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La France fiscale, tu l’aimes ou tu la quittes !


La France fiscale, tu l’aimes ou tu la quittes !

gerard depardieu ayrault

Nous avons fait un rêve. En lisant la lettre adressée par Gérard Depardieu à Jean-Marc Ayrault, nous avons imaginé une France rouge écarlate gouvernée par des disciples de Louise Michel. Le Premier ministre de la France en Louis Rossel, il fallait se le figurer… Pourtant,  quoi qu’en dise la chanson, « T’en fais pas Nicolas, la Commune (est bien) morte » !

Tout cela pour un mot échappé de la bouche d’Ayrault – qui a jugé « minable » l’évasion fiscale du héros des Valseuses – et aussi une promesse faite du bout des lèvres par le candidat Hollande : au-dessus du million d’euros annuel, je prends 85 % ! Un engagement de campagne  qui fit s’étrangler le futur ministre du budget, Jérôme Cahuzac, et inspira cette réflexion à Emmanuel Macron, conseiller économique du Président, ancien de Rothschild cornaqué par le néo-bolchévique Jacques Attali : « C’est Cuba sans le soleil ! »… avant d’être invalidé par le Conseil Constitutionnel.

Avant de devenir citoyen russe et russophile militant, Gérard Depardieu avait donc décidé de se domicilier dans la petite ville frontalière de Néchin, très prisée par les grandes fortunes françaises comme la famille Mulliez, propriétaire d’Auchan, et dont le bourgmestre (sosie de Claude François) accueille volontiers les évadés de la prison fiscale française. Les noms d’oiseaux qui ont plu sur le plus grand acteur français encore vivant lui ont valu la défense de la patronne, qui dénonce à raison la tartufferie des sans-frontiéristes enfin placés en face de leurs contradictions. L’Europe de la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux, voilà une belle autoroute pour l’ «optimisation fiscale » à laquelle s’adonnent nos grands industriels : Total ne paie pas un centime d’impôts en France ! Et que dire de tous ceux qui prennent le sans-papier pour la figure ultime de l’opprimé postmoderne ? Encourager l’immigration illégale pour fournir Boboland en nounous africaines à bon prix, puis tomber sur l’évadé fiscal transeuropéen : cherchez l’erreur…[access capability= »lire_inedits »]

Seulement, à trop prendre au pied de la lettre les imprécations morales d’une gauche réformiste qui a depuis longtemps renoncé à changer le réel, on en oublie le vrai fond de l’affaire. Car non seulement Depardieu a renoncé à son double hôtel particulier parisien (1800 m2 mis aux enchères 50 millions d’euros, une paille !), mais il a jeté sa nationalité française aux pieds de Jean-Marc Ayrault, tel Vercingétorix capitulant devant César. Notre chère Élisabeth n’y voit qu’un égoïsme à visage humain, somme toute soluble dans le contrat social. L’ennui, c’est que nous vivons en France, ce grand pays de l’égalité dans laquelle Tocqueville décelait la matrice de la démocratie (mais aussi le pire danger qui la menaçait). Lorsqu’on se plaint de payer 85% d’impôts sur des revenus mirifiques, d’avoir enrichi le fisc de 145 millions d’euros en quarante-cinq ans – tout en se targuant d’employer 80 salariés dans ses différentes activités, ce qui représente in fine un ratio gains personnels/réinvestissements assez négligeable – on n’est pas forcément bien placé pour donner des leçons de respect au si consensuel Jean-Marc Ayrault.

Même s’il faut séparer la ville de la scène, lorsqu’on se pique d’anticonformisme en revendiquant ses  excès de bouffe et d’alcool, qu’on incarne (gracieusement !) un retraité qui se lance dans la quête désespérée de ses fiches de revenus dans le film grolandais Mammuth, il y a comme une contradiction à jouer les indignés de la feuille d’impôts. En fait, Depardieu se comporte  comme un Netchaïev de l’ISF : peu importent les moyens, seule la fin compte !

S’il y a quelque chose de comique dans l’histoire, c’est que, contrairement à la plupart de ses amis artistes qui, fussent-ils exilés fiscaux, s’achètent une bonne conscience sociale-démocrate à peu de frais, l’ancien soutien de Mitterrand reconverti dans le sarkozysme en 2012 se dit « citoyen du monde » et de l’Europe. Un beau pied de nez à la campagne barrésienne du tandem Buisson-Sarkozy, preuve qu’un certain vote de classe ne s’embarrasse pas de la terre et des morts lorsqu’il croit ses intérêts pécuniaires menacés. Eh oui, les riches sont de grands internationalistes, plus forts que le Komintern : « Rien que la Terre », disait Paul Morand pour parler de la devise des grands cosmopolites des années 1930. Il est vrai que se retrouver à une station de métro de la grand-place de Tourcoing relativise l’exploit du Gégé en matière d’exil exotique.

Et faire de la France l’Albanie d’Enver Hoxha, c’est aller un peu vite en besogne. Les experts télévisuels rivés sur leurs courbes et leurs graphiques omettent souvent de préciser que le taux de prélèvements obligatoire en France est passé de 45,5% en 2000 à moins de 44,5% aujourd’hui. De quoi relativiser le prétendu tsunami fiscal hollandiste…

Mais à quoi bon contrer tous les arguments bancals de « Depardiou », comme on dit aux States (un bastion rouge qui taxe fortement ses expatriés) ? À l’égoïsme bien compris,  nous opposons les principes du monde d’avant où, en matière fiscale comme dans des autres domaines, l’intérêt général de la France ne se réduisait pas à la somme de ses intérêts particuliers. Et Depardieu, qui a été intermittent du spectacle comme ses petits copains moins célèbres, et aura profité à ce titre d’un régime d’allocations particulièrement favorable de la part de cette France « qui n’aime pas le talent », est devenu, pour ses vieux jours, un intermittent de la nation caché derrière une friterie wallonne. Et ça se dit « citoyen du monde »

On peut en revanche trouver surprenant que la France se soit déchirée sur cette affaire. La France d’en-bas ne sait plus où donner de la tête. Pour faire simple, il y a les pauvres qui ont peur et ceux qui sont en colère. Ceux qui sont en colère et qui en ont marre de suer le burnous pour un SMIC horaire qui confine à la misère commencent à se rationner sur les soins médicaux, le chauffage, et évidemment les loisirs. À notre avis, ils ne sont pas près de retourner voir Depardieu au cinoche…

De l’autre côté, certains pauvres ont peur. Ces gens de peu croient sans le savoir à la théorie du ruissellement, typique de la pensée magique libérale : l’argent des très riches, tellement ils en ont, finirait toujours par profiter aux pauvres qui mettent les mains en bénitier pour récupérer les gouttes. Cela ne doit pas toujours être très vrai, comme théorie, puisque les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Le creusement indécent, voire délirant, des inégalités de revenus est  même un phénomène majeur des sociétés occidentales depuis une vingtaine d’années.

Jean-Marc Ayrault a donc parlé de comportement « minable » pour fustiger l’apatride putatif Depardieu. C’est peut-être la première fois de sa vie qu’il a dit un mot méchant. Il aura réussi un autre exploit : rendre Michel Sardou, sympathique – même aux gens de gauche qui sifflaient jusqu’ici ses ritournelles en cachette. Mais Michel Sardou est de la droite old school, celle qui est d’abord française avant d’être de droite. Il y en a encore. Si, si.

Sinon,  comme un bonheur ne vient jamais seul, un autre Michel, Houellebecq en l’occurrence, a quitté l’Irlande pour revenir en France, au prétexte qu’il n’y a pas que l’argent dans la vie. Aucune conscience de classe, ce Houellebecq. Ou alors c’est le syndrome du repenti. Ou encore, dernière hypothèse, il n’a plus toute sa tête : se jeter dans la gueule du loup d’un pays en crise, tenu par des partageux qui mènent des politiques fiscales confiscatoires, quelle folie ![/access]

*Photo : Tjebbe van Tijen / Imaginary Museum Projects.

Janvier 2013 . N°55

Article extrait du Magazine Causeur



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