Un enfumeur nommé Kerviel


Un enfumeur nommé Kerviel
Photo: Jérôme Kerviel. Sipa: Numéro de reportage : AP21906044_000001.
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Photo: Jérôme Kerviel. Sipa: Numéro de reportage : AP21906044_000001.

L’interminable feuilleton Kerviel vient de donner lieu à un nouvel épisode qui en dit long sur l’état de la société française. On renverra à des écrits précédents pour éviter les redites. On conseillera également la lecture des articles de Pascale Robert Diard sur le sujet dans Le Monde.

Escroquerie et abus de confiance

Simplement, il convient de rappeler que Jérôme Kerviel a été reconnu coupable d’escroquerie et d’abus de confiance à l’égard de son ex-employeur la Société générale. Après une instruction particulièrement minutieuse, une audience de trois semaines devant le tribunal correctionnel aboutissant à une décision de condamnation de 300 pages, une audience d’appel également de trois semaines pour un arrêt tout aussi long aboutissant à la même conclusion. Au regard du droit et de la justice, Jérôme Kerviel est donc définitivement un escroc. La Cour de Cassation a simplement cassé l’arrêt sur la question des dommages et intérêts dus à la société générale. Il a été reproché à la Cour de ne pas avoir recherché si la responsabilité de la banque partie civile, dans la surveillance de son agent, ne pouvait pas être étudiée, et aboutir ainsi à une diminution des sommes mises à la charge de celui-ci. C’est ce que la Cour d’appel de Versailles devra examiner. En aucun cas la condamnation pénale n’est remise en cause.

Désinvolture prud’hommale

Coup de tonnerre dans un ciel serein, le conseil des prud’hommes de Paris, faisant preuve d’une désinvolture juridique stratosphérique, vient de nous dire que le licenciement de l’agent escroc était dépourvu de « cause réelle et sérieuse » et que par conséquent il fallait indemniser le malheureux à hauteur de 450 000 euros ! Alors comme ça, il n’est pas possible de foutre à la porte un employé, qui en trafiquant les procédures, vous a fait perdre plusieurs milliards d’euros ? Pour la juridiction paritaire, il faut croire que non. Nous n’avons pas disposé du détail de la décision mais n’importe quel juriste la trouvera ahurissante.

Si l’on s’en réfère au droit lui-même, c’est encore pire. Car il existe un principe fondamental, celui de « l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil (qui comprend les décisions prud’hommales) ». La Cour de Cassation l’a encore rappelé dans l’attendu de principe de son arrêt du 24 octobre 2012, en confirmant que cette règle « s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé ». Si la règle ne s’attache en principe qu’au dispositif de la décision, la Cour de cassation réaffirme dans cet arrêt qu’elle s’étend également aux « motifs qui en sont le soutien nécessaire ».

Il est donc évident que l’escroquerie et l’abus de confiance établis à l’encontre de Jérôme Kerviel et assorti quand même de quatre ans de prison (!) impliquent la possibilité pour son employeur de le licencier non seulement pour « cause réelle et sérieuse », mais également pour « faute grave » et même pour « faute lourde ». Eh bien non, nous dit le conseil des prud’hommes, la Société Générale aurait dû le garder dans ses effectifs. Et le laisser poursuivre son petit commerce délirant ?

Je fais partie de ceux qui considèrent que comme en Islande, la crise de 2008 aurait dû remplir de banquiers responsables de la catastrophe les divisions VIP des maisons d’arrêt et des centrales de notre pays. Les dirigeants de la Société générale comme les autres.

Un « héros » pas très discret

Mais ce n’est pas une raison pour dire et faire n’importe quoi, ni transformer un petit trader escroc en « working class hero ». Cette imposture est difficilement supportable.

Alors que celui-ci et son avocat se défendent avec énergie, c’est normal et c’est juste. Ce n’est pas une raison pour que des journalistes et des hommes politiques continuent à répandre le mensonge et à nourrir l’imposture. Malheureusement, qu’il se soit trouvé aujourd’hui un Conseil des prud’hommes pour jouer à ce petit jeu est déplorable et c’est une mauvaise action. Les tenants de la disparition de cette juridiction paritaire utile, disparition qui permettrait de compléter le démantèlement du code du travail, vont se frotter les mains. Et les complotistes de tous poils vont pouvoir continuer à nourrir leurs fantasmes. Par charité on ne parlera pas des amis de Jean-Luc Mélenchon.

Il y a pourtant bien un combat à mener contre les banques et leurs affidés. Le gouvernement socialiste a réussi à vider la nouvelle loi bancaire de toute substance, à l’encontre même du rapport de Michel Barnier pourtant difficilement qualifiable de gauchiste excité. La séparation des activités de dépôt et d’investissement est urgente et impérative. Mais il n’est nul besoin de brandir un faux héros comme étendard, au contraire.

Ce nouvel épisode fait également apparaître un phénomène inquiétant. La justice est une des fonctions régaliennes de l’État, et le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne va pas très bien. Le caractère calamiteux du passage de Christiane Taubira place Vendôme, relevé par son successeur, a laissé l’appareil judiciaire à l’abandon, voire à certains endroits en état de clochardisation avancée. Par ailleurs, il y a eu l’instrumentalisation de la justice pénale à des fins partisanes dans une chasse au Sarkozy, mais aussi aux syndicalistes comme l’ont montré les affaires Goodyear et Air France. Tout cela a laissé des traces. Dont la plus sérieuse est une perte de crédibilité voire de légitimité des institutions judiciaires.

Le bras d’honneur que vient d’adresser le conseil des prud’hommes de Paris à la hiérarchie judiciaire est, de ce point de vue, un symptôme inquiétant.



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