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Gianni Agnelli, une affaire de style

L'industriel italien et dirigeant de Fiat aurait eu 100 ans aujourd'hui


Gianni Agnelli, une affaire de style
Gianni Agnelli et Michael Schumacher, Monza, août 2000 © OLYMPIA/SIPA Numéro de reportage : 00465875_000027

L’Avvocato, patron scintillant de la Fiat, creuset de l’identité italienne, aurait eu 100 ans


Le jour où Gianni Agnelli (1921-2003) a tiré sa révérence, j’ai arrêté de croire dans les vertus de l’économie de marché. Le capitalisme triomphant avait perdu son astre dominant. L’automobile, ma raison de vivre. A quoi bon participer à la duperie de l’offre et de la demande, à la saine concurrence faussée et à la nécessité de gagner de l’argent ? Pour s’extraire de la foule, pour faire plaisir à ses parents ou à sa petite amie ? Le jeu n’en valait plus la peine. Il nous manquait un modèle, une référence, un guide, un type qui ne ressemblerait pas à un haut-fonctionnaire endimanché ou à un milliardaire de la tech à capuche. Gianni avait l’allure de ces artistocrates italiens, un guépard cultivé et dessalé, l’aura naturelle des élus, le charme vénéneux des êtres à part. On n’apprend pas le style et le maintien dans les écoles de management. Les jeunes ambitieux cherchent inlassablement le pouvoir en brillant dans des concours administratifs comme les hommes politiques courent, toute leur vie, après des électeurs versatiles. Gianni était le pouvoir incarné, l’illustration de l’injustice sociale radicale, le monde tournait autour de lui. Les autres n’existaient pas.

Latinité exacerbée

À sa mort, en 2003, le système s’est écroulé comme un château de cartes. Les économistes nous parlent souvent de cette mystérieuse confiance sans laquelle toute entreprise serait vouée à l’échec. J’avais confiance en l’éclat moqueur et rieur de Gianni, en ses Ferrari taillées sur mesure, en sa montre ostensiblement posée sur le poignet de sa chemise, en son profil racé de sénateur à vie, en son bronzage méditerranéen, en ses tempes blanches aux reflets d’argent, en sa main mise sur la Confindustria, en ses aventures nocturnes, en ses villas patriciennes où l’on sirote, l’été, un Campari au son de Peppino di Capri, en ses collections d’art, en toute cette latinité exacerbée. Il nous en mettait plein la vue, sans forcer son talent, sans gesticuler, sans faire de l’épate, il était tout simplement le centre de gravité des Trente Glorieuses. L’endroit exact où les désirs et les rêves de réussite, l’aisance financière et les cercles mondains, les affaires et les alcôves, le soleil brûlant et les mocassins à picots ensorcellent les Européens en manque de repères identitaires.

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Je croyais sincèrement dans cette figure qui incarnait pour moi la renaissance italienne d’Après-guerre, l’esthétique du « beau » et de l’inutile, le sport professionnel et la morgue fiévreuse des princesses lombardes. Gianni, c’était l’opposé de notre société progressiste dégoulinante de bons sentiments et d’une implacable raideur dogmatique. C’était la Grande Bellezza sur une piste de ski ou dans un conseil d’administration, à la barre d’un voilier ou au volant de sa Fiat Panda. Aujourd’hui, les mots n’ont plus le même sens, la même teneur nostalgique. Les nouveaux capitalistes ressemblent à des étudiants pouilleux, ils singent la normalité pour mieux imposer leur magistère numérique, ils usent de cette vieille ficelle de communicant élyséen, souvenez-vous, du chébran ou du câblé mitterrandien, tellement démodée. Ils ont la richesse honteuse, presque cafardeuse comme si elle avait été mal acquise. Ils sont une insulte aux classes laborieuses.

Un véritable culte

En Italie, peu importe son bord politique, libéral décomplexé façon « Milano da bere » des années 80 ou coco refondateur, on vénère l’Avvocato, on le célèbre dans la presse, on l’imite, on ne le jalouse pas, on l’affiche même dans son salon en poster, torse nu en pleine mer ou en veste matelassée dans les paddocks d’un circuit, car il en impose toujours à un peuple qui a la volonté farouche d’oublier les privations. Son image flamboyante est une forme d’espoir pour tous les Italiens. L’anniversaire de son centenaire est donc l’objet d’un véritable culte chez nos voisins. Le GQ Italia de mars dernier lui a consacré un long reportage avec cette phrase mise en exergue, inutile de la traduire : « Gianni Agnelli era l’ideale di ogni maschio nel mondo ». Le musée Enzo Ferrari à Modène lui dédie en ce moment même une expo virtuelle intitulée Gianni Agnelli e Ferrari, l’eleganza del mito, on peut notamment y admirer l’exclusive barchetta 166 MM des années 50. En matière de voitures, de vêtements ou de standing, Gianni reste un indépassable influenceur, celui qui n’a jamais eu peur de la rupture, capable de chausser des boots en veau velours marron avec un costume bleu, de porter la cravate extrêmement courte et la pochette blanche. Chez lui, le pantalon large à pinces n’a pas l’effet comique et bouffant d’un Chirac. Gianni peut tout porter, le ridicule ne l’atteint pas. Tout semble lui sourire. Il n’est pas soumis comme nous aux contingences matérielles ou existentielles, il est au-dessus. Hors du cadre. Et les peuples vigoureux qui ne sont pas obnubilés par l’aigreur comme nous autres Français, le reconnaissent comme tel, un dieu vivant. Cet héritier aussi charismatique que Bart Cordell dans le film de Philippe Labro n’était pas homme à s’asseoir dans un insipide SUV ou à porter un genou à terre. Tous ceux qui l’ont croisé dans les allées des salons automobiles internationaux du temps de sa splendeur, ont eu le souffle coupé. Une apparition céleste. Il était un empereur désinvolte et terriblement inspirant pour nous, anonymes ébahis.

En ce 10 mai, jour de victoire amère aussi bien pour les gens de gauche que de droite, je préfère me souvenir de cette silhouette classieuse aperçue sur le site du Lingotto à Turin. La frontière qui sépare la nuit de la lumière…

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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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