Accueil Politique La grande peur de Fukushima

La grande peur de Fukushima


Et si pour une fois, je commençais par les préliminaires ? Que les choses soient claires:
ce qui se passe actuellement au Japon est réellement inquiétant, au sens étymologique du terme. Etant depuis toujours d’opinion plutôt atomiste et de complexion plutôt jemenfoutiste, je n’irai pas vous faire croire que je ressens intimement cette inquiétude, mais quand les réacteurs partent en vrille les uns après les autres dans l’un des pays où les centrales sont les plus sécurisées du monde, quand un accident nucléaire atteint le niveau 6 sur une échelle qui en compte 7 (le niveau 7 étant Tchernobyl), je conçois parfaitement que les esprits les plus sereins (pas moi, donc) ne restent pas quiets. La catastrophe de Fukushima appelle un vrai débat, c’est-à-dire dans nos sociétés, quelque chose qui n’existe pas.

En vertu de quoi il me paraît grotesque de reprocher aux Verts d’instrumentaliser Fukushima pour doper leur campagne des cantonales. Faire de la politique, c’est aussi savoir réagir à l’actualité: quand le JT vous passe les plats gratos, on a bien raison de se servir, voire de se bâfrer. Les écolos n’ont pas découvert jeudi dernier qu’ils étaient hostiles au nucléaire, ils l’ont toujours condamné, sans discontinuer. Le refus de l’énergie atomique, y compris civile, est à l’origine de leur existence même, et dans cette mouvance, plus portée que toute autre famille politique au pilpoul et aux bisbilles internes, c’est l’un des rares sujets qui n’ait jamais fait débat. Quand Jean-François Copé leur reproche leur « indécence », et décrète que « la circonstance commande d’abord un réflexe de solidarité », il prouve seulement que l’UMP ne sait plus faire de politique. Ou plus exactement qu’elle ne sait en faire qu’en actionnant quelque leviers primitifs (peur, compassion, indignation), qui requièrent tous d’avoir les vents idéologiques dominants dans le dos. Quand on les prend en pleine figure, et qu’on ne sait plus argumenter, alors on accuse les autres (les Verts cette fois mais ça marche aussi avec le PS, le FN ou la presse…) d’être des charognards. La déclinaison de cette semaine de Moderne contre moderne, c’est Indigné contre indigné.

Venons en maintenant au vif du sujet, à savoir ce que nous disent les alarmistes, et ce que nous ont dit les rassuristes, dont on s’occupera en premier car leur cas est plus facile à régler : rarement on aura vu pareille bande d’abrutis. À Tokyo, à Washington, à Paris, ils nous auront servi sans l’ombre d’une hésitation les mêmes mensonges qu’immédiatement après Three Miles Island ou Tchernobyl. Circulez, y a rien – ou si peu de choses – à voir, tout est under control, et les radiations s’arrêteront comme d’hab’ à la douane de Menton-Garavan.

Ces gens-là (lobbys nucléaires, Etats et experts à leurs soldes) ont décrété qu’il fallait minimiser et mentir pour empêcher la panique ou pour éviter, comme dirait l’autre, que se propage un « sentiment d’insécurité » chez les masses ignorantes. Il va de soi que quand, à l’arrivée, les mêmes se voient obligés de classer Fukushima en classe 6 et tentent avec 96 heures de retard, autant dire un siècle, de parler le langage de la vérité et de la responsabilité, plus personne ne les écoute. Un grand bravo, ils auront plus fait contre le nucléaire que tous les écolos barbus du monde réunis.

Fort de ce soutien en creux inespéré, côté anti, c’est reparti comme en quarante grâce à la catastrophe japonaise, ou comme dans les seventies, aux grandes années du Larzac, de Plogoff et de Creys-Malville. Chérie, je me sens rajeunir !

Depuis trois jours, ils ont table ouverte dans les radiotélés, celles-ci -sans doute un rien déçues que le cours des événements en Libye ne soit pas raccord avec les agendas fixés en conférence de rédaction- leur servent la soupe à flots continus d’édition spéciales et permanentes, un peu comme si les compteurs Geiger vrombissaient déjà dans Paris intramuros en pleine pénurie de pilules d’iode. Et comme chez les écolos aussi on est non seulement en campagne pour dimanche prochain, mais aussi en pré-campagne pour l’an prochain, chacun en fait des tonnes, voire des mégatonnes. Chérie, fais-moi peur !

On exclura du lot des affoleurs la malheureuse Eva Joly qui a répété sur toutes les chaînes qu’après cette catastrophe « on changeait de paradigme », sans tenir compte du fait que sa cible, la ménagère de moins de cinquante ans, avait parfois un vocabulaire de moins de cinquante mots… M’est avis qu’après le paradigme, Eva aurait intérêt à changer de conseiller com’.

Sans surprise, Nicolas Hulot ne fait pas beaucoup mieux : « Il faut sortir de cette arrogance de penser toujours que la technologie, le génie humain peuvent tout. Le nucléaire, en l’état, ne peut pas être la réponse à nos besoins énergétiques », nous dit Nicolas du haut de son expertise mondialement reconnue, avant de conclure : « On a encore une fois la démonstration, on ne peut pas remettre le sort de l’humanité dans une vulgaire et tragique roulette russe. » Le style boursouflé ne vous rappelle rien ? Si, si cherchez un peu, ou essayez d’y ajouter une respiration hachée… Bingo, Nico a fait cette déclaration depuis l’Amérique du Sud, où il est en train de tourner un nouvel épisode d’Ushuaïa. Faudrait pas mélanger les genres, chéri…

On passe aux choses plus sérieuses avec Cécile Duflot. Outre le prêchi-prêcha usuel sur le solaire, les éoliennes, le feu Grenelle de l’environnement, le grand truc de Cécile, c’est l’arrêt immédiat de la centrale de Fessenheim (c’est en Alsace que les Verts font historiquement leurs meilleurs scores aux cantonales) et surtout le moratoire sur les EPR. Voilà une idée qu’elle est bonne, puisque l’EPR en construction de Flamanville se caractérisera par un niveau de protection bien plus fort que les centrales de générations précédentes. Et que toutes les filières de niveau de niveau IV prévues pour être opérationnelles dans quinze ou vingt ans seront encore plus délibérément axées sur la minimisation des risques et la diminution des déchets. J’aurais aimé qu’un des 850 journalistes qui l’ont invitée à dérouler son mantra depuis vendredi lui fasse remarquer que le moratoire implique l’arrêt de toute recherche donc l’impossibilité d’œuvrer à la modernisation du parc. Rassurant vu de loin, un moratoire condamne de fait l’humanité à tourner ad vitam aeternam avec des réacteurs type Fukushima voire Tchernobyl. Dit comme ça, ça vous rassure toujours le moratoire ?

Enfin quand je dis ad vitam aeternam, c’est pour les 25 ou 30 ans à venir, d’ici à ce qu’on abandonne définitivement le nucléaire, selon le calendrier écolo officiellement en vigueur. Là encore, j’aurais aimé qu’on taquinât un peu plus Cécile (ou Voynet, ou Mamère qui ont tous débité le même credo, parfois à la virgule près). Car pendant ces 25 ans -là, on fait quoi, comment on se chauffe, comment fait tourner sa Wii ou son iPad, et accessoirement sa voiture propre, qui roulera à l’électricité nucléaire ou bien ne roulera jamais qu’au salon de l’Auto? Et je ne vous raconte pas la partie de plaisir en 2040, une fois que le dernier salarié d’EDF aura éteint la lumière dans la dernière centrale… Chérie, fais-moi mal !

Les écolos détestent être caricaturés en zélateurs du retour à la bougie, aux couches lavables et au vélocipède, mais même en défigurant la France entière avec des éoliennes géantes et des chauffe-eau solaires, c’est bien à ça qu’on sera fatalement rendu. À moins, à moins, qu’on fasse comme tous les pays qui estiment pouvoir se passer du nucléaire qui fait si peur à l’électeur : le recours massif aux combustibles fossiles. Bon ce n’est peut-être pas le climax de l’écologiquement correct, mais si on stoppe les centrales, c’est comme ça que ça finira. Avec un baril à 300 ou 400 dollars, avec toute les guerres pétrolières qui s’ensuivront, les dizaines de millions de morts qu’elles provoqueront – et qu’on ne mettra surtout pas en balance avec les 80 000 morts qu’aurait provoquées Tchernobyl, selon les hypothèses les plus noires. On regrettera au passage que personne ne se soit hélas – à ma connaissance – amusé à calculer le nombre de bronchites chroniques, cancers du poumon et maladies respiratoires évitées grâce au nucléaire.

Le vrai lobby antinucléaire ce ne sont pas les Verts, ce sont les compagnies pétrolières. Chéri, pourquoi tu tousses ?



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Joffrin débusque deux nouveaux crypto-lepenistes : Taddeï et Todd
Article suivant Mourir pour Benghazi ?
De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération