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Mariage de Harry et Meghan : bobos rois !

Pour redorer son blason, la famille royale ne lésine pas sur le politiquement correct


Mariage de Harry et Meghan : bobos rois !
Prince Harry et Meghan Markle, Londres, 27 novembre 2017. ©Ben Stansall

Le prince Harry va épouser en grande pompe l’actrice métisse américaine Meghan Markle. L’événement mondialement retransmis s’inscrit dans la stratégie de communication de la reine Elizabeth II. Objectif : redorer le blason des Windsor terni par la mort de Lady Di. A cette fin, la famille royale ne lésine pas sur le politiquement correct.


Alors que Kate Middleton vient de donner naissance à un troisième enfant, le prince Harry épousera aujourd’hui 19 mai l’actrice américaine Meghan Markle. Tous les ingrédients du conte de fées propre à enchanter les foules sont réunis : 2 640 invités parmi lesquels on comptera des célébrités à foison (aristocrates, sportifs, stars hollywoodiennes) et des personnalités politiques de premier rang dont, sans aucun doute, Brigitte et Emmanuel Macron, et peut-être Michelle et Barack Obama. On peut s’attendre à un déploiement inouï de robes de haute couture et de bijoux fastueux dans la chapelle Saint-Georges – une pure merveille de l’art gothique – au sein de l’immense château de Windsor, un édifice de plus de 1 000 pièces. Tous les médias qui le souhaitent pourront retransmettre en direct la cérémonie au reste de la planète. Au point que la rediffusion battra peut-être le record de deux milliards de téléspectateurs enregistré lors du mariage de William et Kate, en avril 2011.

Surtout, l’organisation de cet autre mariage du siècle marque l’aboutissement d’une stratégie au long cours. Grâce une communication bien rodée, la famille royale britannique, sous l’impulsion d’Elizabeth II, est parvenue à se démarquer de son image d’institution empesée et autoritaire. Harry et Meghan devraient ainsi permettre d’oublier les périodes les plus controversées de la famille royale ouvertes par le traumatisme qu’a été la mort de Diana le 31 août 1997. Dans les années 1990-2000, la vie mouvementée du prince Andrew et de son ex-épouse Sarah Ferguson avait également fait les choux gras de la presse people, de même que les écarts de conduite du futur marié Harry. Enfin, les relations troubles entre l’oncle d’Elizabeth II, Edward VIII, duc de Windsor et roi éphémère, avec le régime nazi, avaient mis la monarchie britannique dans l’embarras après les révélations du tabloïd The Sun en 2015.

L’événement le plus branché du siècle

C’est dire si les Windsor avaient besoin de redorer leur blason. Meghan a le profil parfait pour une opération séduction auprès du peuple britannique. Militante pour les droits des femmes avec les Nations unies jusqu’à une date récente, elle représenta une ONG chrétienne, World Vision, engagée dans la lutte mondiale contre l’éradication de la pauvreté. Métisse afro-américaine, roturière et divorcée de trois ans plus âgée qu’Harry, Meghan était en outre catholique jusqu’à sa conversion à l’anglicanisme en mars 2018[tooltips content= »Sa belle-sœur, Kate Middleton, duchesse de Cambridge, est d’origine juive par sa mère Carole Goldsmith, sœur du millionnaire Gary Goldsmith. »]1[/tooltips].

Rien n’a été laissé au hasard. Le mariage, avant tout caractérisé par sa « coolitude », devrait ravir les bobos. Parmi les bardes qui l’animeront, outre l’inamovible Elton John, ami de feu la princesse Diana, le chanteur Ed Sheeran, la nouvelle référence de la pop internationale, est attendu. Proche de la famille royale, ami du prince Harry, il a été décoré de l’ordre de l’Empire britannique en raison de son succès planétaire. James Blunt ainsi que le groupe Coldplay pourraient également être de la partie et faire de cette célébration l’événement le plus branché du siècle.

« Régénération » et « démocratisation » de la monarchie britannique

Au fil des dernières décennies, la monarchie s’est insérée dans le globalisme et le politiquement correct ambiants pour se réconcilier avec son époque. Partant, le gâteau de mariage sera élaboré par une chef pâtissière californienne « à partir d’ingrédients bio », l’accent étant mis sur « leur provenance, leur saisonnalité et bien sûr leur saveur ». Quant aux fleurs utilisées pour les décorations florales, « d’origine locale et de saison », Kensington Palace a fait savoir qu’elles seraient distribuées à des organisations caritatives après les noces. Pour couronner le tout, il a été annoncé début mars que les futurs mariés inviteraient 1 200 membres du public ainsi que 200 bénévoles d’organisations caritatives, 100 élèves des écoles locales et 530 membres de la maison royale et du château de Windsor, ces noces illustrant ainsi le souci de la maison d’Angleterre pour la mixité sociale.

De quoi faire entrer dans la lumière une nouvelle génération de royals prompts à communier avec l’humanité tout entière dans l’idéologie du vivre-ensemble, du développement durable et de l’harmonie cosmique. À cet égard, Stéphane Bern considère dans L’Express que le mariage de Meghan et Harry est révélateur du processus de « régénération » et de « démocratisation » au sein de la monarchie britannique.

Plus prosaïquement, on peut analyser le retour en grâce de la famille royale dans le cœur des Britanniques et sur la scène internationale comme la conséquence d’une prise de conscience – in extremis – par la monarchie de la nécessité de mettre sur pied une stratégie efficace de communication. Par exemple, le simple fait que l’Union Jack n’ait pas été mis en berne à la mort de Diana rendit les Britanniques furieux alors qu’ils pleuraient leur « Reine de cœur ». Ces ratés dans la communication de Buckingham faillirent entraîner la disparition pure et simple de la monarchie. Pour se remémorer le déroulement des événements, l’excellent film de Stephen Frears (2006), The Queen, avec l’actrice Helen Mirren, montre les tractations entre la reine et le Premier ministre d’alors, Tony Blair, autour des obsèques de la princesse Diana.

Mais en dépit de cette funeste épreuve, le navire ne sombra pas. Et ce, grâce à une reprise en main énergique du service de presse de la famille royale, notamment par un ancien journaliste du Financial Times et directeur de la communication de Manchester United, Paddy Harverson, et son adjoint, Miguel Head, un ancien responsable de la communication du ministère de la Défense britannique. On notera également le rôle déterminant joué par le personnage haut en couleur, Jamie Lowther-Pinkerton, un aristocrate ancien officier des forces spéciales, qui fut conseiller de Queen Mum, la « reine mère », puis secrétaire particulier de Charles, Camilla et des princes William et Harry à compter de 2005.

« Good evening, Mr Bond ! »

Signe d’un changement réussi dans la communication de la maison d’Angleterre, l’apparition mémorable d’Elizabeth II, 86 ans, doublée par un cascadeur dans une séquence d’hélicoptère, et sa réplique : « Good evening, Mr Bond ! » aux côtés de Daniel Craig, dans un clip vidéo à l’occasion de la cérémonie d’ouverture des JO de Londres en 2012, événement retransmis à un milliard de téléspectateurs !

En dehors de ces occasions exceptionnelles, la stratégie de communication mise en place à Clarence House s’attache à créer l’illusion d’une proximité entre le mode de vie des royals et celui de tout un chacun. Après tout, comme le disait le fondateur du cirque Barnum : « Personne n’a jamais perdu un dollar en sous-estimant le goût du public ! » C’est ainsi que depuis 2011, le public anglais se repaît de voir Kate Middleton, duchesse de Cambridge, se mettre régulièrement en scène en portant des vêtements de prêt-à-porter accessibles à toutes les bourses.

La future reine d’Angleterre prend également soin de voyager sur des compagnies low cost telles que Easyjet. Sa future belle-sœur Meghan fait de même lorsqu’elle se fait photographier en classe économique sillonnant le monde avec le prince Harry. Le public en liesse a pu l’apercevoir au faîte de la mode branchée, portant des jeans déchirés de la marque américaine Mother, lors de sa première apparition officielle au bras du prince Harry à Toronto, en septembre 2017, lors des Jeux Invictus, une compétition multisports paralympique pour blessés de guerre, créée par le prince Harry lui-même.

« L’exemple ultime du mariage de l’ancien et du moderne »

Dans le même esprit, surfant sur la vague écologique, la famille royale s’engage à partir de 2017 dans la défense de l’environnement avec des initiatives plus ou moins crédibles. Pour preuve, l’utilisation d’un biocarburant obtenu à partir de surplus de vins européens et de résidus d’une fromagerie (!) pour l’Aston Martin DB5 vintage du prince Charles. Buckingham Palace a par ailleurs annoncé vouloir s’attaquer à la pollution plastique des océans en utilisant de la vaisselle recyclable et des emballages biodégradables dans toutes les résidences royales.

Toutefois, le biographe de la famille royale, Robert Hardman, considère que ces changements ont été amorcés par la volonté même de la Reine. Apparemment, Elizabeth II s’inspirerait de son aïeul George V, qui eut la bonne idée d’inventer des titres honorifiques – les OBE (Officiers dans l’Ordre de l’Empire britannique) et les CBE (Commandeurs de l’ordre de l’Empire britannique) – qu’il pourrait décerner à des roturiers afin de s’assurer de l’assentiment du peuple et protéger ainsi l’institution monarchique. Afin d’améliorer l’image de la monarchie vieillissante, de réels changements structurels ont été effectués. Par exemple, les règles de succession ont été assouplies. Si, jusqu’en 2015, le prince Harry n’aurait pas pu épouser une catholique, cela est devenu possible (même si Meghan Markle a tenu à se convertir) depuis l’abolition de l’Acte d’établissement de 1701. Toutefois, aucun héritier catholique ne peut devenir monarque.

C’est dans ce cadre qu’il faut inscrire l’union de Harry et Meghan. Les tourtereaux incarnent, pour Robert Hardman, « l’exemple ultime du mariage de l’ancien et du moderne : un couple du XXIe siècle vivant maritalement, qui convole en justes noces dans le plus grand château inhabité du monde (construit il y a près d’un millénaire par Guillaume le Conquérant) ».

Pour ne rien gâcher, le mariage de Meghan et Harry représente une opération financière rentable d’une rare envergure, car il s’agit aussi de maintenir à flot le navire royal. Pour mémoire, la reine Elizabeth est à la tête d’une immense fortune de 500 millions de livres sterling. Elle est surtout le plus grand propriétaire terrien au monde, devançant même le roi d’Arabie saoudite.

34 millions de livres sterling de perdus, 2 milliards de retrouvés

En 2011, le mariage de Kate et William à l’abbaye de Westminster aurait rapporté deux milliards de livres sterling en retombées économiques, notamment touristiques, malgré un coût record de 34 millions de dollars, dont au moins sept millions payés par les contribuables pour financer le dispositif de sécurité. La robe de Kate coûta la bagatelle de 434 000 dollars et les gâteaux de mariage 80 000 dollars. Cette fois-ci, la presse people évoque un coût de 45 millions de livres, mais également des retombées économiques considérables pour le Royaume-Uni, actuellement en pleine incertitude sur le Brexit.

Lors du MIPTV à Cannes (le plus grand marché global des productions TV) en avril, les acheteurs de productions audiovisuelles pouvaient se procurer le nouveau téléfilm inspiré de la love story entre Meghan et Harry, intitulé Meghan and Harry : A Royal Romance et produit par la chaîne américaine Lifetime. Autre film qui sera projeté avant le grand jour, le documentaire Meghan Markle : An American Princess, acheté par la chaîne américaine Fox TV.  Rien qu’en produits dérivés – du dé en porcelaine au tee-shirt féminin avec l’inscription « It should have been me ! » (« ç’aurait dû être moi ! ») – les vendeurs de souvenirs prévoient déjà près de 60 millions de livres de chiffres d’affaires.

Côté glamour, les multinationales de l’industrie cosmétique, les marques de vêtements et d’accessoires de mode, scrutent inlassablement les tenues de Meghan Markle. Par le biais de la presse people qui leur sert de relais, ces enseignes vendent leurs marchandises à l’échelle globale en quantités astronomiques aux millions d’imitatrices de la future duchesse de Sussex.

Bon public, nous regarderons en direct la retransmission du mariage royal devant nos écrans de télévision tout en feignant d’ignorer le son tintinnabulant des espèces sonnantes et trébuchantes qui tomberont dans les (très) larges coffres de la Couronne d’Angleterre.

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Causeur #57 - Mai 2018

Article extrait du Magazine Causeur




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Analyste géopolitique (Russie, Turquie), auteur et spécialiste en relations internationales et en études stratégiques.

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