Déchéance de nationalité: un référendum ou rien!


Déchéance de nationalité: un référendum ou rien!

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Le projet de constitutionnalisation de la déchéance de nationalité n’en finit pas de faire des vagues. Dans les rangs de la gauche, et pas seulement au sein de la « gauche morale ». À droite aussi, Patrick Devedjian et Rachida Dati ayant exprimé leur opposition à cette mesure. Et sous bien des crânes, le mien compris, c’est la tempête, comme l’a très bien expliqué Elisabeth Lévy : il y a autant d’excellentes raisons d’être opposé au projet que d’y être favorable.

Personnellement, je tire mon chapeau à Laurent Bouvet (opposant au projet) et Henri Guaino (qui y est favorable) pour avoir été les plus convaincants de leurs camps respectifs. Mais puisqu’il faut décidément trancher, j’ai une préférence pour les arguments du premier. Constitutionnaliser la distinction entre les binationaux et les autres a en effet plus d’inconvénients que d’avantages. Comme Bouvet,  je suis opposé de longue date au droit de vote des étrangers aux élections municipales et européennes parce que je ne souhaite pas saucissonner la citoyenneté. Aussi est-il cohérent de ne pas la saucissonner dans le cas qui nous occupe aujourd’hui.

J’ai une amie qui a une mère néerlandaise. Imaginons que nous nous radicalisions de concert et que nous devenions terroristes. Elle serait déchue de sa nationalité et pas moi ? Il serait pourtant logique que nous soyons tous les deux frappés de la même sanction civique : l’indignité nationale, par exemple, infligée à de nombreux Français à la Libération parce qu’ils avaient collaboré activement avec l’ennemi.

J’en viens maintenant à l’argument ultime que m’a soufflé l’ami Marc Cohen. La déchéance nationale apparaît comme un déni. Une façon de dire : nous ne les connaissons pas, ils n’ont pas grandi avec nous. Ils n’existent pas. Cachez ces passeports français que nous ne saurions voir, en somme. Voilà pourquoi, contre toute attente, je me range pour une fois du même côté de la barrière que Sylvain Bourmeau et Cécile Duflot.

Cela ne me ravit guère mais ce qui m’amuse encore moins, c’est la facilité avec laquelle on utilise aujourd’hui un sondage effectué quelques jours seulement après les attentats pour décréter que le peuple soutient cette initiative. C’est l’argument utilisé par le Président de la République pour faire pression sur les nombreux parlementaires rétifs de sa majorité. 94 % des Français. Écrasant, n’est-ce pas ?  Sauf que ce sondage ne donne aucune information sur ce que pense « le peuple ». Il donne une information à un instant T, qui n’est d’ailleurs plus celui d’aujourd’hui, sur l’état de l’opinion. À ce propos, on ne répétera jamais assez cette sentence de Philippe Séguin : « Les sondages sont à la démocratie ce que l’amour vénal est à la romance.»

En République, le peuple souverain s’exprime via l’élection de ses représentants, ou sur une question précise, par référendum. On a consulté le peuple en septembre 1992 et en mai 2005. Si on s’était contenté du verdict des sondages avant même de commencer les campagnes référendaires, on aurait obtenu des résultats forts différents. Et je dois bien avouer que si j’avais été moi-même interrogé par téléphone à l’heure du repas, entre la poire et le fromage, quelques jours après les attentats de Paris, j’aurais sans doute fait partie des fameux 94 %.

Faut-il donc consulter les Français par référendum pour constitutionnaliser une déchéance de nationalité qui se limite aux binationaux ? À certains égards, on pourrait considérer que cette mesure ne vaut même pas le départ de la Garde des sceaux (par démission ou par éjection), qui s’y est opposée publiquement.

Nos gouvernants lui accordant si peu d’importance, pourquoi demander au peuple de trancher ? Si on continue d’expliquer, dans les hautes sphères politiques et médiatiques, que le peuple est favorable à cette évolution de notre droit, il va falloir le prouver avec d’autres éléments que des sondages. C’est pourquoi j’espère que les parlementaires de gauche qui s’agitent actuellement, alors qu’ils auraient très bien pu le faire dès le 16 novembre, date du discours du Président devant le Congrès, iront jusqu’au bout de leur logique et priveront l’exécutif de la majorité des trois cinquièmes nécessaires à l’adoption de la révision constitutionnelle. Ce serait la meilleure manière de signifier clairement : « Le peuple ? Chiche ! »



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