Le féminisme est-il un paternalisme?


Le féminisme est-il un paternalisme?

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Depuis qu’il s’est proclamé libérateur de la femme, le féminisme n’a cessé d’entreprendre et d’élargir le champ des possibles de la condition féminine. Ni putes, ni soumises les femmes revendiquent le droit d’être traitée à l’égal de l’homme.

Quand on critique le féminisme, les féministes sont toujours les premières à faire remarquer qu’il existe différentes formes de féminismes et que sous la bannière trompeuse de l’unité se cache, en vérité, une pluralité d’opinions. Pourtant, le principe d’unité qui les réunit est la profonde conviction que nous vivons (toujours) dans un système patriarcal, c’est-à-dire dans une société organisée autour, et érigée sur, la domination des hommes sur les femmes. Quant aux divergences, il semblerait que deux traditions dominent et divisent les féministes :celles qui croient à la différence entre les sexes et celles qui la nient. Au sein de ces deux « blocs » s’ouvrent ensuite tout un éventail de différentes traditions et de divergences. En Suède et dans plusieurs autres pays anglo-saxons, le premier bloc ne trouve aujourd’hui peu ou prou de défenseurs.

Celles qui nient l’existence des différences entre les sexes ne sont évidemment pas toutes insensibles aux réalités empiriques, mais elles pensent que ces différences tirent leur existence non dans la Nature mais dans l’Artifice – ou pour parler le langage du XXIème siècle – sont la résultante des constructions sociales. Une de ces constructions serait le genre, un genre puisant sa signification dans une représentation ontologique.

Cependant, le débat en France a pris une drôle de tournure lorsque il est, tout à coup, devenuillégitime de parler de « théorie » du genre. Les hérauts du genre ont brandit à sa place, l’épithète « études sur le genre ».  Mais en y réfléchissant de plus près, il existe bien ici une contradiction dans les termes. Comment peut on prétendre aux études de genre sans avoir une théorie sur le genre ?

En d’autres termes,  prétendre qu’il existe quelque chose comme le « genre » exige, en effet, de partir de l’idée que les différences entre les hommes et les femmes sont des constructions sociales. On peut donc en conclure qu’il s’agit bel et bien d’une théorie, au même titre qu’il existe une théorie de la relativité, une théorie psychanalytique ou une théorie marxiste. La théorie n’est rien d’autre qu’une manière de se représenter le monde afin de le rendre intelligible. Pourquoi alors nier cet aspect théorique qui dans d’autres domaines semblent, ne pas poser de problème ? En d’autres termes, pourquoi ne pas vouloir dire son nom ?

La réponse est politique.

Parce que la théorie des constructions sociales, (et en occurrence le genre) ne se limite guère à sa seule dimension descriptive, mais comporte bien une dimension normative. Disons les choses autrement. Un des  chevaux de bataille de la théorie du genre est le concept de « stéréotype ». Le concept « stéréotype » part de l’idée constructiviste que l’existence du genre engendre des stéréotypes renforçant la différence entre les hommes et les femmes. Ces stéréotypes auraient un impact sur le choix et les désirs des individus, ils les contraignent.Évidemment, le mot n’est ni neutre ni flatteur, exsudant même des connotations négatives puisque « stéréotype » est le contraire d’originale et l’originalité est dans la société des individus évidemment aussi bien un droit qu’un bien, mais passons. Ces « stéréotypes » expliqueraient pourquoi certains emplois seraient surreprésentés chez un sexe, tels que les infirmières ou bien les puéricultrices parmi les femmes, ou bien les plombiers ou les pompiers parmi les hommes.  Les stéréotypes encourageraient à la fois la ségrégation sexuelle des emplois et le statu quo.

On peut donc, sans trop grande difficulté, en tirer des conclusions normatives avec le scénario suivant : un sexiste convaincu – mais social-constructivistes – souscrivant à l’idée de stéréotype, défendrait alors, sur un mode conservateur, la préservation de ces stéréotypes parce qu’ils ont révélé leur efficacité (pragmatique), dans… par exemple la continuité du désir entre hommes et femmes – ou bien la stabilité de la famille etc. Il pourrait même dire, s’il est d’humeur réac, que la décadence ambiante tiendrait au fait que ces stéréotypes soient en chute libre…

Revenons alors à la part normative de l’étude de genre dans sa configuration « progressiste ». C’est elle qui a suscité tant de réfutations, d’approbations et de contradictions dans le débat public. Dans cette conception normative, on tire la conclusion que le stéréotype est un mal.Cette part normative comporte aussi son aspect politique. En premier lieu, le « stéréotype »pénaliserait ceux qui s’y opposent. Ils seraient mêmes exclus de la communauté puisqu’ils ne répondent pas aux exigences stéréotypiques.

Les hommes et les femmes qui perdurent dans ces stéréotypes  seraient aussi condamnés à ne pas être maîtres de leurs choix. Ils se sont fait avoir et surtout elles se sont fait avoir. Elles ne savent pas utiliser leur raison de manière appropriée, leur choix n’est pas délibéré, il est imprégné. Il faut donc les délivrer de leur propre inconscience devant l’influence des stéréotypes.

D’où la nécessité politique de combattre les stéréotypes .Les étudesde genre se réclament donc à la fois d’une théorie issue du « tournant culturel » et d’une praxis politique. En proclamant que les femmes ne sont pas maîtresses de leur choix, les féministes, adhérant à la conception du genre, reprennent néanmoins à leur compte le discours paternaliste. C’est-à-dire qu’ils replongent la femme dans l’état de minorité, « incapable de se servir de son entendement sans la tutelle d’un autre» (Kant). Cette fois, ce n’est pas au nom du Père mais au Non des pairs qui raisonnent, rééduquent et rectifient.

L’Histoire se répète : on parle au nom de la femme, à la place des femmes. Ses choix sont suspects.Dans le système patriarcal, elle est trop« nature », dans le système du genre elle est trop « culture »  et  donc dans les deux cas il faut la protéger.On retrouve ici l’éternelle ritournelle de la femme trop faible pour s’affirmer et se protéger (d’)elle-même. D’où la nécessite d’une avant-garde d’amazones qui vient la sauver.Les femmes doivent donc être rééduquées par la voie de celles qui ont atteint leur majorité (un poste au CNRS, au Monde ou au Parlement). Oui, le féminisme du genre est bel et bien un paternalisme.



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