur vie privée ou professionnelle. Comment peut-il réparer ce dont il n’est nullement responsable ? D’abord, par la compassion et la solidarité – nous sommes tous des naufragés du rail en puissance. L’avantage d’une telle posture, en cette saison de froid budgétaire, c’est qu’elle ne coûte pas un rond. Puis par un vague froncement de sourcil laissant envisager des sanctions. Lesquelles ? Imposer à Guillaume Pépy de prendre plus régulièrement les lignes Lunéa ? Non ce serait trop horrible !

Bref le care est là et je crains que ce ne soit pas une bonne nouvelle. Si on veut veulent détricoter l’intérêt général, le plus efficace est, en effet, de convaincre chacun d’entre nous qu’il doit être le centre de tout et devenir un sujet d’indignation dès le premier pet de travers.

Le « vivre ensemble » c’est aussi une forme de fatalisme face aux désagréments de la vie, de la météo, et même face aux « erreurs humaines ». Je rougis en pensant à ce que les générations précédentes ont subi ou aux catastrophes naturelles qui ont frappé cette année Haïti, la Russie, le Pakistan l’Indonésie. La discipline minimale devrait nous imposer d’accepter ces petits soucis sans hurler systématiquement à la violation de nos droits. Et de comprendre que la vie qui n’est pas un long fleuve tranquille, commande parfois. Peut-être même de nous en réjouir. Tout à son rêve de confort, la France, ce vieux pays grognon, semble l’avoir oublié.



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Avocat et chroniqueur radiophonique occasionnel à Paris. Catalan d’origine, fait du <em>stand-up-paddle</em> sur l’Océan. Ne participe pas à la guerre des pro-Méditerranée contre les pro-Atlantique.

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