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Géorgie : l’erreur de l’Occident


Géorgie : l’erreur de l’Occident

Les deux milliards de dollars quotidiens que rapporte à Poutine l’exportation de ses matières premières nous hypnotisent. Nous en concluons que la puissance soviétique est de retour. Faux, archi-faux. L’économie russe est toujours en lambeaux. Son PNB, indexé sur le prix du baril, vient à peine de dépasser celui du Benelux. Du temps de l’URSS, elle construisait plus d’avions civils que Boeing et Airbus réunis. Aujourd’hui, on n’en sort plus un seul. Son industrie automobile est en naufrage, seules les voitures étrangères se vendent. Elle ne fabrique plus un seul téléphone, un seul frigidaire, un seul ordinateur, rien si ce n’est des armes de qualité si douteuse que l’Algérie vient de renvoyer la quincaillerie qu’on lui avait fourguée. Le nombre de voitures a été multiplié par dix, mais pas un kilomètre d’autoroute n’a été construit en vingt ans. L’espérance de vie des hommes ne dépasse pas 59 ans, au niveau des plus misérables Africains. Un médecin du service public se fait 200 euros par mois. Hors Moscou, la Sécu est un mouroir. Contemplant Moscou et Saint-Pète, où tout le pétrole se déverse, le visiteur en déduit une prospérité époustouflante. Mirage. L’armée n’est pas dans un meilleur état que les routes. Les officiers comptent pour 50 % des effectifs. L’arsenal nucléaire, obsolète pour l’essentiel. En Ossétie, l’équipement des Géorgiens ne pesait pas lourd, mais il était bien plus sophistiqué que celui des Russes, ont observé les chroniqueurs militaires moscovites.

Chacun sait que la police de la circulation en Russie ne sert pas à fluidifier le trafic mais à racketter les automobilistes. Du bas en haut de l’échelle, les fonctionnaires ont pour seul souci de s’enrichir sur le dos des administrés. Au lieu d’une formalité administrative, on en invente cinquante autres absurdes, et à chaque étage il faut casquer. Le Parlement passe son temps à voter des lois qui compliquent davantage l’existence et offrent aux gratte-papiers une occasion supplémentaire de se faire graisser la patte. Au sommet, les pots de vin se chiffrent en milliards. Les officiers et les directeurs d’hôpitaux pillent tout autant que les autres. Le coefficient de corruption bat tous les records. Où un appareil d’Etat aussi pourri trouverait-il la moindre efficience ?

Le jour même de l’explosion ossète, sortait la dernière livraison de la revue new-yorkaise, Foreign Affairs, organe central de l’établissement, avec un rarissime article de la secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice, une réflexion sur les grands dossiers d’actualité. De l’Afghanistan à l’Europe, toutes les grandes affaires sont passées en revue. Pas un mot sur la Russie. Pour les gens sérieux à Washington, la Russie n’existe plus en tant que grande puissance. C’est un émirat flanqué d’un grand peuple en déclin accéléré, rien de plus. La recherche, jadis féconde, a chuté au point zéro. Pour la première fois depuis deux siècles, le pays de Dostoïevski s’est totalement évaporé de la scène culturelle mondiale. Ni fasciste, ni communiste, la Russie est une pure et simple kleptocratie conduite par l’ex-KGB. On serait incomplet et injuste si on ne mettait pas au crédit de Poutine l’élimination des mafias privées qui sous Gorbatchev et Eltsine s’étaient emparé du pouvoir réel et menaient le pays à une décomposition intégrale. Grâce au KGB, la Russie n’a pas disparu, elle est devenue un géant stérile et hyper vulnérable.

Vulnérable… et appétissante. Ce territoire, sans fin et dépeuplé, recèle, surtout sur son versant asiatique, un coffre-fort de richesses inépuisables. Quelle tentation pour tous les chapardeurs ! La Chine voisine et les Etats-Unis ne seraient pas mécontents de voir ce pactole tomber entre des mains plus « amies ». Si de mauvais coucheurs règnent à Moscou, pourquoi ne pas faciliter la tâche d’irrédentistes sibériens ? Face à la Géorgie, Poutine peut faire le malin. Devant la Chine, l’Iran ou la Turquie, il ne fait plus le poids. Sans parler de l’Amérique. L’intérêt supérieur de la Russie est de se conduire en gestionnaire fiable de la manne d’hydrocarbures indispensable à l’économie mondiale. Au lieu de quoi, on manipule à Moscou « l’arme du pétrole », on ferme les pipe-lines à l’occasion, on envahit la Géorgie et son BTC, on joue au con. S’ils persistent dans cette voie, et ils continueront car les kleptocrates ne voient que leur profit immédiat, la plaisanterie finira très mal. Et c’est cette infortunée, cette maudite Russie, qui encore paiera.

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Septembre 2008 · N°3

Article extrait du Magazine Causeur



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Guy Sitbon, ex-journaliste au Nouvel Obs, est chroniqueur à Marianne.

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