Déchéance, une chance pour la France


Déchéance, une chance pour la France
(Photo : Yves Talensac/Photononstop)
(Photo : Yves Talensac/Photononstop)

J’ai d’abord cru à un gag, à un sketch, au retour d’Élie et Dieudonné chez Jean-Jacques Bourdin, quand en tournant la molette de ma radio, je me suis arrêté sur RMC en entendant ça : « Je reçois ce matin Karim et Attila, déchus de leur nationalité française, qui vivent aujourd’hui dans l’angoisse de l’expulsion. » (Eh oui, c’est du Bourdin). Arrêtés par la DST en 2005 après l’enquête sur les attentats de Casablanca commis un an plus tôt, Karim, Franco-Marocain arrivé en France à l’âge de un an, et Attila, Franco-Turc né à Mantes-la-Jolie, ont été condamnés à six ans dont quatre ferme pour « association de malfaiteurs en vue de préparer un attentat ». Sortis de prison en 2009, tous deux fichés S, ils ont été déchus de leur nationalité française par le ministère de l’Intérieur en octobre 2015 et priés par la préfecture des Yvelines de restituer passeports et pièces d’identité avant le 17 février. En fait, c’était du sérieux. Je montais le son et faisais taire femme et enfant pour ne rien perdre de ce témoignage unique de détresse chez l’ennemi.

« D’abord monsieur Bourdin, – c’est Karim qui parle –, on n’a pas été condamnés pour préparation d’un attentat, mais pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », je tiens à le préciser. On a été jugés par un tribunal correctionnel pour un délit, on n’a tué personne. » Attila intervient : « Des années après, c’est une peine administrative qui s’abat sur nous. Si on est dangereux, la police devrait venir nous « taper » et nous mettre en prison. J’aurais préféré être assigné ! Aujourd’hui on vit dans la peur, quand on sort, on s’expose, si on entend une sirène de police, on est effrayés. » Karim conclut : « On a touché le fond, quelle pire sanction que de vous déchoir ! » Puis Bourdin les relance sur leur crainte de l’expulsion. Attila : « La Turquie, c’est que pour les vacances. » Karim : « Je n’ai pas mis les pieds au Maroc depuis seize ans. On a peur de la prison et pire, de la torture, on connaît les services marocains pour leurs exactions. »[access capability= »lire_inedits »] Bourdin précise qu’ils ont déposé devant le Conseil d’État un « référé suspension » pour excès de pouvoir, mais il n’est pas suspensif. « Malheureusement ! s’écrie Karim. On est dans l’attente, on a la boule au ventre, on est entre la peur et l’angoisse. »

Ils niquaient la France et désormais…

Je n’en suis pas fier mais, depuis, je repense avec un plaisir coupable à cette boule aux ventres de ceux qui, il y a peu, niquaient la France en attendant de tuer des Français, et qui à présent vivent dans l’angoisse et l’attente d’une réponse du Conseil d’État. Et, à tous ceux qui répètent que la déchéance de nationalité est une mesure inefficace et inutile, absurde pour des dingues qui préfèrent l’Islam à la France, et la mort en martyr au « vivre-ensemble » républicain, je ne manque jamais de raconter la détresse de nos compatriotes de papiers (périmés à l’heure où nous mettons sous presse), qui préféreraient rester ici à l’ombre plutôt qu’être renvoyés là-bas au soleil. Obsolète peut-être pour les uns, mais pour les autres ? Pour la cinquième colonne des sympathisants et des propagandistes ? Pour l’armée de réserve des recruteurs et des logisticiens ?

J’étais ravi d’entendre ce matin-là, en une heure, davantage de bonnes nouvelles et de témoignages précieux qu’en deux mois d’un débat médiatique toujours plus confus. La question avait pourtant été tranchée le lendemain de l’annonce de Hollande par 94 % de Français favorables à la déchéance, pour tous tant qu’à faire. Malgré cela et malgré nous, des politiciens, magistrats, éditorialistes et constitutionnalistes sont venus étaler en place publique leurs calculs, leurs indignations, leurs scrupules ou leurs conditions non négociables en faisant la fine bouche à l’heure de faire le ménage. Quand la démocratie « représentative » m’ennuie, il arrive que le terrain, dans sa dure réalité, m’enthousiasme. Au lieu de vaquer ce jour-là, je me recouchais avec Bourdin, Karim et Attila.

Plus efficace qu’un programme de déradicalisation

« Vous condamnez les actes terroristes ? Je dois vous poser cette question », s’excuse Bourdin. Les deux répondent : « Le terrorisme, tout le monde le condamne. Nous-mêmes, on le condamne aujourd’hui. » L’animateur leur demande s’ils aiment la France et le drapeau français. « Oh oui, on aime la France, répond Karim suivi par Attila, c’est notre mère patrie, notre tendre enfance, c’est l’école maternelle et l’école primaire, toute notre vie et celles de nos enfants. » Même moi, je fus touché par le malheur, peut-être sincère, de nos déchus. Et je compris alors que la déchéance de nationalité était bien plus prometteuse dans sa phase expérimentale que dans son parcours législatif, constitutionnel et castrateur, et qu’elle ouvrait des perspectives qu’on n’attendait pas. Cette épée de Damoclès qui avait fini par leur tomber sur la tête, dans toute sa lenteur, avait réveillé une nostalgie toute patriotique, un amour pour l’école de la république et une condamnation de la violence qu’on n’espérait plus. Le goût du réversible par le bannissement, inconnu jusqu’alors des délinquants ou criminels multirécidivistes comme des fichés surveillés, donnait de meilleurs résultats sur le front de l’intégration que des décennies de laxisme, de seconde ou de trente-sixième chance, de programmes de déradicalisation ou d’accommodements raisonnables.

Favorable à ce que l’on déchoie facilement et massivement, je ne suis pas convaincu par l’opportunité de constitutionnaliser la chose. J’ai peur que l’on découvre demain que c’était mieux avant. Aujourd’hui, le ministre de l’Intérieur peut, par simple décret et sur la base d’un article du Code civil, destituer de leur nationalité les Français « condamnés pour crime ou délit de terrorisme, d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, ou encore qui se sont livrés au profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France ». Dans la constitution, la déchéance sera restreinte aux coupables d’infractions pénales punies de dix ans d’emprisonnement, prononcée par le juge, elle pourra être révisée et ne concernera que des actes terroristes d’avant 2016. Demain, si le régime administratif n’est pas maintenu, la nouvelle déchéance de nationalité menacera beaucoup moins d’islamistes qu’aujourd’hui, et pourrait nous empêcher de nous débarrasser de milliers de binationaux partis en Syrie, passés à l’ennemi, et revenus en France.

La déchéance version Hollande sera peut-être une petite ou une fausse victoire sur ceux qui nous haïssent ou nous tuent, mais une idée forte aura fait du chemin, l’idée du réversible et du révocable, pour tous. Elle pourrait inspirer d’autres débats, sur le droit du sol, le code de la nationalité, la double peine, le passeport à points, la liberté de circulation et le droit au regroupement, le primat du droit sur la « politique » d’immigration. En attendant, on peut toujours tirer une leçon des mésaventures de Karim et Attila : il n’y a pas de problèmes durables qui ne trouvent de solutions définitives, avec un bon ministre de l’Intérieur qui sache se servir d’un bon vieux Code civil. Comme un bon flic.
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Mars 2016 #33

Article extrait du Magazine Causeur



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