Etat islamique : les Assassins nouveaux sont arrivés


La concurrence est rude parmi les barbus irritables de la cause salafiste. Excitée par les décapitations de l’américain James Folley et de l’anglais David Haines, la moindre bande de voyous, conduite par un égorgeur de poulet, cherche une victime à sacrifier, de préférence issue de la vieille nation du monde occidentale, héritière d’une très gracieuse civilisation, toujours prompte à partager avec les autres son goût pour l’intelligence : la France. Hervé Gourdel fut la première, d’autres suivront.

Chez les salafistes, l’école dite quiétiste se réclame des « pieux ancêtres » compagnons du Prophète, et de leurs suiveurs immédiats. Elle manifeste une relative indifférence à la chose politique, préférant imaginer une société rigoureusement conforme aux préceptes de la sunna, c’est à dire du Coran augmenté des hadiths et de la sira – dits et faits prophétiques. La tendance jihadiste, quant à elle, présente un caractère nettement plus belliqueux. Dans l’Orient compliqué et lointain, dès qu’un pouvoir tyrannique, mais qui, bon an mal an, préservait les droits des minorités, s’effondre ou donne des signes d’épuisement, surgissent désormais de l’horizon des sables ses hordes d’assassins. Brandissant leurs kallahchnikov, conduisant des chars et des 4×4 flambant neufs, très semblables à ceux qu’on voit en Arabie Saoudite et au Qatar, pourvus d’une artillerie ultra-moderne, ils déferlent, conquièrent, soumettent et massacrent. Qui leur a fourni ce matériel coûteux, quels pays sont derrière leurs assauts jusqu’à présent victorieux ?

Ils – enfin, leurs semblables algériens – ont enlevé Hervé Gourdel. Il l’ont contraint à la même terrifiante cérémonie que la mise à mort de leurs précédentes victimes. Ils vitupèrent, invoquent leur Dieu de colère, menacent les « chiens d’infidèles » et les chiens de ces mêmes infidèles, ainsi que les femmes infidèles. Ils promettent d’éradiquer ces infidèles et leurs chiens, ils jurent de lapider leurs femmes. Le temps presse, ils éructent encore un peu, puis se jettent sur leur prisonnier, le réduisant en une misérable dépouille sanglante, faisant d’un tout athlétique deux parties lamentables : un tronc et quatre membres d’un côté, une tête de l’autre :

«[…] j’ai vu des criminels décapités par le bourreau se lever sans tête, du siège où ils étaient assis, et s’en aller en trébuchant tomber à dix pas de là. J’ai ramassé des têtes qui roulaient au bas de la mannaja, comme cette tête que vous tenez par les cheveux a roulé tout à l’heure au bas de cette table de marbre, et, en prononçant à l’oreille de cette tête le nom dont on l’avait baptisée pendant sa vie, j’ai vu ses yeux se rouvrir et se tourner dans leur orbite, cherchant à voir qui les avait appelés de la terre pendant ce passage du temps à l’éternité. »[1. Alexandre Dumas (avec Auguste Maquet), Joseph Balsamo, chapitre CV, Le corps et l’âme : propos tenu par Balsamo à Marat, dans la loge des initiés.]

Cependant, les nouveaux Assassins[2. La secte des Assassins (ou Assassiyoun « Ceux qui sont fidèles au fondement de la foi”, confondus, depuis le XIXe siècle, avec les Haschichins, fumeurs de haschich) constituaient le bras armée du Vieux de la montagne, Hassan ibn al-Sabbah (vers 1036-1124), réfugié dans la forteresse d’Alamût (nord de l’Iran, l’Alamont des Croisés). Il s’agit d’une branche de l’Islam chiite, les Ismaéliens, dont l’Aga khan est aujourd’hui le pacifique et richissime représentant. Les Assassins semèrent la terreur dans tout l’Orient. On lira à ce sujet le roman de Vladimir Bartol (1903-1967), Alamut, écrit d’une belle plume cruelle et ironique : il décrit de manière prémonitoire des jeunes gens « qui aiment la mort ».] prennent soin de filmer toute la scène, car ils n’ignorent pas que le spectacle qu’ils se donnent à eux-mêmes est attendu, espéré par la populace internaute. Ils savent que l’épouvante ainsi produite, par le moyen de la numérisation, comblera l’attente des foules anonymes, comme celle des individus modestement monstrueux, et apaisera, pour un temps, leur troublante envie de cruauté réaliste. Enfin, et surtout, par cet acte d’atroce négativité, ils signalent leur compétence dans le crime aux membres de la coupole mafieuse, qui les inviteront volontiers à rejoindre l’armée de leurs tueurs.

L’un de ces intermittents du spectacle de l’effroi contemporain, plus acharné, plus furieux, plus affolé d’épouvante, a peut-être osé un selfie avec la joue du sacrifié tout contre la sienne, et un ricanement de haine goguenarde.

Jusqu’à quand durera cette représentation de l’enfer, que seule rend possible notre modernité technologique ?

Je n’ai pas de réponse, mais j’ai une autre question : les commentateurs et gazetiers ignares cesseront-ils d’évoquer des pratiques « moyenâgeuses » à propos de ces criminels nés de la  désorganisation des peuples et de la pénombre humaine ? Le Moyen Âge fut un temps de lumière renaissante.



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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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