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Flandre et Palestine : même combat !


Flandre et Palestine : même combat !

Je le concède bien volontiers : il est quelque peu téméraire de mélanger dans une même marmite le houmous palestinien et la carbonade flamande pour mitonner une soupe analytique pouvant se révéler gravement indigeste. Pourtant, en considérant l’évolution, ces derniers mois, de la « question belge » et du processus de paix israélo-palestinien il est tentant d’établir un parallèle entre deux les deux situations.

Première similitude : dans les deux cas, on constate un blocage des discussions entre les parties concernées. En Belgique, on en est à plus de deux cents jours de palabres entre Flamands et Francophones pour constituer un gouvernement fédéral. Le dernier « conciliateur » nommé par le roi, le socialiste flamand Johan Van de Lanotte vient de jeter l’éponge, sa mission se heurtant aux exigences de plus en plus exorbitantes des indépendantistes de Flandre. Interrompues depuis l’opération « Plomb durci » à Gaza, les négociations directes entre Israéliens et Palestiniens n’ont pas repris, en dépit des efforts de Washington et du Quartet (ONU, Russie, UE, Etats-Unis).

Deuxième similitude : ce blocage apparent n’empêche pas l’évolution de la situation sur le terrain et dans les esprits. En Belgique, l’homme fort de la Flandre, le nationaliste Bart De Wever s’est servi des négociations post-électorales pour pratiquer auprès de ses concitoyens, la pédagogie par le fait : en mettant toujours plus haut la barre des revendications flamandes, il acculait les Francophones à dire « non » à des exigences qui, en fait, signaient l’arrêt de mort de la Belgique fédérale. Comme il n’y a plus rien à négocier, le « plan B », c’est-à-dire la mise en marche d’un processus de scission du royaume va s’imposer de lui-même…

En Israël-Palestine, l’impasse diplomatique n’empêche pas Mahmoud Abbas et Salem Fayyad de construire une structure étatique pierre par pierre, avec l’aide financière de l’Europe et l’encouragement, tacite mais bien réel, du gouvernement israélien. Ce qu’ont révélé les fameux « Palestine papers » au grand-public – c’était déjà bien connu des spécialistes – ce sont les liens d’intimité qui existent entre les négociateurs, et cela quel que soit le parti israélien au pouvoir. Saëb Erekat, chef des négociateurs palestiniens et l’ancien conseiller diplomatique d’Ariel Sharon Dov Weisglass ne fréquentent pas seulement le même tailleur londonien, ils ont en commun quelques convictions qu’il leur est difficile de faire passer brut de décoffrage auprès de leurs mandants. Saëb Erekat, par exemple est un supporter acharné de la « coopération sécuritaire » entre Israël et l’Autorité palestinienne, qui a permis, sans être trop regardant sur les méthodes[1. le général américain Keith Dayton, chargé de la coordination sécuritaire entre Israël et l’Autorité palestinienne ne tarit pas d’éloge sur l’efficacité des services de sécurité palestiniens en charge de la lutte contre le terrorisme, à ce bémol près que leur usage immodéré de la torture suscite l’énervement de quelques ONG…], de démanteler l’organisation du Hamas en Cisjordanie. Et même plus que cela : au vu de ce qui se passe au Liban, ce même Erekat ne serait pas opposé à ce que la sécurité du futur Etat palestinien soit, d’une manière ou d’une autre, garantie par Israël, car le « frère » syrien a de grandes dents… Ni Erekat, ni Weisglass (ou ses successeurs au bureau de Netanyahou) ne sont dupes de la propagande déversée de par le monde par leur propre camp. Lorsqu’un sondage effectué par une institution indépendante (c’est à dire ni israélienne, ni palestinienne) auprès de la population arabe de Jérusalem-Est révèle que, dans le cas de la proclamation d’un Etat palestinien, 39% des personnes interrogées souhaiteraient rester sous administration israélienne, 30 % sous administration palestinienne, tandis que 30 % refusent de répondre, les choses deviennent plus compliquées…

Ce que souhaitent in petto les dirigeants palestiniens, c’est que leur futur Etat reste arrimé à l’économie israélienne, ce qui leur garantirait le maintien d’un niveau de vie de la population propre à leur éviter les mésaventures récentes de Ben Ali et Moubarak… Peu importent alors les dogmes frontaliers, hiérosolymitains, du droit au retour des réfugiés. Peu importe, pour les « réalistes » de la droite israélienne, le sort des implantations messianiques au cœur de la Judée et de la Samarie. Nous sommes d’accord sur presque tout, parce que nos intérêts convergent, mais nous sommes paralysés par un corset langagier – droit imprescriptible, capitale éternelle unifiée, et autres mantras indéfiniment ressassés : tel est le dilemme auquel sont confrontés Mahmoud Abbas et Benyamin Netanyahou ainsi que leurs négociateurs officiels et officieux.

Dans le cas belge comme dans celui du conflit israélo-palestinien tout le problème est de sortir du paradigme qui place la « communauté internationale » dans la position du juge suprême en matière de création d’Etats nouveaux. Le modèle « Congrès de Vienne », modifié « Traité de Versailles » et « accords de Potsdam » est encore dominant dans le fonctionnement de la diplomatie internationale. Ce modèle a encore été appliqué dans le démembrement étatique de l’ex-Yougoslavie. Dans ce contexte, nul Etat n’a le droit de naître hors du cadre fixé par les compromis entre les grandes puissances. La volonté rigide affichée par ces dernières à faire appliquer le « droit international » dans la résolution du contentieux territorial entre Israël et les Palestiniens est aujourd’hui le principal blocage à la réussite de la formule « deux Etats pour deux peuples ».

Les Flamands ont été prévenus à maintes reprises que l’Union européenne n’est pas du tout, mais alors pas du tout, favorable à la scission de la Belgique. On brandit même la menace d’un départ de Bruxelles des institutions de l’UE. L’éclatement de la Belgique mettrait trop cruellement en lumière l’échec du projet européiste d’emmener le Vieux continent dans les verts pâturages de l’ère post-nationale…

Alors que reste-t-il à ces peuples qui veulent entrer dans le club des Etats-nations en dépit des obstacles mis sur leur chemin par les cadors de la « communauté internationale » ? Quand on n’est pas le plus fort, il faut être le plus malin, et faire en sorte que, petit à petit, la situation sur le terrain évolue de telle manière qu’il n’y ait plus d’autre solution que de s’en accommoder.



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