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Du plomb belge à l’or flamand ?


Du plomb belge à l’or flamand ?
Albert II. Photo Flickr / Frederic della Faille.
Albert II
Albert II. Photo Flickr / Frederic della Faille.

Finalement, Bart De Wever est un grand poète. Le N-VA, parti autonomiste ou indépendantiste on ne sait plus trop, qui a fait 29% en Flandres et qu’il dirige est devenu la première formation en Flandres après les élections législatives anticipées du 13 juin. Mais, d’après ce qu’il dit, grâce à lui, ce ne sera pas la Yougoslavie ni même la Tchécoslovaquie au bout de mon jardin lillois mais un processus très poétique, très gracquien qui présidera à la disparition de la Belgique : l’évaporation. Il y avait un pays, et hop !, évaporation… Comme ces brumes chères aux romans fantastiques de Jean Ray ou Thomas Owen, aux poésies de Verhaeren ou de Rodenbach célébrant Bruges la morte : elles voilent un paysage, les rues d’une ville et quand elles se lèvent, vous êtes ailleurs. Vraiment ailleurs, parfois. Et même en plain cauchemar qui transformerait comme un rien l’arrondissement BHV en bande de Gaza ou en Srebrenica tendance anguille au vert.

J’aurais donc été très injuste avec le flamand Bart De Wever… C’est vrai, je ne devrais pas me laisser avoir par les mauvaises réputations. Ce n’est pas parce qu’on a un physique de garçon boucher que l’on ne peut pas avoir des grâces éthérées quand on veut mettre à mort une nation. Ce n’est pas au hachoir ou à la feuille qu’a l’intention de travailler Bart De Wever, c’est dans l’extase chlorotique, la vapeur charmante. D’après lui, la Belgique va mourir sans s’en apercevoir, dans l’élégance phtisique des jeunes filles de Fernand Khnopff. Bon, s’il y a ici et là quelques crachats de sang ethnique dus à une quinte de toux xénophobe, on regardera ailleurs.

L’alchimie appliquée à la géopolitique

L’évaporation, pour notre ami Bart, c’est l’alchimie appliquée à la géopolitique. On va passer du plomb belge à l’or flamand par une étape dite confédérale. On aura des voisins mais comme dans les grands ensembles, on se croisera seulement de temps à autre aux réunions de copropriété et comme souvent aux réunions de copropriété, ce sera pour s’engueuler et trouver que le régisseur, euh pardon le Roi des Belges, il coute un peu cher. On boira rapidement un mauvais mousseux pour le bien mal nommé pot de l’amitié en se regardant en chiens de faïence : quel dommage tout de même de devoir encore partager avec ces cons un drapeau, une équipe de foot et une politique étrangère…

Bart De Vewer, en plus, a sérieusement fait reculer l’extrême droite flamande, le Vlams Belang. On va donc lui passer beaucoup de choses, dans les cercles autorisés qui font semblant de ne pas voir que les idées extrémistes ont vraiment gagné quand leurs leaders historiques en sont dépossédés et qu’elles infusent chez ceux qui savent les débarbouiller, leur passer un coup de peigne et leur donner des allures de premier communiant. Peu importe qu’ils disent à peu près la même chose, puisqu’ils y mettent les formes…

En même temps, Bart, avant de faire le poète symboliste, il connaissait bien l’extrême droite: des années de militantisme dans les cercles ultranationalistes, ça aide, surtout ceux de l’université symbole de Louvain qui dut faire scission en 68, après l’établissement de la frontière linguistique. Scission pour cause d’affrontements ethniques, évidemment, les francophones préférant de guerre lasse reconstruire leur propre fac dix bornes plus loin, dans une ville nouvelle.

Oui, Bart, l’extrême droite, c’est toujours un peu sa famille. Le NVA qu’il a créé en 2001 est au Vlams Belang ce que Marine Le Pen est à son père. On de dit plus, chez Bart, comme aux bons temps des rassemblements annuels à Dixmude au pied de la tour de l’Yser : « Crève, Belgique » ou « Les Wallons sont des rats. » mais, avec le sourire, « Evapore toi, Belgique. »

Le PS wallon : pour une Belgique solidaire à défaut d’être unitaire

Qui est là, pour s’opposer, désormais, à l’homme qui veut étrangler la Belgique avec des gants de velours ? Pas grand monde. L’électorat wallon a de nouveau placé loin en tête, à plus de 30% le parti socialiste d’Elio Di Rupo qui laisse sur place les libéraux et les démocrates chrétiens du CDH. Malgré ses élus corrompus, sa gestion parfois rock’n’roll roll, les électeurs ont fait confiance au PS pour une raison bien simple : ils semblent être les seuls à ne pas avoir peur de Bart de Wever, et, à travers l’élégant Di Rupo, antithèse physique de Bart (la politique, surtout en temps de crise, c’est aussi une question de style et même de corps), à savoir défendre l’idée d’une Belgique solidaire à défaut d’être unitaire. Ils seront aussi, les socialistes wallons, plus nombreux au parlement que les élus du N-VA et, avec leurs homologues flamands du SpA, forment de loin la première famille politique du pays.

En plus, comme tout ne peut être tout à faire sombre dans ce scrutin, j’aimerais saluer l’exploit du sympathique socialiste Michel Daerden, l’homme qui a fait de l’ivrognerie publique une méthode de gouvernement : il a obtenu un nombre record de voix de préférence : plus de 60 000. La voix de préférence est une spécialité belge, avec les sacs Delvaux et la croquette de crevette, qui consiste à envoyer un « poke » électoral diraient les facebouquistes à une personnalité que vous souhaitez voir jouer un rôle important en plus de sa simple élection.

Tout cela suffira-t-il à empêcher Bart De Wever qui sera le premier politique entendu par un Roi qu’il déteste, de transformer la Flandre en une manière de micro-état égoïste et nationaliste, qui voit le monde avec les yeux d’une société anonyme ?

Les jeux sont ouverts.



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